• Aucun résultat trouvé

Définir une vision intégrative du système dirigeants et gouvernants dans les processus de sélection des dirigeants

3.3.1 Les contingences médiatrices de l’interaction entre dirigeance et gouvernance

La nomination des haut-dirigeants de l’entreprise ne procède plus d’une relation duale intéressant exclusivement le comité d’administration et les hauts-dirigeants. La création en France de l’indice Gouvernance (2017) est symptomatique d’une certaine méfiance envers des pratiques de gouvernance trop fermées. La forte exposition médiatique des exécutifs et des grandes entreprises, ou le maintien d’un capital étatique, ajoutent des pressions additionnelles aux processus de sélection, par ailleurs hautement dépendants de l’observation par les actionnaires, leurs représentants ou conseils. L’ensemble des acteurs, visibles et moins visibles, de l’écosystème de l’entreprise entrent dans le « jeu » de la sélection, de façon formelle ou informelle, comme l’a illustré en 2018 la complexité du remplacement du PDG démissionnaire d’Air France.

Le processus de nomination, alors que la succession de Jean-Marc Janaillac n’avait pas été anticipée, a été compliqué par une multiplicité de facteurs : l’intervention d’actionnaires potentiels, celle des représentants de l’état, des actionnaires, les débats internes sur la gouvernance et la dualité des fonctions, au sein d’une compagnie formée par un portefeuille de cultures et de positionnements différentiés. Au-delà des membres de la gouvernance, des acteurs « cachés » du système sont intervenus sur les candidatures successives, à l’image du discours tenu par Philippe Capron indiquant avoir « surtout eu l’impression que [son] arrivée dérangeait ceux qui voulaient faire main basse à bon compte sur Air France-KLM et l’affaiblir

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

», évoquant l’opposition supposée du groupe Accor Hotels à sa nomination, alors même que la rationalité déclarative portait sur son « absence d’expérience du secteur aérien ».

S’il est illusoire de chercher à déterminer un pattern théorique et méthodologique commun aux processus de sélection des dirigeants, la proposition de Withers, Hillman et Cannella, recensant les paramètres et influenceurs de la sélection des administrateurs, propose une simplification séduisante (Figure 1, traduit de l’anglais).

Figure 1: Déterminants de la sélection des directeurs (selon Withers et al. 2012)

Ce schéma illustre le processus de sélection d’un directeur potentiel, intégrant l’intervention des facteurs environnementaux internes et externes. L’approche, que l’on propose d’élargir aux paramètres de la sélection des dirigeants, reste ancrée dans un paradigme très rationaliste, présupposant que tous les éléments et déterminants des décisions sont connus et/ou prévisibles. La simplicité du modèle masque de grands champs additionnels de complexité, puisque le processus se déroule dans le cadre d’un système ouvert et d’acteurs interconnectés. D’autre part, cette approche rationnelle présuppose une information complète, un « sourcing » dans un marché parfaitement transparent, ce qui n’est pas le cas de l’élite managériale.

Sélection des administrateurs Directeur pressenti • Capital humain • Capital social • Influence • Comportements Environnement • Contexte légal • Institution • Concurrence Board • Influence du CEO • Cohésion des élites

managériales • Structure/composition du board Société • Performance • Stratégie • Etape du cycle de vie

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

Les processus de sélection au plus haut niveau apparaissent pourtant plus proches du modèle de la décision organisationnelle proposé par Cohen, March et Olsen (1976, 1986) de la « corbeille », où hasards, opportunismes et rationalités se superposent aux procédures dans la recherche de solutions satisfaisantes, et non maximales. L’ambition de Withers et ses collègues de voir la recherche progresser dans le sens d’une vision plus intégrée et constituer un modèle théorique abouti peut apparaitre utopique face à la complexité des systèmes impliqués et le caractère discret des informations concernées.

Charreaux propose une vision intégrative, réconciliant ces interactions dans le champ de la gouvernance cognitive.

3.3.2 La gouvernance cognitive

Les apports institutionnels et économiques de la théorie de l’agence se lisent dans le monde de l’entreprise en décrivant les normes qu’elle implique ou contraint, exégèse qui l’écarte des problématiques proposées par les contributeurs initiaux de la théorie (Baumol, Marris, Williamson, Alchian et Demsetz).

Après Ross et Mitnick conceptualisant le cadre de référence initial, les recherches de Williamson et d’Alchian, introduisent la notion de discrétion managériale et de coûts de transaction, replaçant au cœur du système la capacité à réaliser les ajustements pour venir à bout des « conflits de position » d’Eisenberg.

Comme le souligne Charreaux, le contrôle de l’organe de gouvernance, appliqué de façon homogène, devient un coût d’industrie ; il réduit la latitude d’action du dirigeant, lisse là son impact différentiant sur la performance, contredisant en cela les prédictions de la théorie de l’agence.

Charreaux propose une ouverture avec le courant de la gouvernance cognitive, rappelant que

les mécanismes et organismes de gouvernance peuvent avoir un potentiel cognitif habilitant et catalyser l’expression in fine des compétences du dirigeant. La gouvernance peut

accompagner le développement du dirigeant, stimuler son ouverture à des schémas cognitifs différents, lui permettre d’exprimer des patterns comportementaux complémentaires.

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

Réconciliant les contradictions entre théorie de l’agence et théorie des échelons supérieurs, la théorie de la gouvernance cognitive s’appuie sur le courant des ressources et compétences, et intègre la pensée d’Hambrick et Mason, en rappelant que le système « gouvernance » peut élargir les choix disponibles pour le dirigeant par l’enrichissement de son environnement

cognitif et disciplinaire. Diverses recherches de terrain semblent appuyer cette théorie,

comme celles d’Hillman (2015) ou Withers, Cannella et Hillman (2010).

Cette approche partenariale de la gouvernance suppose que les compétences du dirigeant doivent être protégées –et donc enracinées- comme ressource organisationnelle, mais aussi que les profils des dirigeants et gouvernants soient complémentaires, soutenant les recommandations pour la mise en œuvre de shared leadership à l’étage des boards et comités (Vandewaerde, Voordeckers, Lambrechts, Bammers, 2011).

La complexité des décisions, la dispersion des informations, et la dimension d’incertitude de l’environnement d’action sont des indications fortes pour la mise en œuvre de shared leadership à l’échelle des conseils d’administration ou boards comme au sein des équipes exécutives ; dans l’exemple de la succession Air France 2018, il est probable qu’un alignement proactif des positions de la gouvernance et de la dirigeance aurait eu pour effet de limiter la durée et l’impact de la transition vers la nouvelle dirigeance.

L’ancrage des dirigeants dans des réseaux protégés, le partage de schémas cognitifs communs - qui peuvent être ceux de l’école d’origine -, le creuset social commun des dirigeants et gouvernants des grandes entreprises françaises, ne soutiennent pas la capacité à installer la gouvernance cognitive. La vaste étude de O’Neal et Thomas (1995) a montré la réticence de

la grande majorité des CEOs à constituer des comités exclusivement formés de directeurs externes.

La théorie de la gouvernance cognitive devra gagner en notoriété pour être adoptée par des dirigeants installés dans une vision disciplinaire de la gouvernance, plus en recherche de latitude que d’ouverture. La question du rôle de la gouvernance et de son interaction avec les processus de sélection des dirigeants se pose donc en termes légaux, économiques, mais aussi, comportementaux et socio-dynamiques. L’habitus des décideurs se trouve au cœur du sujet de la sélection réciproque entre dirigeants et gouvernants des grandes entreprises.

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

3.4

L’influence de la notion de dirigeant sur la gestion des dirigeants et

Outline

Documents relatifs