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Le contexte décisionnel des processus de sélection des futurs dirigeants

SELECTION DES DIRIGEANTS

4.1 Le contexte décisionnel des processus de sélection des futurs dirigeants

Nous ne consacrerons pas ce travail à présenter ou discuter les différents aspects des théories de la décision, en particulier la rationalité limitée, mais tenterons d’éclairer comment certains de leurs aspects expliquent ou influencent les mécanismes effectifs d’identification et de sélection des dirigeants.

4.1

Le contexte décisionnel des processus de sélection des futurs

dirigeants

4.1.1 Différencier les processus de sélection des dirigeants et futurs dirigeants

Dans les phases initiales de sélection des futurs dirigeants, les candidats sont nombreux et dispersés. Ils sont encadrés par des managers qui communiquent peu entre eux et effectuent une évaluation « individuelle ». Les missions et performances mesurées représentent imparfaitement la nature ou la qualité de leurs missions futures.

Avec l’encadrement structuré des processus de sélection, la nomination des futurs dirigeants est normée autour d’attentes uniformes et explicites, s’accompagnant de modalités de renforcement permettant la compréhension et l’apprentissage des comportements attendus. Les choix sont en théorie dominés par les modèles normatifs, les procédures standardisées et la

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

les critères de Mischels est ainsi « transformé » en situation forte, et les processus mis en œuvre sont supposés garantir la qualité de la décision.

Par contraste, le choix des principaux dirigeants dans l’entreprise semble s’effectuer dans un

contexte d’information fort : le « tournoi » préalable est limité et conduit à l’identification

d’un futur champion. Peu de candidats figurent sur la liste finale, d’autant que les nominations externes sont rares en dehors des contextes de revirement stratégique majeur. L’information est disponible, et les normes sociales sont claires ; la décision de nomination du futur dirigeant apparaît à l’observateur externe comme une situation forte. Dans le contexte organisationnel, la complexité des décisions, leur imbrication dans des jeux d’acteurs, de coalitions de pouvoir et de politique créent une toute autre rationalité.

4.1.2 Une décision complexe

Si l’on se conforme au cadre proposé par March et ses dérivés, le premier élément essentiel de la prise de décision est la disponibilité des informations pour la prise de décision.

Le contexte de la sélection des futurs dirigeants se caractérise par la combinaison d’une

multitude d’informations : historique, formation, expériences passées, caractéristiques de

performances, profil psychologique, compatibilités réelles ou supposées, valeurs réelles ou supposées. La connaissance fine des « caractéristiques » d’un individu, de ses compétences supposées, est un premier défi. L’approche de ses performances futures dans un environnement donné est un pari qui doit prendre en compte l’individu comme - futur - élément constitutif d’un système - projeté - aux niveaux de complexité multiples (individu, équipe, département, échelle fonctionnelle, organisation).

Les décisions ne dépendent pas seulement d’une séquence verticale de procédures. Elles sont horizontales, transversales ; les facteurs qui influencent la composition de l’organisation, la composition du batch final, façonnent le processus de décision comme un construit multi-

niveaux. Les couches se recouvrent, depuis l’individu et décideur final, le contexte

organisationnel, et l’environnement élargi (Ployhart et Schneider, 2002 ou Ramsay et Scholarios, 1999).

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4.1.2.1 L’application de la logique floue aux processus de sélection des dirigeants

Pour March (1991), les décisions se « produisent » plus qu’elles ne sont « prises ». La contradiction et l’ambiguïté font partie du système, la clarté de la formulation reste une

représentation erronée de la situation. D’autre part, la précision dans les objectifs voulue

par une formulation « rationnelle » ne permet pas la réinterprétation créative des buts (March, 1978). March reprendra en 1991 la notion des résultantes des décisions comme « artefactuelles », tout comme il posera parmi ses 4 engagements dans « A behavioral theory of the firm » celui de développer des modèles « Process-oriented », présentant les décisions comme la résultante d’une succession de comportements dans l’entreprise.

Il y a donc pour l’organisation et le gestionnaire des carrières des dirigeants à mener un

arbitrage entre le gain lié à la précision des objectifs via la création d’un indicateur de performance, les pertes liées à la mauvaise représentation de ceux-ci, et les coûts des actions non pertinentes pour répondre aux buts fixés.

La connaissance préalable des préférences futures est l’un des axiomes de la prise de décision. Historiquement cet axiome s’est montré déficient, et les outils de sélection ont pour objet de corriger les « erreurs » de ceux qui n’avaient pas de « bonnes » préférences futures ; stables, prévisibles, précises, cohérentes en particulier. Or les préférences sont subjectives par essence ; un décideur possède un système de valeur personnel qui pourra ne pas être en ligne avec les valeurs et préférences organisationnelles de l’instant ; l’évolution du dirigeant comme celle du système ne sont pas prévisibles. La prise de décision est effectuée selon une « routine » qui ne peut prendre en compte toutes les variables, scénarios ou les conditions de leur maximisation future.

Au flou des objectifs, au subjectif des individus, s’ajoutent les biais fondamentaux d’attribution. Heider (1958) postule que les individus sociaux attribuent les actions à des facteurs dispositionnels ou situationnels plutôt qu’au hasard parce qu’ils recherchent des explications stables pour comprendre et contrôler les développements et résultats (Kelley). Ce biais conduit à expliquer des résultats en fonction de sujets supposés stables (les acteurs) plutôt que d’objets ou combinaisons d’objets temporaires, et fournir des explications - des rationalisations - simples et attractives à des sujets complexes. Ainsi les journalistes attribuent

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de façon croissante la performance de l’entreprise aux actions du CEO (Meindl, 1985, Pfieffer 85). Au sein des organisations, ces paradoxes et enjeux de « gestion du flou » se traduisent par la résolution de conflit avant toute prise de décision, et/ou le développement de la rationalité a posteriori.

4.1.2.2 L’esthétique des organisations, le dirigeant comme produit des compromis

Le comportement de choix est inclus dans un espace complexe d’acteurs, de structures et de cognitions (Long, 1958, Olsen Cohen et March, 1972, Wiener 1976).

Dans l’étude des anarchies organisées, March, Olsen et Cohen concluent que le modèle de décision ne répond pas à un modèle rationnel de résolution de problème, mais que les décisions ne se prennent que lorsque la combinaison de problèmes, solutions, et de disponibilité des décideurs rendent l’action possible, avec une forte prévalence des modes décisionnels « oversight » (décision rapide minimisant l’attention et l’énergie accordée) ou « flight » (décision qui associe le choix à un autre problème jusqu’à ce qu’un choix plus pertinent soit disponible ).

Les compromis jalonnent les décisions de sélection des futurs dirigeants. La probabilité relative de choisir un candidat plutôt qu’un autre ne découlera pas seulement d’une « sélection » mais des « compromis » entre des « choix » de dirigeants disponibles, et dont les attributs, ou qualités, imparfaitement comparables et prévisibles. A l’échelle de la sélection des futurs dirigeants, ces compromis sont menés à chaque étape de la sélection, multipliant les « hasards » contextuels, sur des géographies et périmètres multiples.

Par la façon dont l’organisation organise la promotion interne, par le nombre et l’importance des zones d’incertitudes organisationnelles, par les conditions d’accès qu’elle fixe pour chaque position, elle écarte certains individus ou groupes de la compétition autour d’une source de pouvoir donnée ; de ce point de vue, ces processus sont rationnels dans leur acception politique mais irrationnels dans l’absolu et dans la durée. C’est cette distinction qui peut créer l’illusion de la rationalité dans les décisions de sélection des futurs dirigeants comme des dirigeants principaux.

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