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Les évaluations de la cognition dans les processus de sélection

du XXI ème siècle Le leadership authentique, proche, ajoute la dimension d’alignement des

FUTURS DIRIGEANTS

8.3 Les outils des processus de sélection des futurs dirigeants

8.3.1 Les outils des processus de sélection du futur dirigeant

8.3.1.2 Les évaluations de la cognition dans les processus de sélection

Le domaine des sciences cognitives a nourri de nombreuses recherches indiquant que les habiletés cognitives intéressent de nombreux aspects de la performance et du potentiel (Ones, Dilchert, Wiswesveran & Salgado, 2010). Les aptitudes cognitives sont reconnues pour influencer la qualité et la rapidité de la prise de décision en environnement complexe ou

incertain, clés dans la performance du dirigeant.

Depuis le facteur « g » de Spearman, l’intensification des recherches en sciences cognitives a multiplié les découvertes et classifications de ou des intelligences, dans la lignées des travaux séminaux de Thurstone sur les aptitudes mentales primaires, conduisant progressivement à la différentiation de tests d’intelligence sur des aptitudes différentiées, des échelles de Wechsler aux modèles multidimensionnels comme la structure en cube de l’intellect de Guilford (1967, 1982), au modèle multi-strates de Carroll considéré comme le plus consensuel.

La richesse du champ a généré des tests multiples sur le marché, dont les utilisateurs ne

sont pas toujours en position d’évaluer les limites ou la validité. L’utilisation exclusive de

tests de compétences cognitives est une méthode marginale dans les processus de détection des dirigeants en France. Ils sont en revanche fréquemment pratiqués dans le cadre de centres d’évaluation ou de dispositifs multi-méthodes.

Selon les auteurs, les valeurs de quotient intellectuel permettraient de prédire de 10 à 30% de

la performance (Schmidt et Hunter, Jensen). Les études confirment des différences

significatives de capacités cognitives en corrélation avec les différents niveaux de management (Dilchert & Ones), suivant un continuum aligné sur le niveau de management et de séniorité,

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

illustrant une sélection s’opérant en faveur d’individus possédant des capacités cognitives « supérieures »47.

Premier élément de complexité dans l’utilisation des tests cognitifs pour la sélection des dirigeants, les sciences cognitives distinguent les « capacités » indiquant la possession d’aptitudes, et les « habiletés » qui sont leur application en situation (Sternberg, 1994) ; la possession de capacités, mesurées par les tests, n’est pas porteuse de la certitude que les

habiletés seront effectivement exprimées en situation.

Deuxième élément d’incertitude, les résultats inégaux des études des liens entre la performance observée et les résultats de tests cognitifs. Certains auteurs comme Borman & Motowidlo (1997) considèrent que la personnalité est un meilleur prédicteur de la performance contextuelle que les compétences cognitives. D’autres, comme Alonso,Viswesvaran, and Sanchez (2001) considèrent que les compétences cognitives restent les prédicteurs les plus performants.

Troisième élément, la cognition s’exprime souvent dans sa dimension quantitative dans le langage commun, et est associée à rationalité logico-mathématique. Elle revêt pourtant une complexité bien supérieure, que l’on peut envisager selon quatre grandes perspectives :

- Les capacités cognitives générales : « l’intelligence mesurable », le facteur g. - Le contenu cognitif : les savoirs, l’information « stockée ».

- La structure cognitive : la façon dont les savoirs sont structurés et organisés. - Le style cognitif : les filtres d’incorporation et le traitement des informations.

Les processus de sélection des dirigeants peuvent s’attacher à examiner la structure et des

styles cognitifs. Comme le dit Héloïse Cholé, dans le cadre de la décision, « Comment l’acteur

connaît et décide est aussi important sinon plus que ce qu’il connaît et décide ».

Si les théories de la préférence cérébrale d’Hermann ont été largement remises en question (Hanes, 1987), il est établi que les choix des futurs dirigeants s’opèrent à partir de l’expérience

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acquise. L’exposition aux objectifs et enjeux d’une aire disciplinaire donnée, par l’expérience qu’elle confère, dé-corrèle l’intelligence « rationnelle » de l’action.

Le style cognitif influence l’amplitude du champ de vision, la perception et le traitement sélectif de l’information, impactant ultimement les choix effectués, la mise en œuvre, la capacité et les modalités préférentielles d’apprentissage.

Ainsi, Hambrick & Finkelstein observent à partir de diverses études (Strandholm, Kumara et Subramanian 2004, Thomas Lishert et Ramaswamy, Barker & Mueller 2002, Tyler et Steensma 1998) que les exécutifs dont l’expérience relève des fonctions externes ont tendance à mettre en place des stratégies de type Prospecteur, ceux dont l’expérience est interne poursuivant préférentiellement des stratégies de Défenseur.

L’examen des styles et structures cognitifs pourraient nourrir la recherche d’adéquation au style et à la culture managériaux pour les dirigeants, ce qui apparaît en lien avec les résultats de l’étude Mc Kinsey. S’il est plausible, et admis que certaines compétences soient interdépendantes, les recherches de Zaccaro et Shipman ont par exemple isolé la contribution des compétences de pensée créative et de forecasting, en contrôlant le facteur d’intelligence général. Autre illustration, la sélection de leaders dans un contexte d’innovation devrait préférentiellement utiliser des tests impliquant des dimensions verbales et spatiales (Cascio & Aguinis, 2005).

Des recherches récentes se sont intéressées aux compétences cognitives qui fondent la performance des leaders, notamment dans la résolution de problèmes complexes (Marta et al., Shipman et al., Zaccaro et al). Mumford et al. ont proposé d’envisager les compétences cognitives du leader moderne selon 9 compétences clés48 permettant d’accroitre, organiser,

filtrer ou utiliser le contenu cognitif. Partant des conceptions jungiennes, Cannella, Hambrick

48 1/ problem definition, 2/ cause-goal analysis, 3/ constraint analysis, 4/ planning, 5/ forecasting, 6/ creative thinking, 7/ idea evaluation, 8/ wisdom et 9/ visioning/sense making.

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et Finkelstein décrivent quatre styles cognitifs pour le leader : le stratège, l’administrateur, le coach et le visionnaire.

A l’heure des progrès des neurosciences, et du savoir partagé, des données peuvent être collectées, analysées et comparées au sein des entreprises et industries, et corrélées aux critères de succès d’une population choisie. C’est ce que proposent des outils récents, comme Knacks ou Pymetrics, sans cibler à ce stade les populations de dirigeants. La valeur de tels outils reste dépendante de la détermination de critères de performance et de tri au sein de la diversité des modèles organisationnels et de la capacité à prédire les critères fondateurs du succès exécutif. Lecture rationnelle de la part d’irrationalité du fonctionnement cognitif, les styles cognitifs sont insuffisamment exploités dans les processus de sélection des dirigeants. Ils représentent des informations particulièrement pertinentes s’ils sont administrés dans le cadre de la recherche de complémentarité des profils d’une équipe de direction, examinés à la lumière des paramètres stratégiques.

On peut souligner que les processus de sélection pour les « fabriques de dirigeants » effectuent, en France, un tri initial par les capacités cognitives générales, et plus précisément l’intelligence logico-mathématique. L’intelligence logico-mathématique, l’intelligence de synthèse, et l’intelligence pratique ne sont pas sélectionnées à part égales dans les processus de sélection (Sternberg, 1994), et, comme souligné par E. Morin, l’intelligence du « tout » et celles des « parties » sont « profondément complémentaires pour comprendre les complexités organisationnelles ».

Les « tests » cognitifs devraient être adaptés aux populations de futurs dirigeants, et leur interprétation reposer sur une référence correspondant au niveau considéré, ou au niveau ciblé. C’est notamment ce qu’a mis en pratique la société Arnava pour les évaluations cognitives de ses assessment centers, différentiant deux outils, dont l’un est étalonné pour une population de « hauts potentiels ».

Dans la « hiérarchie des savoirs », le savoir « pur » au sens de la connaissance, ou les savoir- faire techniques sont objectivables car répondant à des référentiels solides et éprouvés dans l’organisation. Le savoir-être, ou le savoir évoluer, répondent à des logiques différentes, dont l’incomplétude informationnelle de la mesure laisse opérer le champ de rationalité limitée du

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décideur (Morin, 2010). Ces deux champs de « savoirs » que la rationalité des processus de sélection différentie systématiquement, sont en fait interdépendants, et positionnés à l’intersection des « compétences cognitives » et de la personnalité.

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