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L’intelligence émotionnelle : applications et perspectives chez les dirigeants

du XXI ème siècle Le leadership authentique, proche, ajoute la dimension d’alignement des

FUTURS DIRIGEANTS

7.3 L’intelligence émotionnelle : applications et perspectives chez les dirigeants

7.3.1 Des études prometteuses mais controversées

De nombreuses études ont cherché à identifier le rôle de l’intelligence émotionnelle dans

l’émergence, la qualité ou l’efficacité du leadership, la performance d’équipe, l’engagement des collaborateurs.

Walter, Cole et Humphrey ont réalisé une étude synthétique40 en 2011 des principales

publications reliant le leadership à l’intelligence émotionnelle. De façon générale, les

résultats sont encourageants quant à l’influence probable de l’IE sur l’émergence, l’efficacité ou les comportements liés au leadership.

Parmi les soutiens académiques, George a décrit les liens entre intelligence émotionnelle et leadership ; Prati & al. ont conceptualisé un modèle reliant les performances en intelligence émotionnelle, leadership transformationnel et performance collective. Certains auteurs ont été jusqu’à suggérer que l’intelligence émotionnelle génère 90% des performances exceptionnelles dans les hauts niveaux de leadership, et serait à la source de résultats financiers supérieurs dans les entreprises concernées (Goleman, 1998, Kemper, 1999, Watkin, 2000).

Cependant, dans les différentes études explorant l’interaction leadership-intelligence émotionnelle, les définitions, populations, critères, modalités de mesure et conditions d’administration ne sont pas convergentes. Prises individuellement, les études présentent différents biais tenant aux limites exposées précédemment ; elles concernent souvent des populations restreintes ou peu qualifiées et ne sont pas applicables à notre sujet sur la sélection des dirigeants. Dans une méta-analyse récente, Harms et Credé ont montré que les résultats des

40 Pour une revue approfondie, voir également Mayer, Salovey et Carus(2004), Sadri (2012), Heerbach et al (2003), Daus et Ashkanazy (2005), Kotzé et Venter, (2011), Mandelle et Pherwani (2003).

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

tests EQ-i sont très faiblement corrélés aux résultats des tests d’aptitude EI de Mayer et Salovey, appuyant l’idée que ces tests ne mesurent pas un même construit.

En l’état actuel de la recherche, les études ayant cherché à déterminer la valeur incrémentale prédictive des tests fournissent des résultats discutables et n’engagent pas à inscrire la mesure de l’intelligence émotionnelle dans un processus de sélection. Même si les tests d’aptitude semblent plus prometteurs que les tests d’auto évaluation, ils ne permettent pas de discriminer avec certitude les praticiens les plus performants en intelligence émotionnelle.

A la lumière de ces remarques, l’application de la mesure effective de l’intelligence émotionnelle pour la sélection des dirigeants semble prématurée, sinon illusoire.

7.3.2 L’avenir de l’intelligence émotionnelle dans la sélection des dirigeants

Si tous les auteurs s’accordent à considérer qu’une forme d’habileté à comprendre et utiliser les émotions est un point essentiel pour diriger des hommes, de nombreuses limites à la définition et la mesure de l’intelligence émotionnelle alimentent le débat académique, résumées par Becker (2003) : « un concept qui a démontré sa résistance à une mesure adéquate ». Parallèlement, mon expérience de praticienne auprès des dirigeants et recruteurs de dirigeants semble indiquer une autre voie. Sur le terrain professionnel, l’intelligence émotionnelle est décrite universellement comme le point de progrès des dirigeants en place, et une compétence à détecter et développer chez les futurs dirigeants. Il ne se passe pas un jour où j’assiste à une réunion « talents » sans que l’intelligence émotionnelle ne soit mentionnée. Les matrices d’assessment incluent ce critère sous de multiples formes. Les catalogues de formations, y compris destinées à des populations de dirigeants, s’enrichissent chaque jour de nouveaux programmes, pratiques ou théoriques, sur le sujet.

L’intérêt même de la « mesure » des capacités IE est discuté par certains experts comme Robert Weisz : inconstante car fortement contextuelle, la mesure n’est probablement pas stable dans le temps ; les compétences émotionnelles s’acquièrent et s’enrichissent au gré de l’expérience et de l’expérimentation. Leur développement et non leur mesure est le véritable enjeu.

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Certains décrivent le courant de l’intelligence émotionnelle comme une mode managériale. Nous y lisons plutôt la continuité des évolutions initiées par le courant des relations humaines. La recherche de dirigeants possédant une solide « intelligence émotionnelle » répond à l’agrégation de tendances fortes, individuelles, organisationnelles et sociétales, appelant à ré- inventer les relations des individus au travail autour de valeurs en accord avec le profil du knowledge worker, recherchant l’accomplissement élevé, dans un environnement où moins de 15% des employés se déclarent engagés au travail selon les enquêtes récurrentes GallUp ; c’est la « meaning revolution » prônée par Fred Kofman.

Kets De Vries, que nous citions en introduction de cette section, écrit que « le chemin vers la position de star commence à l’intérieur de soi41 », et ajoute que « les leaders stars partagent

tous un trait commun : la conscience de soi42 ». C’est une lecture des choses qu’en son temps

déjà Marvin Bower, le patron historique de McKinsey, avait formulé à sa manière, lui d’ordinaire si exigeant sur la rationalité des raisonnements et des comportements : « Successful consultants have a personality that causes most people to like them ».

Devant l’impasse conceptuelle que représente la définition « rationnelle » de l’intelligence émotionnelle, il est nécessaire que je propose au moins une vision de praticienne que prolonge ce travail de recherche : les dirigeants émotionnellement intelligents ont un niveau de développement personnel élevé, savent s’adapter et maintenir leur agilité relationnelle dans toutes les situations ; cette agilité tient à l’aptitude à focaliser différentiellement leur point de vue sur les enjeux, perspectives et contraintes de chaque acteur - eux compris- dans le système. La mesure de telles caractéristiques ne peut alors sans doute que s’observer, non se mesurer, et c’est en cela que la part de l’intelligence émotionnelle dans la sélection et la promotion des

41 To stardom begins inwardly » Kets De Vries

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dirigeants ne doit pas être un regret mais une issue prise en compte à toutes les étapes de l’identification des futurs dirigeants.

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8. L

ES PRATIQUES DE SELECTION DES FUTURS DIRIGEANTS

:

RAISON

(

S

)

ET INTUITION

(

S

)

Toute théorie n’est bonne qu’à condition de s’en servir pour passer outre.

André Gide

Quelle est la raison commune des pratiques de sélection ? Lorsqu’en 2013, le Think Tank Corporate Executive Board interroge 311 dirigeants en Ressources Humaines sur les enjeux de la succession exécutive, «la rétention des talents de haut calibre» (94% des répondants), «l’identification des hauts-potentiels» (87%), la gestion de «l’offre et demande de leaders» (76%) sont les trois champs principaux d’investissement.

La transformation et la globalisation ont donné naissance à des structures organisationnelles allégées ; les réductions d'effectifs et de strates managériales ont accru la dispersion

géographique des collaborateurs, impliquant des responsabilités individuelles accrues,

exigeant un véritable « talent » très tôt dans la carrière managériale. Les modèles digitaux

affaiblissent les frontières industrielles, et la disparition tacite du contrat de « l’emploi à vie »

renforce le turnover des talents. La transparence et la dématérialisation du marché du travail ont facilité l’identification -et la chasse- de ces talents, par ailleurs plus mobiles. Une partie d’entre eux échappe au portefeuille des grandes organisations, s’orientant vers des modèles

entrepreneuriaux dont l’attrait et la diversité se sont considérablement accrus. La

disponibilité, la globalisation, et l’intensification des flux d’information modifient les enjeux de la réputation organisationnelle, l’attractivité et les capacités de rétention des talents des grandes entreprises.

La sélection de « bons » dirigeants est plus que jamais un enjeu critique pour pourvoir aux besoins actuels de l’organisation et préparer son futur.

L’examen des pratiques irrationnelles de la sélection est plus risqué que l’interrogation des concepts qui la sous-tendent. Si la conceptualisation des démarches est rationnelle est largement décrite (Bournois, Roussillon, Thévenet, Dejoux, Voynet, Church, Rottolo), ses applications sur le terrain, dans leurs dimensions individuelles, collectives, culturelles, et

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sociétales, révèlent des aspects socio-dynamiques plus complexes et diversifiés que ne le prévoit la théorie, ménageant une part importante d’irrationalité.

8.1

Les talents et hauts potentiels : la réserve organisationnelle des futurs

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