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DIRIGEANT MODERNE : LE LEADER TRANSCENDANT

6.2 Le leader transcendant, approche intégrative du leadership

6.2.1 Le dirigeant transcendant est un leader transformationnel

La théorie du leader charismatique ou transformationnel est décrite par Antonakis comme le moment de révélation des chercheurs du domaine à l’heure où la recherche semble s’essouffler à la fin des années 70, et que certains appellent même à l’abandon de la discipline. Hunt positionne avec humour le leadership charismatique comme étant à la recherche en leadership « What charismatics leaders are to followers ».

Les leadership transformationnel et charismatique sont souvent assimilés. Certains auteurs comme Downton différentient les deux notions, considérant que le leader d’inspiration « pur » créée l’engagement vers une vision partagée pour le bien commun, sans induire de dépendance émotionnelle ou de révérence au leader. Le terme de charisme connotant une forme d'adoration

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

et d’idéalisation irrationnelle du leader, de nombreux auteurs lui préfèrent la notion d’influence idéalisée, ou de comportements d’influence. Malgré cette limite, pour la suite de ce travail, nous considérerons que le leadership charismatique et le leader transformationnel revêtent une réalité commune.

Bass est considéré comme le référent de la théorie du leadership transformationnel, bien que Downton en ait esquissé les prémisses dans sa théorie fondatrice (1973), proche des positions wébériennes. Sa contribution est suivie par le cadre notionnel de House en 1977, Burns en 1978. House considère que le leadership charismatique est lié à une forme d’attraction

émotionnelle entre leader et suiveurs, le leader charismatique ayant « par la force de (ses)

caractéristiques personnelles des effets profonds et extra-ordinaires sur les suiveurs ».

Les attributs du leader transformationnel tiennent selon Bass à 5 grandes compétences :

l’influence idéalisée, les comportements d’influence, la motivation inspirationnelle, la stimulation intellectuelle, et la considération individualisée. Il propose un cadre intégratif

du leadership transformationnel-transactionnel, support du questionnaire MLQ. Bass identifie comme traits communs à ces leaders des « dons » : la confiance en soi, la conviction morale,

et la tendance à la dominance. La vaste étude de Zenger33 examine les différentiateurs de

performance de ces leaders en valorisant l’engagement et la satisfaction des équipes. Ces attributs clés du leader inspirationnel sont la capacité à être un role model, à engager le

changement, et à initier l’action, dimensions dont la mesure dans le cadre de la sélection des

dirigeants représente un véritable challenge. La confiance en soi, le locus de contrôle interne, l’auto-détermination, la conviction en des valeurs morales, caractérisent le leader transformationnel. Nous examinons ci-après en quoi le leader transcendant intègre les dimensions du leader transformationnel.

6.2.1.1 Le dirigeant transcendant est un influenceur idéalisé de ses suiveurs

Kofman positionne son leader comme un influenceur au service de la mission partagée, dont la puissance et l’inspiration constituent les leviers de l’engagement des collaborateurs. On

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retrouve dans sa description la notion d’autosacrifice, d’exemplarité, d’inspiration. Dans sa perspective, le charisme est positionné comme la résultante et non l’antécédent des valeurs, attitudes et comportements du dirigeant.

En engageant la dimension de réalisation spirituelle de ses suiveurs, l’attitude du leader transcendant de Kofman permet de convertir une attitude de « compliance » obtenue par les attitudes contrôlantes en « engagement intériorisé » au bénéfice d’une mission sociétale noble. Selon Kofman, le dirigeant doit obtenir de ses suiveurs qu’ils investissent leur énergie pour la mission de l’équipe, le leader endossant le rôle de « médiateur » entre suiveurs et mission. Cette perspective entre en rupture avec les visions traditionnelles du leadership, positionnant la mission comme le « message » et l’œuvre proposés par le leader, et le charisme comme un trait et non comme une attitude.

Le charisme est associé de façon plus ou moins explicite au rôle transformationnel du leader ; Kets de Vries a décrit un changement de paradigme dans la perception du leadership avec l’intégration du charisme, plaçant une emphase sur la personnalité des leaders, et leur capacité à affecter la pensée des acteurs pour construire l’engagement collectif vers des résultats extraordinaires (Zaleznik, Bennis et Nanus, Tichy et Devanna). Selon Zaleznik, « Ces leaders (...) semblent gérer le chaos avec une autorité légitimée par leur magnétisme personnel et l’engagement pour leur rôle et leur destinée. ».

Weber, bien après les prescriptions de la rhétorique d’Aristote, était le premier à utiliser la notion de charisme. L’autorité charismatique pour Weber s’oppose à l’autorité bureaucratique, par son impact émotionnel, rompant avec les normes usuelles, mettant en scène une attitude révolutionnaire et transformante. Cette dimension « d’influenceur idéalisé » peut être particulièrement difficile à retranscrire rationnellement dans les processus d’évaluation et de sélection.

Bryman et ses suiveurs reprennent plus spécifiquement la dimension discursive du leadership et sa capacité à donner un sens différent (Clifton 2006, Fairhust 2007, 2009, Nielsen, 2009). Le leadership devient alors un jeu de langage, promoteur d’une vision idéalisée de la réalité subjective, une capacité à élaborer un « management du sens » (Clifton 2012), c’est à dire à reconstruire une réalité de second ordre, idéalisée et partagée, créant un narratif stratégique

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cohérent. Cette dimension du « sens » donné articule une seconde dimension du leader transformationnel, celle de l’engagement vers une vision collective inspirante, antécédent du charisme chez le leader transcendant de Kofman.

6.2.1.2 Le dirigeant transcendant engage ses suiveurs par une vision collective inspirante

En 1990, Zaleznik publie the Leadership Gap, regrettant la « médiocrité managériale » des entreprises américaines, rappelant que le « mythe » de la performance collective ne peut s’affranchir de la force de leaders individuels. La différence entre leaders et managers relève pour lui de la capacité à générer l’engagement au-delà de la relation contractuelle, à convertir les intérêts personnels en intérêts collectifs, mobiliser ce que l’on ne peut pas rétribuer. C’est le positionnement du dirigeant transcendant de Kofman, stimulant l’engagement individuel en accord avec les valeurs collectives. Son leadership est fondé par l’autorité morale, « les cœurs et les esprits ne pouvant être achetés ou forcés, ils doivent être mérités et conquis ».

Selon Kofman, et dans la lignée de la pensée de Maslow, Herzberg et des théoriciens du courant des ressources humaines, les systèmes de récompense matériels offerts par les organisations ne répondent pas, ou pas complètement, aux besoins humains, et ne génèrent pas la motivation. Du point de vue économique, la récompense matérielle se heurte à l’exclusivité des biens et la sélection adverse qu’elle induit. Elle génère des paradoxes systémiques, les récompenses ou KPIs individuels stimulant des comportements individualistes, les systèmes de récompenses collectifs favorisant les free riders tout en écartant les A players.

Kofman rappelle que le besoin de s’engager pour un but supra-ordinal relève d’une quête spirituelle humaine universelle. La vision de l’entreprise définie par la dirigeance doit alors

compléter la vision utilitariste par la valorisation d’une perspective spirituelle, holistique, et contributive au progrès social. Le dirigeant transcendant de Kofman démontre, promeut

et renforce les valeurs communes, notamment l’intégrité et l’authenticité.

6.2.1.3 Le dirigeant transcendant met en œuvre une considération individualisée

Le soutien socio-émotionnel apporté aux suiveurs est l’un des attributs du leader transformationnel ; le leader transformationnel encourage le développement de ses

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collaborateurs par des activités ou missions de développement, par le coaching ou le mentoring. Cette dimension n’exclut pas, mais ne se confond pas, avec la relation de proximité, ni dans la théorie de Bass, ni dans les écrits de Kofman.

Le dirigeant transcendant, selon Kofman, doit engager, reconnaître, lier des employés autonomes dans une communauté marquée par l’agape grec, décrivant une forme de

compassion non émotionnelle, raisonnée, qui lie le leader à ses suiveurs.

Il démontre sa résilience dans les situations difficiles, et exige la même attitude de ses suiveurs, mettant en place un feedback transparent, dans une optique de communication et de développement continu des collaborateurs. L’« escalating collaboration » de Kofman est l’un des comportements illustrant la considération individualisée, le renforcement de l’autonomie des suiveurs, tout en favorisant la capacité à collaborer pour un objectif partagé. Cette pratique permet la stimulation intellectuelle des suiveurs, autre caractéristique des leaders transformationnels.

Il est intéressant de constater que Kofman promeut dans sa description du leader transcendant des compétences et comportements relevant du champ de l’intelligence émotionnelle – terme qu’il n’utilise jamais directement dans ses écrits34.

La dimension de considération individualisée décrite par Kofman entre particulièrement en

résonnance avec les besoins exprimés par les nouvelles générations des knowledge

workers : besoins d’accompagnement, de développement, de mentoring, d’apprentissage continu (Andert 2011, Cekalda 2012, Erickson 2010).

6.2.1.4 Le dirigeant transcendant stimule la créativité et la capacité à gérer la complexité chez ses suiveurs

La créativité et la gestion de la complexité sont des caractéristiques des leaders transformationnels (Bass, Hazy). S’affranchissant de la tendance à répéter les gestes, décisions, et choix qui ont fait leur succès par le passé, les dirigeants doivent illustrer et stimuler la prise

34 Son précédent ouvrage (Conscious leadership), recommandait la mise en œuvre de « compétences émotionnelles » proches de l’approche de Daniel Goleman, qu’il citait en référence.

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de recul, tout en assurant le partage fluide des savoirs ; chaque sous-système de l’entreprise possédant un savoir différentié, le rôle du dirigeant est d’intégrer les perspectives et de

stimuler leur partage. Le leader transcendant met en œuvre un questionnement éclairant et

diffuse la response-ability, attitude constructive et autonome de résolution de problème. Les attributs que l’on peut rapprocher de cette vision du leader sont les capacités d’écoute et d’accompagnement du suiveur, le locus de contrôle interne et les ressources de résilience, l’agilité cognitive du leader et sa capacité à stimuler l’intelligence distribuée.

Le leader transcendant possède la conscience de soi lui permettant d’intégrer des savoirs divers dans une perspective détachée du sens commun, dépassant la mobilisation des routines, c’est à dire mettant en œuvre la pensée intégrative de Roger Martin. La prise de recul sur les situations, la capacité à dépasser la vision d’une réalité de premier ordre sont les antécédents de ces attributs, et devraient être pris en compte dans les processus de sélection.

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