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L’adoption d’un cadre normatif propre à la maîtrise de l’élaboration de la Constitution provisoire

Paragraphe 1 L’objet de l’imprécision

83. Clarifions tout d’abord ce qui est ici entendu par « énoncé imprécis ». Il ne s’agit pas d’opposer un texte univoque à un texte équivoque ; nous reconnaissons que le sens normatif des énoncés soit nécessairement indéterminé et que tout texte possède plusieurs sens170, voire même qu’il n’en possède aucun avant son interprétation171. Il s’agit

simplement, après avoir effectué une « interprétation scientifique172 », de constater qu’il

était possible d’attribuer à l’énoncé une pluralité de sens a priori, c’est-à-dire avant son interprétation par les autorités.

84. L’énoncé en question, était le point 6 de la Déclaration constitutionnelle du 13 février 2011 :

Un comité chargé d’amender certains articles de la constitution sera établi et un référendum populaire sera organisé173.

A considérer que cet acte avait vocation à instituer une procédure, c’est-à-dire un « ensemble d’actes successivement accomplis pour parvenir à une décision174 », cet article

ne donnait que peu d’indications concernant les organes impliqués dans la procédure et leurs prérogatives (A), et quant à l’objet de cette procédure, c’est-à-dire la nature de la décision (B).

170 KELSEN, Hans. Pure Theory of Law, op.cit., p. 351 ; GUASTINI, Riccardo, Leçons de théorie constitutionnelle, op.cit., p. 199

171 TROPER, Michel, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in La théorie du droit, le droit, l’État, Paris, PUF, 2001, p. 75.

172 L’interprétation scientifique a pour fonction d’éclairer tous les sens possibles d’une norme.

KELSEN, Hans, Ibid., p. 355.

173 Voir annexe 3.

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A - L’imprécision s’agissant des organes de la procédure

85. Prenons tout d’abord le comité chargé « d’amender certains articles de la constitution ». L’énoncé ne donnait aucune indication quant à sa composition. Dans quelle mesure les membres seraient-ils présentés comme des « experts », c’est-à-dire des individus désignés pour leur compétence juridique175, ou des individus dont le choix serait

justifié par une légitimité politique d’opposition au régime de Moubarak ? Par ailleurs, rien n’était mentionné quant à la nature du pouvoir de ce comité. Sa compétence serait-elle décisionnelle, dans le sens où les militaires ne pourraient pas altérer son travail, où bien seulement consultative ?

86. De la même manière, la nature du référendum et la question de sa dimension consultative ou impérative n’étaient pas résolues. L’énoncé ne spécifiait rien quant au caractère contraignant ou non du résultat du référendum pour les militaires. Rien n’indiquait si le CSFA se réserverait le pouvoir de modifier le texte approuvé par référendum avant de l’intégrer au nouveau document constitutionnel ou ce qu’il adviendrait du texte en cas de rejet par le corps électoral.

87. Du reste, les militaires détenaient-ils une simple compétence formelle, c’est-à-dire le pouvoir de mettre en œuvre la procédure - définition du cadre de travail du comité, organisation du référendum, promulgation de la constitution - ou bien également d’une compétence dans la rédaction de la nouvelle constitution ? Cette question pouvait aussi être envisagée plus largement que par rapport à une altération des actes du comité et du corps électoral. Le CSFA détenait-il une compétence rédactionnelle autonome ? Pouvait-il, par exemple, participer à la rédaction de la constitution dans des domaines non couverts par le travail du comité ? L’incertitude régnait non seulement quant aux organes de la procédure d’adoption du nouveau texte constitutionnel, mais également s’agissant de la nature de ce document.

B - L’imprécision de l’objet de la procédure

175 Voir par exemple JAVARY, Baptiste, « Le rôle préconstituant des comités d’experts »,

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88. Le point 6 de la Déclaration constitutionnelle du 13 février 2011 laissait en suspens d’importantes questions portant sur le caractère du nouveau texte constitutionnel. L’énoncé ne renvoyait pas explicitement à l’entrée en vigueur d’un document constitutionnel, mais se contentait d’instituer une procédure d’élaboration d’amendements constitutionnels sans préciser dans quel instrumentum devraient s’insérer ces articles modifiés de la Constitution de 1971.

89. La première interrogation concernait le caractère provisoire ou définitif de ce document. Avait-il vocation à se substituer à la Constitution de 1971, ou à être une nouvelle « constitution provisoire » se substituant à la Déclaration constitutionnelle du 13 février 2011 ?

90. La seconde interrogation concernait l’identité du nouvel instrumentum constitutionnel. Serait-il présenté comme un nouveau document ou une révision de la Constitution de 1971 ? La question pouvait sembler n’avoir que peu d’intérêt, dès lors que le droit constitutionnel égyptien n’imposait aucune limite matérielle au pouvoir de révision176 et laissait une liberté totale au détenteur de cette compétence. Or, cette

perspective purement formaliste conduit à négliger les dimensions symboliques et argumentatives de l’enjeu de la nouveauté du texte constitutionnel.

91. Tout d’abord, un texte peut être symboliquement associé à des normes coutumières ou conventionnelles177, dont la perpétuation apparaît plus facile à justifier s’il est maintenu

que s’il ne l’est pas. Ensuite, chez les rédacteurs, une logique de révision pourrait impliquer moins de modifications qu’une logique d’écriture d’un nouveau texte. Une révision pourrait pousser les rédacteurs à s’estimer contraints de justifier entre eux ou vis-à-vis du public le fait de modifier l’ancien texte, tandis que cette contrainte pourrait disparaître178

176 BERNARD-MAUGIRON, Nathalie, Le politique à l’épreuve du judiciaire : La justice

constitutionnelle en Égypte, op.cit., p. 546.

177 A titre d’exemple, en France, la Constitution de 1958 est associée à un système constitutionnel où, hors période de cohabitation, le premier ministre est responsable devant le président de la République, quand bien même aucun article de la Constitution de 1958 n’attribue au président le pouvoir de demander au premier ministre sa démission.

178 Les rédacteurs peuvent aussi choisir de recourir à la technique de la révision, tandis que leur mission est d’écrire un nouveau texte. C’est ainsi que procédèrent certains comités thématiques de la commission constituante pour rédiger la Constitution égyptienne du 25 décembre 2012. Entretiens

69 s’il s’agit d’écrire un « nouveau texte ».

92. Cette imprécision de la norme d’établissement de la procédure d’adoption du nouveau texte constitutionnel pouvait permettre aux militaires de s’adapter à l’évolution de la situation politique dans un contexte de grande incertitude.

Paragraphe 2 - Une imprécision permettant aux militaires de justifier

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