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247. Le concept de pouvoir pré-constituant conduit à considérer l’exercice du pouvoir constituant originaire, c’est-à-dire le phénomène d’élaboration d’une nouvelle constitution, en tant qu’objet de normes. Celles-ci concernent l’institution des organes de la procédure constituante, la définition de leur statut, de leurs compétences, et de leurs modalités d’exercice. Quelques fois ces normes définissent aussi le régime du contentieux des actes de la procédure constituante ou instituent des règles de fond s’appliquant lors de la rédaction de la constitution. Tous ces domaines constituent le champ matériel de la définition du pouvoir pré-constituant, la dimension objective de la définition du concept. 248. Cet ensemble de règles constitue-t-il un découpage pertinent dans le système juridique ? Est-il doté d’une cohérence suffisante pour que le sens de chaque règle pré- constituante soit appréhendé en relation à l’existence des autres règles pré-constituantes ? Ou la substance de ces règles ne pourrait-elle être appréhendée que d’un point de vue micro, c’est-à-dire que les règles pré-constituantes ne pourraient être analysées que comme des unités distinctes, comme c’est le cas dans les manuels de droit constitutionnel qui se concentrent généralement sur la règle de nomination de l’organe de rédaction de la constitution ? A une échelle encore plus large, la question de la fonction des règles pré- constituantes422 mériterait d’être posée vis-à-vis des dispositions régulant l’organisation

des pouvoirs publics de la période transitoire, à l’égard desquelles on peut se demander si elles sont autonomes.

249. Pour déterminer cela, il serait tentant de se baser sur le déroulé de la(des)423

422 La fonction est ici entendue comme « contribution qu’apporte un élément à l’organisation ou à l’action de l’ensemble dont il fait partie ».ALBERTINI, Pierre, Le droit de dissolution et les systèmes

constitutionnels français, op.cit., p. 26.

423Rappelons qu’il y’eut deux procédures constituantes. La première échoua suite à l’invalidation de la nomination de la commission constituante du 24 mars 2012 par la Cour du contentieux administratif

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procédure(s) constituante(s), et d’y évaluer l’effet des règles et dispositifs pré-constituants, mais le cas égyptien rend une telle démarche difficile. Contrairement à ce que le terme pré- constituant sous-entend, les règles d’exercice du pouvoir constituant originaire n’ont pas exclusivement précédé la procédure constituante, ces normes continuèrent à être définies pendant son déroulé. Le regard sur la globalité du phénomène constituant fausserait alors l’évaluation de la fonction de certaines règles pré-constituantes, en ce qu’elles n’eurent un impact que sur un épisode de celui-ci. Par ailleurs, il est impossible de déterminer la portée de certaines règles pré-constituantes, soit parce qu’elles n’existèrent qu’à l’état de projet424,

soit par manque de matériau car elles ne furent en vigueur que trop brièvement425.

250. Cette partie ne se focalisera donc pas directement sur l’exercice du pouvoir constituant originaire, mais sur le contenu de ces règles d’élaboration de la constitution. L’approche sera stratégique et centrée sur les acteurs du système juridique qui les rédigèrent ou les adoptèrent. Le processus constituant sera ainsi envisagé à travers la conception que ces acteurs pouvaient en avoir au moment où ils élaborèrent les règles pré- constituantes. A partir de leur volonté politique nous envisagerons la fonction des normes pré-constituantes par rapport aux comportements et aux actes qu’elles devaient induire auprès des organes de la procédure constituante. L’exercice positif du pouvoir constituant originaire ne sera pas occulté mais envisagé en creux426, dans la mesure où après le début

de la procédure constituante l’ensemble formé par les règles pré-constituantes fut ajusté en réaction aux manifestations du processus constituant427, conformément à l’idée de

dialectique entre le droit et le social et de causalité circulaire qui unit ces deux domaines

le 10 avril 2012. La seconde, marquée par la nomination d’une nouvelle commission constituante le 12 juin 2012, mena à l’adoption de la Constitution du 25 décembre 2012.

424 Le projet d’acte constitutionnel complétif intitulé document El-Selmi fut abandonné suite aux incidents de Mohamed Mahmoud fin novembre 2011.

425L’acte constitutionnel complétif du 9 décembre 2012 fut, à titre d’exemple, adopté quelques jours avant l’adoption de la constitution le 25 décembre 2012, et il ne resta donc en vigueur que deux semaines.

426Cette partie se concentrera sur les nominations des commissions constituantes du 24 mars 2012 et du 12 juin 2012. La suite du déroulé de la procédure constituante seront abordées dans le titre 2 de la partie 3.

427 Ici, les règles d’exercice du pouvoir constituant originaire eurent une influence sur l’exercice positif de ce pouvoir, en fonction de laquelle furent élaborées de nouvelles règles. « La dynamique juridique ne résulte pas de processus purement internes à l’ordre juridique, mais bien de la dialectique entre le droit et le fait. Inversement, le droit ne se borne pas à reproduire mécaniquement les déterminations que lui imposerait quelque infrastructure sociale : il les transcrit dans son ordre propre, leur inculquant quelque chose de sa logique et de sa majesté, et, ainsi transformées, les fait agir en retour sur le social ». VAN DE KERCHOVE, Michel et OST, François, Le Système juridique entre

144 selon François Ost et Michel Van De Kerchove.

251. La partie sera donc construite autour d’une distinction temporelle articulée autour du début de la procédure constituante. Avant le début de la procédure constituante, l’élaboration des règles pré-constituantes reposait sur un imaginaire de l’exercice du pouvoir constituant originaire (Titre 1). Après le début de la procédure constituante, il s’agissait de s’adapter à l’exercice du pouvoir constituant originaire en action. (Titre 2).

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T

ITRE

1

L’

IMAGINAIRE DE L

EXERCICE DU POUVOIR CONSTITUANT

ORIGINAIRE

252. Avant le début de la procédure constituante, les auteurs des règles pré-constituantes pouvaient seulement imaginer comment se déroulerait l’exercice du pouvoir constituant originaire. Selon la temporalité dans laquelle ils se situaient à ce stade, cette perception pouvait être plus ou moins alimentée par des données qui leur permettaient de concevoir les rapports de force politiques susceptibles de traverser le processus constituant.

253. Après son arrivée au pouvoir en février 2011, confrontée à la perspective d’une transformation du régime politique suite à la chute brutale de Moubarak, l’armée égyptienne était dans l’inconnu. Dans un pays où des décennies de pratiques autoritaires428

avaient limité les moyens d’expression de la volonté politique hors de la sphère du régime, il était difficile d’envisager quel serait le futur rapport de force politique et donc qui serait en mesure de contrôler le pouvoir étatique. L’armée laissa donc la conception des règles de la procédure constituante à un comité de juristes429, le comité El-Bichry, du nom de son

président, un ancien vice-président du Conseil d’État, Tarek El-Bichry. Ces derniers, confrontés au même flou socio-politique et contraints par un délai de dix jours imposé par le CSFA430 les empêchant de mener des consultations avec les acteurs de la Révolution du

25 janvier, ne se représentèrent la procédure constituante que par une conception juridique. Cette procédure ne se déroulera « bien » qu’à condition qu’elle soit conforme à leur conception du « bon droit ». L’exercice du pouvoir constituant originaire fut alors idéalisé (Chapitre 1).

428 L’ouvrage suivant contient trois contributions sur l’Égypte qui dessinent un inventaire des pratiques autoritaires du régime de Moubarak : refus d’intégrer les islamistes dans les institutions, refus d’autoriser certains partis politiques, trucage massif des élections, recours au dispositif des candidats indépendants (le parti au pouvoir perd les élections mais garde la majorité grâce à leur ralliement), et répression de l’expression des contestations. FERRIÉ, Jean Noel et SANTUCCI, Jean Claude, Dispositifs de démocratisation et dispositifs autoritaires en Afrique du Nord, Paris, CNRS Editions, 2006.

429 Comme nous l’avons vu, le décret du 15 février 2011 du Conseil supérieur des forces armées formant le comité El-Bichry comportait l’étude de la modification de la clause de révision de la Constitution de 1971.

430Article 2 du décret n°1 du 15 février 2011 du chef du Conseil supérieur des forces armées formant le comité El-Bichry : « Le comité terminera ses travaux dans un délai qui n’excède pas les 10 jours à compter de l’adoption de ce décret ».

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254. Les résultats du référendum du 19 mars 2011 sur les amendements à la Constitution de 1971 élaborés par le comité El-Bichry431 clôturèrent cette séquence temporelle où

l’inconnu prévalait. D’une part, ils indiquaient quelles seraient les règles de l’exercice du pouvoir constituant originaire, des règles selon lesquelles l’organe chargé de rédiger la constitution serait nommé par les parlementaires élus après les prochaines élections législatives. D’autre part, la victoire du “oui” à plus de 72% alors que seuls les islamistes432

firent campagne pour cette option, permettait d’anticiper la domination de cette famille politique sur le processus constituant. L’exercice du pouvoir pré-constituant allait alors se concentrer sur la limitation de cette domination pressentie. L’exercice du pouvoir constituant originaire fut donc anticipé (Chapitre 2).

431 Rappelons qu’après la chute de Moubarak, le Conseil supérieur des forces armées demanda au comité El-Bichry de préparer une modification de la Constitution de 1971. L’armée soumit la quasi- totalité du résultat de ses travaux à référendum. Après le succès de la consultation, le CSFA promulgua le 30 mars 2011 une Proclamation constitutionnelle qui fit office de constitution provisoire et comportait la plupart des dispositions approuvées lors du référendum, des dispositions de la Constitution de 1971 et des dispositions inédites.

432Ici les Frères musulmans et de l’organisation de prédication salafiste la Da’wa Salafiya, les autres forces ayant soutenu la Révolution du 25 Janvier appelèrent à voter pour le non. Le camp du oui fit campagne en utilisant principalement trois arguments : la nécessité d’une constitution provisoire afin de stabiliser le pays, le départ rapide du pouvoir des militaires grâce à la tenue d’élections législatives et présidentielles, et le respect de la souveraineté populaire en raison de la nomination de la commission constituante par le Parlement. De son côté, le camp du non mettra en avant : le fait que la Constitution de 1971 ait été rendue illégitime par le régime de Moubarak (les articles soumis à référendum étaient présentés comme modifiant la Constitution de 1971), la critique de l’importance des pouvoirs du président de la République, et le rejet de la nomination par les parlementaires de l’organe de rédaction de la constitution, à laquelle ils préféraient une nomination par le CSFA après consultation des acteurs politiques. Sources : Al-Yum al-Sabiʿ, Al-Ahram Online entre le 4 mars 2011 et le 15 mars 2011.

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Chapitre 1

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