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L’anticipation de l’exercice du pouvoir constituant originaire

Paragraphe 1 Les règles constituantes

335. Les règles constituantes seront appréhendées à l’aune de l’objectif politique de leurs promoteurs, à savoir l’armée et les acteurs politiques non-islamistes. Cet objectif consistait,

546 Le terme « règles constituantes » est préféré à celui de « principes constituants », dès lors que la notion de principe renvoie à des règles « défectibles » et « structurellement vagues ». GUASTINI, Riccardo, Leçons de théorie constitutionnelle, op.cit., p. 226. Or, certaines règles constituantes du document El-Selmi avaient un objet très particulier, comme celles relatives aux compétences des militaires.

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comme évoqué ci-dessus, à limiter l’expression de la volonté des islamistes dans la rédaction de la constitution, dont l’armée et les non-islamistes anticipaient qu’ils domineraient la commission constituante. L’analyse se concentrera ainsi sur les règles constituantes que rejetèrent les islamistes dès lors qu’on suppose que ce sont ces dispositions qui les auraient effectivement contraints dans la rédaction de la constitution si le document El-Selmi avait été adopté. Aussi, il sera distingué selon que le refus des islamistes portait sur le contenu des règles (A) ou sur la force de la contrainte qu’elles devaient faire peser sur la commission constituante (B).

A - Le contenu des règles constituantes

336. Si en France, islamisme et libéralisme sont communément considérés comme deux notions antithétiques, un tel point de vue ne permettrait pas de comprendre le discours des islamistes égyptiens et particulièrement des Frères musulmans547. La Confrérie souscrivait

largement au référentiel démocratique. Elle ne le fit pas seulement opportunément548, après

la chute de Moubarak, pour profiter de l’ouverture du jeu électoral et de la clientèle que lui apportaient ses réseaux d’institutions sociales, afin d’accaparer le pouvoir. Le recours au lexique démocratique par les Frères musulmans549 était historiquement ancré et remontait

aux années 80 et à leur décision d’intégrer l’arène parlementaire550. Cette entrée induisit,

comme le soulignent Patrick Haenni et Husam Tammam, un « effet de champ551 », qui se

traduisit par l’ajustement de leur discours politique à celui des acteurs de cette arène. Le

547 Le discours des Frères musulmans n’est évidemment pas exempt d’une critique démocratique. Voir par exemple FEGIERY, Moataz El, « A Tyranny of the Majority? Islamists ’Ambivalence about Human Rights », Fride, 2012, n° 113.

548 Cette idée d’un opportunisme démocratique des Frères musulmans sous-tendit beaucoup d’analyses médiatiques occidentales de la période postrévolutionnaire. La métaphore saisonnière était utilisée pour avancer qu’un hiver islamiste avait succédé aux printemps arabes.

549 Pour Olivier Roy, l’imprégnation des références de la démocratie occidentale dans le discours islamiste signalait « l’échec de l’Islam politique ». Cet échec s’inscrivait pour lui dans un phénomène plus global d’interpénétration de la sphère religieuse avec les autres sphères sociales, qui avait abouti à la dissolution de la spécificité de la première et à l’avènement d’une ère qu’Olivier Roy qualifie de post-islamiste. ROY, Olivier, « Le post-islamisme », Revue des mondes musulmans et de la

Méditerranée, 1999, n° 85-86, pp. 11-30.

550Cette entrée coïncida avec la « relative ouverture » du régime de Moubarak par rapport à celui de Sadate. Elle fut marquée par une alliance des Frères musulmans avec le parti bourgeois-libéral Wafd aux élections législatives de 1984. ELSHOBAKI, Amr, Les frères musulmans des origines à nos

jours, Paris, Karthala, 2009, pp. 139-169.

551« Sur la scène politique, l’effet de champ, c’est avant tout l’imposition de la grammaire de l’État nation sur les solidarités politiques censées découler de la commune appartenance à la Oumma ». HAENNI, Patrick et TAMAM, Hussam, Islamisme et islamisation : courants et tendances, op.cit., p. 892.

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langage politique du parti national démocratique de Hosni Moubarak n’était pas simplement celui de l’État nation mais aussi, en dépit des pratiques autoritaires du régime, celui de la démocratie. Cette ambivalence du pouvoir égyptien renvoyait dans la littérature au modèle de « l’autoritarisme consolidé552 »,correspondant à une organisation politique

dans laquelle la verticalité du pouvoir se mêle à une composition des autorités avec leur environnement international, qui encourageait alors à une « démocratisation de l’Égypte553 ». Aux côtés des autres opposants, les Frères musulmans investirent le lexique

démocratique pour dénoncer la discordance entre le discours officiel du pouvoir et de son pendant parlementaire, le parti national démocratique, avec ses pratiques autoritaires. Le marqueur idéologique des Frères musulmans égyptiens n’était donc pas le rejet de la démocratie au profit de la théocratie, mais plutôt une composition entre éléments démocratiques et éléments issus de la culture islamique554 que François Burgat qualifie

comme une « réécriture des catégories modernes du politique avec des références empruntées au référentiel islamique »555.

337. Cet éclairage historique sur l’idéologie des Frères musulmans, une Confrérie qui constituait à l’époque du document El-Selmi le seul acteur islamiste important556, permet

de comprendre pourquoi les islamistes ne manifestèrent pas leur opposition aux règles constituantes du texte qui renvoyaient à l’univers de sens du constitutionnalisme libéral, à savoir les articles reconnaissant la souveraineté populaire (al-siyada li-l-sha’b)557,

552 Ce modèle fut élaboré par Michel Camau et Vincent Geisser à partir du cas de la Tunisie de Ben Ali. Le régime autoritaire consolidé combine « une capacité et un degré élevé de réflexion avec la libéralisation économique, la promotion de l’expertise et de l’associationisme apolitique, la référence à la bonne gouvernance, un pluralisme contrôlé et l’organisation périodique d’élections sans surprises ». CAMAU, Michel, « L’exception autoritaire ou l'improbable Point d'Archimède de la politique dans le monde arabe », in PICARD, Elizabeth (éd.), La politique dans le monde arabe, Paris, Armand Colin, 2006, p. 53 ; CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, Le syndrome autoritaire :

politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, Paris, Presses de Science Po, 2003.

553KIENLE, Eberhard, A Grand Delusion: Democracy and Economic Reform in Egypt, op.cit. 554 BURGAT, François, « Les mobilisations politiques à référent islamique » in PICARD, Elizabeth (éd.), La politique dans le monde arabe, Paris, Armand Colin, 2006, p. 96.

555Ibid.

556Ce fut principalement avec le parti Liberté et Justice des Frères musulmans qu’Ali El-Selmi et les forces non-islamistes négocièrent. L’autre acteur politique islamiste majeur de la période transitoire, le parti salafiste al-Nour, se révèlera plus tard, en terminant second des élections législatives de janvier et février 2012 à la surprise générale.

557 Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Principes fondamentaux de l’État égyptien moderne,

Article 3 alinéa 1 : « La souveraineté appartient uniquement au peuple, qui est la source de tout pouvoir » (voir annexe 6).

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l’équilibre entre les pouvoirs (al-tawazun bayn al-sulṭat)558, le multipartisme (nizam

ta’ddud al-ahzab), l’indépendance des juges559 et des droits et libertés individuelles560.

338. Le débat autour du contenu des règles constituantes entre les islamistes et les non- islamistes se concentra sur une seule disposition : un énoncé définissant l’État égyptien comme « un État civil démocratique qui repose sur la citoyenneté et sur l’État de droit561». Les Frères musulmans exigèrent ainsi le retrait du terme « État civil » (dawla madaniyya) du document El-Selmi, alors que les non-islamistes insistèrent pour qu’il y soit maintenu562.

Cette revendication des Frères musulmans discordait pourtant avec leur programme politique dans lequel ils promouvaient l’établissement d’un « État civil563 ». Le syntagme

avait fait consensus en Égypte564, mais aussi en Tunisie565 parmi les forces sociales,

islamistes et non-islamistes, juste après le renversement des présidents Ben Ali et Moubarak. L’État civil renvoyait à un accord quant à la mise à l’écart des militaires du pouvoir politique et au fait que l’État devait être dirigé par un personnel « civil » en opposition à militaire. La notion possédait toutefois un caractère « amorphe566 » et recelait

« un potentiel interprétatif large » pour reprendre les mots de Jean Philippe Bras567. Ce flou

se traduisit en Égypte par des déclinaisons divergentes de l’État civil entre islamistes et non-islamistes, cette notion en vint alors à représenter pour les deux catégories d’acteurs

558 Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Principes fondamentaux de l’État égyptien moderne,

Article 4 : « Le système politique de l'État doit être républicain et démocratique et repose sur l’équilibre entre les pouvoirs, l’alternance pacifique de pouvoir et un système multipartiste […] » (ibid.).

559 Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Principes fondamentaux de l’État égyptien moderne,

Article 5 alinéa 2 : « L'indépendance du pouvoir judiciaire est une garantie essentielle que l'État et ses institutions soient soumis à la loi et que tous les citoyens accèdent à la justice » (ibid.).

56011 articles leur étaient dédiés (ibid).

561 Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Principes fondamentaux de l’État égyptien moderne,

Article 1 (ibid.).

562EL-SELMI, Ali, « Al-tahawwul al-dimuqrati », op.cit., p. 169.

563 Le principe du programme électoral des Frères musulmans sous Moubarak était, selon Amr El- Shobaki, « la référence islamique et les mécanismes démocratiques d’un État civil moderne ». ELSHOBAKI, Amr, Les frères musulmans des origines à nos jours, op.cit., p. 257.

564HILL, Peter, « ‘The Civil’ and ‘the Secular’ in Contemporary Arab Politics », Muftah, 2013. 565 BRAS, Jean-Philippe. « Un État ‘civil’ peut-il être religieux ? Débats tunisiens », Pouvoirs, n° 156, p.63. L’auteur qualifie l’État civil de notion charnière ou de notion coopérative.

566 STEUER, C. et BLOUËT, A, « The Notions of Citizenship and the Civil State in the Egyptian Transition Process », Middle East Law and Governance, 2015, vol. 7, n° 2, p. 239.

567 L’État civil renvoie à « un univers de sens qui fait tenir ensemble des registres éthiques ou d’action a priori contradictoires ». BRAS, Jean-Philippe, « Un État ‘civil’ peut-il être religieux ? »,

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un espace d’opposition quant à la question de la citoyenneté568. Si, pour les islamistes,

l’État civil devait signifier un compromis entre principe citoyen et principe religieux569,

pour les non-islamistes, l’État civil constituait l’équivalent de l’État laïc et était dénué de composante religieuse570. C’est à l’aune de cette polysémie qu’il faut comprendre le refus

des islamistes d’inclure le terme « État civil » dans les règles constituantes du document El-Selmi en ce qu’ils craignaient qu’il leur soit opposé dans la rédaction de la constitution pour faire barrage à leurs velléités d’islamiser le droit constitutionnel égyptien.

339. Si islamistes et non-islamistes s’opposèrent autour de l’inclusion du terme « État civil » dans le document El-Selmi, ils s’accordèrent sur un point : le rejet des règles constituantes relatives aux compétences de l’armée. Ces règles furent, comme évoqué plus haut, ajoutées par les militaires eux-mêmes sans le consentement des acteurs politiques, des acteurs qui accusèrent alors le CSFA de tenter d’instituer un « État dans l’État571 ».

340. Ce rejet reposait sur une interprétation de ces dispositions comme impliquant « une insubordination du pouvoir militaire vis-à-vis du pouvoir civil572 » dans le système

constitutionnel associé à la future constitution. Les forces politiques anticipaient qu’elles y figureraient en position de faiblesse vis-à-vis de l’armée. De fait, ces énoncés évoquaient en des termes précis d’importantes compétences au profit de l’armée égyptienne, dont le contenu général pouvait s’inscrire dans une dualité de la notion d’insubordination signifiant à la fois supériorité et indépendance.

341. Une des règles constituantes était ainsi interprétée par les acteurs politiques comme impliquant une prééminence des militaires par rapport aux autorités civiles dans

568 Voir STEUER, Clément et BLOUËT, Alexis, « The Notions of Citizenship and the Civil State »,

op.cit.

569 Tariq Ramadan avance que le terme « État civil » est employé par les militants islamistes pour se distinguer du modèle théocratique de l’Iran et aussi pour manifester leur opposition à un modèle d’État laïc prôné par les acteurs politiques non-islamistes.RAMADAN, Tariq, The Arab Awakening:

Islam and the New Middle East, Londres, Allen Lane, 2012.

570La plupart des non-islamistes refusaient pourtant d’employer le terme laïc (‘almani) publiquement, en estimant qu’il serait mal reçu par une population très pieuse. STEUER, Clément. et BLOUËT, Alexis, « The Notions of Citizenship and the Civil State », op.cit., p. 243.

571 Interview de Mohamed El-Baradei, ancien président de l’Agence internationale pour l’énergie atomique et fondateur du parti social-libéral Dostour. Al-Yum al-Sabiʿ, 3 novembre 2012.

572L’expression est empruntée à Patrick Papazian qui fait de « la subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil » un principe consubstantiel des démocraties libérales. PAPAZIAN, Patrick, La

séparation des pouvoirs civil et militaire en droit comparé, Thèse, Université Panthéon-Assas, 2012,

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l’hypothèse d’une crise. Cette règle comportait un énoncé soulignant que l’armée avait pour mission de protéger la légitimité constitutionnelle :

L'État seul établit les forces armées, qui sont la propriété du peuple et qui ont pour mission de protéger le pays, l'intégrité de son territoire, sa sécurité et de préserver son unité ainsi que de défendre la légitimité constitutionnelle573.

Les acteurs politiques paraissaient redouter qu’un tel énoncé puisse conduire à une disposition dans la nouvelle constitution susceptible de légitimer un coup d’État, sous prétexte de la qualification d’un évènement comme constituant une « atteinte à la légitimité constitutionnelle ».

342. Les autres règles constituantes relatives aux compétences de l’armée furent interprétées par les acteurs politiques comme ayant vocation à garantir le contrôle des militaires sur leurs propres affaires, autrement dit l’autonomie du corps de l’armée vis-à- vis des autorités civiles. Ces règles disposaient que :

Le Conseil supérieur des forces armées est seul responsable pour toutes les questions relatives aux forces armées ainsi que pour discuter son budget, qui doit être incorporé sur une seule ligne dans le budget annuel de l'État. Il est également exclusivement compétent pour approuver tous les projets de loi relatifs aux forces armées avant leur entrée en vigueur574.

Le président de la République déclare la guerre avec l’accord du Conseil supérieur pour les forces armées et de l’Assemblée du Peuple575.

Ces énoncés paraissaient destinés à permettre d’instituer des compétences partagées entre civil et militaire dans le domaine « militaire », à savoir une faculté d’empêcher du CSFA vis-à-vis des organes de gouvernement concernant le budget de l’armée, les lois de défense et la déclaration de guerre. Aucune décision en matière de défense ne semblait

573 Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Principes fondamentaux de l’État égyptien moderne,

Article 9 alinéa 1 (voir annexe 6).

574 Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Principes fondamentaux de l’État égyptien moderne,

Article 9 alinéa 2 (ibid.).

575 Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Principes fondamentaux de l’État égyptien moderne,

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ainsi pouvoir être prise sans l’assentiment des officiers dans le futur système constitutionnel dessiné par le document El-Selmi.

343. Ces règles constituantes ne soulevèrent pas seulement des questions s’agissant de leur contenu mais également vis-à-vis de leur force contraignante sur la commission constituante.

B - La force contraignante des règles constituantes

344. Les règles constituantes soulevèrent plusieurs interrogations quant à leur force contraignante sur la commission constituante.

345. La première concernait leur recoupement ou non avec les « composantes fondamentales de l'État et de la société égyptienne, et les droits et libertés publiques reconnus dans les constitutions égyptiennes successives ». Il s’agissait, comme nous le verrons plus bas, des énoncés à l’aune desquels la Haute Cour constitutionnelle devait pouvoir « certifier » le projet de constitution de la commission constituante sur saisine du CSFA, conformément à une autre disposition du document El-Selmi576. L’interrogation

était pertinente, car le langage des règles constituantes était similaire à celui employé par les anciens constituants égyptiens. La rédaction des règles constituantes avait en effet, dans le document El-Selmi, largement consisté en une transposition d’énoncés contenus dans les constitutions égyptiennes précédentes577. A l’échelle de la commission constituante,

576 Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Critères de formation de l'Assemblée constituante pour

la rédaction d'une nouvelle constitution pour le pays, article 2. « Si le projet de constitution préparé par l'Assemblée constituante comprend une ou plusieurs dispositions contraires aux composantes fondamentales de l'État et de la société égyptienne, et aux droits et libertés publiques reconnus dans les constitutions égyptiennes successives y compris la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011 et les déclarations constitutionnelles qui ont suivi, le Conseil supérieur des forces armées, en vertu des pouvoirs présidentiels qu’il exerce pendant la période transitoire, exigera que l'Assemblée constituante réexamine ces dispositions dans un délai maximum de quinze jours. Si l'Assemblée ne s’y conforme pas, le Conseil présentera la question à la Haute Cour constitutionnelle, qui adoptera une décision dans les sept jours suivant la date de soumission. La décision rendue par la Haute Cour constitutionnelle sera obligatoire pour toutes les parties et autorités de l'État » (voir annexe 6). 577 Voici deux exemples. Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Principes fondamentaux de l’État

égyptien moderne, article 2 et Constitution de 1971, article 2 : « L'islam est la religion de l'État, et l’arabe est sa langue officielle. Les principes de la sharia islamique sont la source principale de la législation […] ». Document El-Selmi, 1er novembre 2011, Principes fondamentaux de l’État égyptien

moderne, article 12 et Constitution de 1971, article 46 : « L'État garantit la liberté de croyance et protège la liberté de culte et de pratique des rites religieux. Il protège les lieux de culte ». Les dispositions controversées abordées dans le paragraphe précédent sur le rôle de l’armée et « l’État civil » étaient néanmoins inédites et n’avaient figuré dans aucune constitution égyptienne.

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l’enjeu consistait alors à savoir si les règles constituantes visaient simplement à influencer l’argumentation dans la rédaction de la constitution, ou aussi à instituer une contrainte organique. La commission constituante devrait-elle également tenir compte de l’interprétation qu’en ferait ou pourrait en faire le CSFA et la Haute Cour constitutionnelle dans le cadre de la procédure de certification ?

346. Même en supposant que les règles constituantes n’avaient qu’une simple vocation argumentative et devaient être dissociées de la procédure de certification que devait instituer le document El-Selmi, une autre question se posait. Le respect des règles constituantes était-il obligatoire ou facultatif pour la commission constituante ? Devait-elle arguer de la conformité du projet de constitution aux règles constituantes578 ou ces règles

n’étaient-elles que de la « soft law » dotée d’une simple force recommandatoire ? Autrement dit, les règles constituantes feraient-elles office de contraintes de l’argumentation pour les membres de la commission constituante ou de simple ressource argumentative, que la commission constituante pourrait choisir d’employer ou non pour légitimer son travail.

347. Cette incertitude quant à la force contraignante des règles constituantes sur la commission constituante se manifesta dans la réaction des Frères musulmans au document El-Selmi qui s’insurgèrent ainsi par la voie de Mohamed Beltagy : « On ne peut rien imposer à l’Assemblée constituante qui sera élue par les représentants du peuple. Il est possible d’énoncer des principes. Ils pourront aider les membres de l’Assemblée dans la rédaction du projet de constitution. Mais ils ne pourront en aucun cas s’imposer à eux579 ».

Les Frères musulmans exigèrent l’ajout d’un énoncé au document El-Selmi instituant les règles constituantes comme une simple ressource argumentative et demandèrent donc à ce

578L’énonciation de règles constituantes sans dispositif de sanction pour l’organe de rédaction de la constitution se retrouve dans le processus constituant cambodgien après la chute du régime Khmer. L’Assemblée constituante devait respecter des règles constituantes comprises dans l’accord de paix de l’ONU, sans qu’aucun organe ne puisse censurer la conformité du projet de constitution au cas où l’Assemblée constituante aurait violé ces règles. MARKS, Stephen, « The Process of Creating a New Constitution in Cambodia », in MILLER, Laurel E. et AUCOIN, Louis (ed.), Framing the State in

Times of Transition. Case Studies in Constitution Making, op.cit., pp. 253-271.

579Al-Yum al-Sabiʿ, 4 novembre 2011. Mohamed Beltagy était membre du parti Liberté et Justice des

Frères musulmans et devint président du comité de relations publiques de la commission constituante nommée le 12 juin 2012.

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qu’elles soient qualifiées de « principes de guidance (istirchad)580 » dans le préambule581.

348. Si les Frères musulmans souhaitaient que les membres de la commission

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