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du XXI ème siècle Le leadership authentique, proche, ajoute la dimension d’alignement des

FUTURS DIRIGEANTS

7.1 Les acceptions de la notion d’intelligence émotionnelle

7.1.1 La place de l’intelligence émotionnelle comme attribut des futurs dirigeants

Nous nous trouvons à l’aube des élections présidentielles américaines de 1988. Le sénateur du Colorado, Gary Hart, est candidat favori pour l’investiture démocrate en 1987. C’est un homme instruit et brillant, dont les ambitions électorales seront brutalement anéanties par sa gestion navrante d’un scandale personnel. Salovey, comme Hart de l’université de Yale, et Mayer, de l’université du New Hampshire, contemporains de l’incident, s’interrogent sur ce qui fait qu’ « une personne aussi intelligente puisse faire une manœuvre aussi stupide » et « quelles qualités personnelles différentes de l’intelligence cognitive contribuent au succès individuel ». Deux ans plus tard, ils publient l’article académique fondateur du champ disciplinaire intitulé « l’intelligence émotionnelle ». La réflexion menée par Salovey et Mayer donne véritablement son envol à la discipline en 1990, même si, en 1985, Wayne Leon Payne37 décrivait déjà la

notion d’intelligence émotionnelle dans un travail de dissertation en philosophie, non publié et passé inaperçu.

Depuis, le succès de cette notion ne s’est pas démenti, générant ce que Barsade, Gibson et Spataro (2003) décrivent comme un changement de paradigme en psychologie des organisations, « la révolution affective », après la « révolution cognitive » des années 90, la

génération Q.E de Haag et Séguéla.

Considéré comme une « mode managériale » par de nombreux auteurs (Herrbach, Mignonac, Sire, 2003), la notion reste l’une des plus fréquemment évoquées comme attribut essentiel des leaders sur le terrain professionnel, en relation avec les capacités en conduite du changement, la conduite des transformations, l’engagement des équipes.

L’intelligence émotionnelle a été proposée comme composante dans certaines définitions du leadership, comme chez « l’effective leader » de Caruso (2002), le « leader authentique » de

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

Goleman (2013), ou encore le « conscious leader » de Kofman (2017). Elle est considérée comme ayant une influence probable sur l’émergence, l’efficacité et les comportements de leadership (Walter, Cole, Humphrey 2010).

Sans détailler une recherche abondante, nous examinons la notion d’intelligence émotionnelle, et les moyens de sa mesure dans les processus de sélection des futurs dirigeants.

7.1.2 Le rôle des émotions dans le fonctionnement rationnel

Phineas Gage, employé de l’industrie minière à la fin du 19ème siècle, victime d’un traumatisme

crânien responsable d’un syndrome frontal, démontre des fonctions cognitives « rationnelles » parfaitement conservées, combinées à des altérations sévères de ses compétences sociales (anomalies de la prise de décision, prise de risque excessive, sociopathie acquise). L’étude de son cas sera à l’origine de la recherche menant à la formulation de la théorie des marqueurs somatiques. Damasio est le premier investigateur du sujet, établissant dans « L’erreur de Descartes » (1994) l’influence des expériences émotionnelles sur le fonctionnement cognitif. Si la théorie des marqueurs somatiques a généré diverses critiques, il est désormais universellement démontré que la « raison » est influencée par l’émotion, et que cette influence « irrationnelle » est un élément essentiel à la prise de décision en accord avec les conventions sociales. Sur le plan anatomique, l’hypothèse d’une dissociation entre les régions du cerveau responsables du traitement émotionnel et des régions cognitives est dépassée. Les biais attentionnels, mnésiques et biais de jugements reflètent les interactions étroites entre raison et émotion à l’image de l’aversion au risque, aux pertes, ou les biais d’optimisme.

Les débats modernes sur l’intelligence émotionnelle n’avaient cependant pas attendu les découvertes des sciences dures, et venaient en prolongement de réflexions anciennes sur l’interaction émotion-cognition, à la croisée de la philosophie, de la psychologie clinique, de la sociologie, des théories de l’OB et de la décision, contribuant à la compréhension de la prise de décision exécutive, des biais de l’action et de la communication chez les dirigeants.

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

7.1.3 L’émergence du concept d’intelligence émotionnelle

La première utilisation du terme « intelligence émotionnelle » est attribuée à Van Ghent, critique littéraire, en 1960, terme repris par Leuner dans le champ de la psychiatrie (1966, cité par Matthews, Zeidner, & Roberts, 2002). L’étude et la mesure de l’intelligence émotionnelle prennent leurs racines bien en amont. Aristote exhortait déjà à la vertu émotionnelle, « gérer sa vie émotionnelle avec intelligence » c’est à dire « ressentir ses émotions au bon moment, en référence aux bons objets, envers les bonnes personnes, avec les motivations adéquates, et de la bonne façon (…)”.

On retrouve des notions proches dans le travail des pionniers de la psychométrie comme Thorndike (1920), Binet (1905), Vernon (1933), Wechsler (1943), et des nombreux chercheurs ayant exploré le lien entre intelligence et affect (de façon non exhaustive, Wedeck 1947, Piaget 1972, Lazaret 1982, Isen 1984). Thorndike, dès 1920, au cours de ses recherches sur la valeur prédictive du Quotient Intellectuel (QI), propose le concept « d’intelligence sociale ».

Si le terme d’intelligence émotionnelle n’est pas utilisé par Howard Gardner dans son traité sur les intelligences multiples (1983), on peut identifier des concepts proches avec les notions d’intelligence « existentielle », ou encore d’intelligence « de soi et des autres ». Avec la pluralité des intelligences de Gardner et Hatch (1989), apparaissent les métacognitions intra et interpersonnelles.

Mayer et Salovey publient leurs articles académiques séminaux en 1990 et 1993 et sont considérés comme les fondateurs du domaine, même si Bar-On publiait dès 1982 sur l’emotional quotient. A partir de 1995, avec l’ouvrage « What’s your EQ ? », Daniel Goleman popularise la notion au-delà des milieux académiques. Bien que critiqués pour leurs approximations scientifiques, ses premiers ouvrages fournissent une perspective à la fois différente, sans doute manquante, et certainement attrayante, sur l’intelligence émotionnelle comme qualité supposée différentiante des leaders.

Parallèlement les acteurs du champ académique commencent à s’intéresser au sujet. Une recherche dans la base de données EBSCO rend compte de la dynamique d’adoption massive

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titre le terme « intelligence émotionnelle » sont référencés comme publications dans des revues à comité de lecture. Entre 2000 et 2009, 356 articles ; entre 2010 et 2018, la contribution au champ inclut 725 articles.

Si la recherche académique a été particulièrement riche au cours des deux dernières décennies, le professionnel qui souhaite acquérir des connaissances et identifier les meilleures pratiques devra s’armer de patience et de courage, face à une bibliographie aussi fournie qu’hétérogène, une désarmante diversité de contributions et de points de vue, nourrie de débats notamment autour de trois points essentiels dans le cadre de notre recherche :

- La difficulté à s’entendre sur une définition universelle

- Les modalités de mesure multiples, et leurs capacités discriminantes par rapport à d’autres mesures comme les Big Five et les compétences cognitives

- Les débats autour de l’impact réel ou supposé sur le potentiel et/ou la performance

L’objet de cette thèse n’est pas de répondre à ces controverses, mais de les recenser, les comprendre, et en partie les classer de manière opératoire par rapport à notre sujet.

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