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3.2 L’influence de la gouvernance sur le profil du dirigeant

3.2.1 La nomination des dirigeants par la gouvernance

La gouvernance au sens des normes légales n’est constituée ni des personnes, ni du système, mais bien de leurs interactions. La norme ISO 26000 plaçant la gouvernance au cœur de la responsabilité sociétale de l’entreprise en donne cette définition : « La gouvernance de l'organisation est le système par lequel une organisation prend des décisions et les applique en vue d'atteindre ses objectifs. La gouvernance de l'organisation peut comprendre à la fois des mécanismes formels de gouvernance, reposant sur des processus et des structures définis, et des mécanismes informels, émergeant en fonction des valeurs et de la culture de l'organisation, souvent sous l'influence des personnes qui dirigent l'organisation [...]. »

Deux perspectives s’affrontent dans la littérature de gestion, anglo-saxonne essentiellement, au sujet de la sélection des directors ou administrateurs, avec d’une part des chercheurs comme Mintzberg décrivant les boards comme de simples « chambres d’enregistrement » au sein de laquelle le « statut compte bien plus que la substance », et d’autre part les défenseurs de la théorie de l’agence, comme Jensen, pour qui le board joue son rôle, rappelant qu’une apparente passivité peut être contextuelle.

La structure de gouvernance d’une entreprise donnée, et ses choix finaux dans les processus de sélection des dirigeants semblent intimement liés à la structure capitalistique (Boeker, Goodstein, 1993, Fama et Jensen, 1983, Faccio, Lang, 2002, Allemand, 2012, Lin et Hu, 2007, Zajac & Westphal, 2007), reflétant des préférences et différences « rationnelles » :

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

- Dans les sociétés où le capital est fortement concentré, hors firmes familiales, la présence de blocs d’actionnaires semble liée à des dirigeants proches du profil des

actionnaires principaux (Allemand 2002, Shleifer et Vishny, 1997).

- Les structures à la gouvernance managériale dont l’actionnariat est plus diversifié, ayant acquis la taille critique pour professionnaliser la préparation d’un pool de successeurs, enregistrent une plus grande diversité de profils, les dirigeants provenant souvent de promotions internes.

- Dans les firmes familiales, le dirigeant est plus souvent un membre de la famille ou un proche (Jorissen et al, 2003). En France, des familles ont formé des générations entières de dirigeants à l’image des familles, Labbé, Mulliez, Fournier, Guichard.

Les profils des dirigeants en place étant liés - au moins en partie - aux blocs capitalistiques, la vaste modification de capitalisation des grandes sociétés françaises pourrait avoir eu pour conséquence l’évolution de la sélection des profils à la tête des entreprises : en 2013 les fonds français représentaient moins de 25% des capitaux des sociétés

du CAC 40, contre 75% en 1995… Pourtant, les profils des dirigeants n’ont que modestement évolué.

Cette absence d’évolution en miroir nous rappelle que les processus de nomination des hauts dirigeants n’échappent pas aux biais de la rationalité limitée des acteurs qui l’encadrent. Dans les processus de décision des boards, la recherche d’information en amont peut être minimaliste, pour des raisons d’urgence ou de disponibilité cognitive. Les échecs de Nardelli chez Home Dépôt, de Ivester chez Coca Cola, ont été décrits comme prévisibles si un travail de recherche adéquat avait été réalisé en amont. Les membres de conseil préfèrent souvent se fier à « leur instinct » plutôt qu’à l’examen de dossiers longs et fouillés.

Suivant les hypothèses de la théorie de l’agence, et de la théorie du management par les ressources, la sélection effectuée par les directeurs devrait répondre à des besoins en ressources critiques, et les caractéristiques d’une sélection satisfaisante répondre à ces enjeux. Pourtant, la structure du board ou conseil, son ancienneté, l’environnement économique et concurrentiel de l’entreprise, entre autres paramètres, influencent la décision, tout autant – ou plus- que les caractéristiques - mesurables - de la « compétence » du dirigeant.

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Un examen superficiel du jeu des décideurs pour la nomination du CEO peut évoquer les conditions de l’installation du garbage can de March : des acteurs confrontés à un contexte où les préférences sont incertaines, la procédure floue et les intervenants inégalement impliqués, résultant en un couplage faible entre des problèmes, et des solutions à la recherche de problèmes. Résultat opérationnel, même si pas exactement rationnel, la pratique est plus complexe et plus riche en solutions que l’ordre normatif, comme l’illustre l’exemple fourni par l’un des dirigeants iconiques de GE.

L’autobiographie de Jack Welch raconte avec des détails éclairants les étapes de sa nomination, au fil des échanges avec les membres du board de General Electric les mois précédant sa nomination. Recommandé par le charismatique Reg Jones, Jack Welch relate ses interactions, toujours informelles, avec les membres de son futur board, construisant selon ses propres termes un « filet de relations de soutien ». Il raconte que c’est lorsque Ed Littlefield, influent membre du board de GE, le contacte pour être son partenaire dans le tournoi de Golf de Cypress Point, qu’il comprend être le favori pour succéder à Reg Jones. S’en suivra une série de rencontres avec le reste des membres influents du board, dont Reg Jones s’assurera du soutien avant d’officialiser sa proposition, ce malgré la ferme opposition de son directeur des ressources humaines, considérant Jack Welch comme un individu « impétueux, potentiellement dangereux à la tête d’une entreprise ».

L’interaction entre dirigeance et gouvernance a engendré un flux particulièrement fécond de publications et théories autour des antécédents, indicateurs et conséquences du pouvoir discrétionnaire comparé des deux grands acteurs de la direction de l’entreprise.

Un conseil bénéficiant d’une latitude large pourra imposer des normes de sélection plus ou moins rationnelles et plus ou moins en lien avec les besoins en ressources de l’entreprise, comme l’appartenance à un corpus philosophique ou à certains corps de formation. Les membres les plus influents du board cooptent des profils proches de « leur » vision du dirigeant. Dans une perspective sociologique, les processus de sélection du plus haut niveau procèdent du, et contribuent au, développement d’une culture de classe (Allen 1974, Useem 1979, Palmer 1983, Davis 1993, Zajac et Westphal 1996, Finkelstein et al, 2009). Ils dépendent

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de la constitution du conseil, de son pouvoir et des coalitions qui le constituent, et donc de la façon dont celui-ci est coopté, au cours des cycles de vie de l’entreprise.

3.2.2 Une pratique contre-intuitive : l’intervention du dirigeant dans la

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