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L’anticipation de l’exercice du pouvoir constituant originaire

Paragraphe 1 La compétence du CSFA d’autoriser l’élection de la commission constituante

315. Les propositions d’amendements du comité El-Bichry approuvées par référendum le 19 mars 2011 attribuaient la maîtrise du déclenchement de la procédure constituante à la chambre basse, l’Assemblée du Peuple :

Le président de la République, avec l’accord du conseil des ministres, ainsi que la moitié des membres de l’Assemblée du Peuple et du Conseil consultatif, peuvent demander l’adoption d’une nouvelle constitution. Les membres non nommés de la première Assemblée du Peuple et du Conseil consultatif se réunissent dans une session commune, à l'invitation du Conseil supérieur des forces armées, dans les six mois

511 La désignation qui renvoie à l’acte de choisir des individus susceptibles d’exercer une fonction est à distinguer de la nomination, qui est l’acte de décider qui, parmi les individus désignés, exercera cette fonction.MONTAY, Benoit, « Le pouvoir de nomination de l’Exécutif sous la Ve République »,

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après leur élection, pour élire une Assemblée constituante formée de cent membres […]512.

Dans un délai de six mois après leur élection, les membres élus de l’Assemblée du Peuple et du Conseil consultatif se réunissent pour choisir une Assemblée constituante conformément aux dispositions de l’article 189513.

La procédure constituante devait ainsi débuter par une décision invitant les parlementaires élus à se réunir pour nommer la commission constituante. Pour le comité El-Bichry, l’attribution de cette compétence variait selon un critère temporel. Dans un premier temps, le pouvoir de déclencher la procédure constituante était partagé entre le président de la République, le gouvernement et l’Assemblée du Peuple. Dans un second temps, en l’absence d’un accord entre ces trois organes, le pouvoir de déclencher la procédure constituante revenait à l’Assemblée du Peuple seule. Ainsi le Parlement, à travers une de ses chambres, contrôlait la décision de procéder à la nomination de la commission constituante, dès lors qu’il détenait le dernier mot en cas de désaccord avec le président de la République ou le gouvernement.

316. Dans la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011, les militaires modifièrent ces énoncés relatifs au déclenchement de la procédure constituante, en dépit du fait qu’ils avaient été approuvés par référendum. L’article 60 de la Proclamation disposait ainsi que :

Les membres non nommés de la première Assemblée du Peuple et du Conseil consultatif se réunissent dans une session commune, à l'invitation du Conseil supérieur des forces armées, dans les six mois suivant leur élection, pour élire une Assemblée constituante formée de cent membres […].

Au dispositif d’initiative maîtrisé par l’Assemblée du Peuple évoqué ci-dessus, le CSFA substituait une décision simple prise par lui-même. Autrement dit, les militaires conditionnaient la prérogative des parlementaires de nommer la commission constituante à leur accord préalable.

317. L’auto-attribution par les militaires du pouvoir de déclencher la procédure constituante pouvait leur permettre d’influencer la composition de la commission constituante. Ainsi, la menace du refus d’une « invitation à se réunir » pour élire la

512 Amendements à la Constitution de 1971 soumis à référendum le 19 mars 2011, article 189 (voir

annexe 4).

513Amendements à la Constitution de 1971 soumis à référendum le 19 mars 2011, article 189 bis (voir

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commission constituante pouvait contraindre la majorité islamiste à s’engager, avant le vote, à nommer une commission constituante convenant suffisamment aux militaires, en garantissant, à titre d’exemple qu’elle contienne des représentants des forces armées ou qu’elle ne soit pas excessivement dominée par les islamistes. C’est d’ailleurs à cette fin que le CSFA usa de sa compétence durant la phase de nomination de la commission constituante du 12 juin 2012. Les militaires conditionnèrent le déclenchement de la procédure à un consensus préalable des parlementaires sur la composition de la commission constituante, un accord qui, au demeurant, réserva aux militaires plusieurs sièges au sein de cet organe514.

318. L’auto-attribution du pouvoir de déclencher la procédure constituante ne manifestait pas seulement la volonté de l’armée d’influencer la composition de la commission constituante. Cette prérogative paraissait avoir aussi une fonction relative à son mandat dans l’organisation des pouvoirs publics de la période transitoire515. Le CSFA

était, rappelons-le, un gouvernement provisoire qui s’était engagé à quitter le pouvoir après les élections législatives et présidentielles, et il exerçait les compétences du Conseil consultatif, de l’Assemblée du Peuple et du président de la République jusqu’à leur intronisation. L’auto-attribution de la compétence de déclencher la procédure constituante permettait alors de justifier la présence de l’armée au pouvoir, au moins jusqu’à ce que le CSFA ait exercé cette compétence. Cette modification des amendements du comité El- Bichry s’opposait, comme nous l’avons vu, à la volonté des juristes qui entendaient justement éviter la présence du CSFA au pouvoir pendant la procédure constituante pour éviter son influence sur la rédaction de la constitution.

319. Si l’armée entendait être au pouvoir dès le début de la procédure constituante, ce n’était pas seulement pour influencer le travail de la commission constituante. Il s’agissait aussi de protéger ses intérêts et notamment son autonomie par rapport aux compétences des organes politiques de l’organisation provisoire des pouvoirs publics. Ainsi, le fait que le CSFA se soit attribué la compétence de déclencher la procédure constituante lui

514Deux sièges furent attribués au général Mamdouh Chahine, chargé des affaires constitutionnelles au sein du CSFA, et au général Barakat, chef du parquet des juridictions militaires.

515 A considérer que les règles d’élaboration de la constitution soient « matériellement » constitutionnelles, ce dessein du CSFA renvoie à l’autonomie du système constitutionnel au sens de Michel Troper. TROPER, Michel, « La constitution comme système juridique autonome », op.cit., p. 70.

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permettait de justifier un certain calendrier de la période transitoire516. Tout d’abord

auraient lieu les élections législatives, puisqu’il fallait qu’elles se tiennent pour que la commission constituante soit nommée. Ensuite, la procédure constituante débuterait. Enfin seulement, les élections présidentielles se tiendraient.

320. La concentration des pouvoirs législatif et exécutif dans les mains du CSFA517

jusqu’aux élections législatives pouvait permettre aux militaires de superviser l’élaboration de la loi électorale518 et d’influer si nécessaire, par cette entremise, sur la composition des

deux organes législatifs. L’équilibre politique du Parlement importait pour les militaires, eu égard non seulement à sa compétence de nomination dans la procédure constituante, mais aussi au pouvoir législatif de l’Assemblée du Peuple qui était susceptible de s’exercer dans le domaine de la défense519. De surcroit, ce calendrier reportait au dernier moment

l’apparition du président dans l’organisation des pouvoirs publics. Or, le président était aussi susceptible d’intervenir dans le pré-carré des militaires, de par ses pouvoirs de nomination520, son statut de commandant des forces armées et la légitimité populaire que

sa victoire électorale lui offrirait. L’arrivée du successeur de Moubarak était d’autant plus

516La Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011 ne contenait aucun énoncé explicite relatif au calendrier électoral de la période transitoire.

517 L’article 56 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011 avait pour fonction d’attribuer au CSFA les compétences du président de la Républiqueet le pouvoir législatif avant la tenue des élections législatives et présidentielles. Le CSFA devait dominer la fonction exécutive en vertu de l’alinéa 7 qui rendait le gouvernement responsable devant le président de la République.

518 Dès la Déclaration constitutionnelle du 13 février 2011, le CSFA s’engagea à modifier les lois relatives aux procédures électorales, dont celle relative à la formation de l’Assemblée du peuple, la loi n°38 de l’année 1972, et celle relative à la formation du Conseil consultatif, la loi n°120 de l’année 1980. Cette promesse d’amendement constituait une réaction à l’intégration du droit électoral dans la stratégie autoritaire du régime de Hosni Moubarak. La tactique consistait à laisser l’apparence d’élections libres tout en s’assurant que les résultats soient toujours favorables aux candidats du régime. Les militaires confièrent aussi la rédaction des projets d’amendement des lois électorales au comité El-Bichry. Ces modifications furent ensuite négociées et ratifiées par les acteurs politiques, sous la supervision du gouvernement et des militaires à l’automne 2011. Pour une analyse de la réforme électorale après la Révolution du 25 janvier voir : JERMANOVA, Tereza, Explaining the

Electoral System Reform ahead of the 2011/2012 Elections to the People’s Assembly in Egypt,

Mémoire, University of Exeter, 2013.

519Plusieurs textes législatifs régulaient le fonctionnement des forces armées, comme la loi n° 25 de l’année 66 sur les tribunaux militaires, le décret-loi n° 4 de 1968 concernant la direction et le contrôle des affaires de l’armée ou la loi n°127 de l’année 1980 sur le service militaire.

520L’article 56 alinéa 8 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011 attribuait au président de la République le pouvoir de « nommer les fonctionnaires civils, les militaires et les diplomates et les limoger conformément à la manière prescrite dans la loi, et accréditer les diplomates des États étrangers ». Un mois après son arrivée au pouvoir, le 12 août 2012, le président Morsi usa des prérogatives de cet article et bouleversa le sommet de la hiérarchie militaire. Le nouveau président mit à la retraite les numéros 1 et 2 des forces armées, Hussein Tantaoui, l’ancien chef d’État par intérim, et Sami Annan. Tous deux furent nommés conseillers du président et remplacés, respectivement, par les généraux Abdel Fatah al-Sissi et Sedki Sobhi.

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préoccupante pour les militaires, que ce dernier risquait de ne pas être issu des rangs de l’armée, ce qui constituerait une première dans l’histoire égyptienne.

321. Le pouvoir de nomination du Parlement ne devait pas seulement être contraint par la compétence des militaires d’autoriser cette nomination, mais également par la compétence dévolue à désigner les individus qui seraient habilités à figurer dans la

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