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Qualifier la procédure constituante de procédure administrative en dissimulant l’absence d’argument de fond

L’habilitation des organes juridictionnels

Paragraphe 2 Qualifier la procédure constituante de procédure administrative en dissimulant l’absence d’argument de fond

213. Le problème posé au juge administratif par l’énoncé habilitant disposant qu’il était seulement compétent pour statuer sur la légalité d’actes administratifs a porté sur l’aspect matériel de la notion d’acte administratif384. La juridiction sembla se demander comment

qualifier d’acte administratif la nomination de la commission constituante sans démontrer que cette décision était matériellement administrative. La solution pour la Cour du contentieux administratif parut consister à raisonner a contrario et de ne pas démontrer en quoi la décision de nommer la commission constituante constituait un acte administratif, mais en quoi elle ne relevait pas une catégorie d’actes non administratifs. Le juge s’attacha donc à démontrer que la nomination de la commission constituante n’était ni un acte de souveraineté (‘amal al-siyada) ni une décision parlementaire (qarar barlamani), deux catégories légale pour la première385 et jurisprudentielle pour la seconde, impliquant

l’exclusion de la compétence du juge administratif.

214. Les arguments utilisés pour exclure la nomination de la commission constituante de la catégorie des actes de souveraineté et des décisions parlementaires étaient similaires, dans la mesure où ils reposaient sur une distinction organique entre les chambres et leurs membres élus chargés de nommer la commission constituante par l’article 60 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011386. La Constitution provisoire disposait en

effet que tous les membres du Parlement égyptien ne seraient pas élus et que certains devraient être nommés par le président après son élection, les articles 32 et 35 attribuant au président le pouvoir de nommer respectivement dix membres de l’Assemblée du Peuple et

384Article 10 alinéa 5 du décret-loi n° 4 de l’année 1972 sur le Conseil d’État : « Le Conseil d’État, dans ses formations contentieuses, est seul compétent pour statuer sur les questions suivantes : Les recours formés par les particuliers ou par les organismes en annulation de décisions administratives définitives ».

385Article 11 du décret-loi n° 4 de l’année 1972 sur le Conseil d’État : « Les juridictions contentieuses du Conseil d’État sont incompétentes pour statuer sur les actes de souveraineté ».

386Article 60 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011 : « Les membres non nommés de la première Assemblée du Peuple et du Conseil consultatif se réunissent dans une session commune, à l'invitation du Conseil suprême des forces armées, dans les six mois suivant leur élection, pour élire une Assemblée constituante formée de cent membres […] » Voir annexe 5.

126 un tiers du Conseil consultatif.

215. Pour la Cour du contentieux administratif, les parlementaires élus chargés de nommer la commission constituante constituaient donc un organe distinct des deux chambres : le corps d’électeurs (hay’at al-nakhibin) de la commission constituante. Dès lors, la nomination de la commission constituante n’était pas une décision parlementaire, car de tels actes :

ne peuvent qu’émaner du pouvoir législatif (l’Assemblée du Peuple ou le Conseil consultatif) en sa qualité et dans le cadre de ses compétences prévues aux articles 33, 37 et 59 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011.

216. Nous voyons ici qu’outre la distinction organique opérée entre le corps d’électeurs de la commission constituante et les deux chambres législatives, c’est aussi un critère matériel que le juge utilisa pour exclure la nomination de la commission constituante de la catégorie des décisions parlementaires. Son objet, la procédure constituante, serait exclu du domaine des décisions parlementaires, dont le champ d’application ne couvrirait que les actes adoptés par les chambres dans le cadre du fonctionnement ordinaire des pouvoirs publics tels que définis par les articles 33, 37 et 59 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011387.

217. Concernant le refus d’appliquer la théorie de l’acte de souveraineté, le juge n’eut recours comme argument qu’à la distinction organique entre le corps d’électeurs de la commission constituante et les deux chambres. La Cour du contentieux administratif se contenta ainsi d’avancer que :

387 Article 33 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011 : « L'Assemblée du Peuple, dès son élection, exerce le pouvoir législatif et détermine la politique générale de l'État, le plan général de développement économique et social ainsi que le budget général de l'État et exerce un contrôle sur les actes du pouvoir exécutif » ; Article 37 : « Le Conseil consultatif, une fois élu, étudie et propose ce qu'il juge nécessaire pour soutenir la préservation de l'unité nationale, la paix sociale et la protection des composantes de base de la société, ses valeurs supérieures les droits et libertés et les devoirs. Il faut prendre son avis dans les domaines suivants : 1- Le projet de plan général de développement économique et social. 2- Les projets de loi qui lui sont soumis par le président de la République.3- Les sujets qui lui sont transmis par le président de la République liés à la politique générale de l'État ou à sa politique dans les affaires arabes ou étrangères […] ». L’article 59 prévoyait l’accord préalable de l’Assemblée du peuple, en cas de déclaration de l’état d’urgence.

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La décision ne constitue pas non plus un acte de souveraineté, puisque l’article 60 de la Proclamation constitutionnelle a confié la mission d’établir une nouvelle constitution pour le pays à une Assemblée constituante élue par une réunion commune des membres non nommés de l’Assemblée du Peuple et du Conseil consultatif à l’invitation du Conseil supérieur des forces armées en tant qu’assemblée électorale. Il en résulte que cette réunion commune n’est en réalité, dans sa définition juste, qu’un corps d’électeurs composé de façon spécifique et une entité distincte et indépendante des deux chambres parlementaires, comme indiqué dans la constitution.

218. Le juge étendait ici l’aspect organique de la notion d’acte de souveraineté telle que reconnue en droit administratif égyptien à des organes législatifs. La définition de cette notion était, avant l’arrêt, celle d’un acte adopté par un organe exécutif dans le cadre d’une fonction politique et non administrative388. En refusant de considérer comme acte de

souveraineté la décision de nommer la commission constituante au motif que le corps d’électeurs constituait un organe distinct des deux chambres, le juge impliquait a contrario que non seulement les organes exécutifs mais aussi les organes législatifs pouvaient adopter des actes de souveraineté.

219. Le recours à cette distinction organique et l’extension de la notion d’acte de souveraineté aux organes parlementaires interrogeait. Le juge aurait pu en effet disqualifier la théorie de l’acte de souveraineté sans l’étendre aux organes législatifs, simplement au motif que le collège électoral ne constituait pas non plus un organe exécutif. Une explication du recours à cet argument est d’envisager qu’il ait été utilisé à des fins rhétoriques, pour rendre le raisonnement plus convaincant. Un tel usage permettait d’asseoir la disqualification de la théorie de l’acte de souveraineté sur une conception suffisamment sophistiquée, celle de la distinction entre le collège électoral et les organes législatifs, tandis que l’argument de la nature non exécutive du collège électoral pouvait sembler simpliste et exposer le juge à des critiques quant à la qualité de son jugement. Ce qui pouvait rendre la distinction entre le collège électoral et les organes législatifs plus subtile était qu’elle permettait de transcender le fait que tous les individus qui avaient participé à la nomination de la commission constituante étaient des parlementaires.

388 Le juge égyptien a construit cette distinction en distinguant selon que l’organe exécutif agit en tant qu’autorité administrative ou en tant qu’autorité politique. ABOUELEN, Mohamed Maher.

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220. Ce besoin de rendre convaincante la disqualification organique de la théorie de l’acte de souveraineté peut s’expliquer par une carence du raisonnement quant à l’aspect matériel de la notion. L’arrêt n’indique en effet pas en quoi la nomination de la commission constituante relève d’une fonction administrative et non d’une fonction politique. Cette absence d’argumentation peut s’expliquer par la difficulté intellectuelle de la tâche, tant d’un point de vue matériel que formel. Matériellement, à considérer qu’il n’y ait pas de choix plus politique que de décider de la constitution, alors nommer les rédacteurs de cette constitution participe aussi de ce choix politique. Une telle nomination implique en effet de trancher entre différents profils politiques et de déterminer l’« équilibre idéologique » de l’organe de rédaction de la constitution, un rapport de forces susceptible d’être reflété dans le contenu du texte adopté par l’organe. Formellement, la base légale du pouvoir du « corps d’électeurs », l’article 60 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011, ne lui imposait aucun critère s’agissant de l’identité des membres de la commission constituante, ce qui semblait signifier que la décision des parlementaires relevait de leur pouvoir discrétionnaire. Argumenter sur le caractère administratif de l’acte était d’autant plus périlleux que cela risquait d’exposer la Cour du contentieux administratif à un manque de cohérence avec la jurisprudence de la Haute Cour administrative. La juridiction suprême de l’ordre administratif avait en effet développé une conception plutôt extensive de la notion d’acte de souveraineté, à travers une série de décisions dans laquelle elle arguait de la nature irréductiblement politique d’une série d’actes, comme la décision de convoquer des élections389 ou l’acte de proclamation des résultats du référendum390, qui semblaient

bien moins « politiques » que ne pouvait l’être la décision de nommer l’organe chargé de rédiger la future constitution.

221. De manière générale, pour qualifier la nomination de la commission constituante d’acte administratif et justifier sa compétence, le juge administratif égyptien sembla composer avec la particularité de cet acte, définie par son insertion dans la procédure constituante. D’une part, il a contourné la question de la nature matérielle de l’acte de nomination de l’organe chargé de rédiger la constitution, une opération effectuée par le truchement d’une argumentation a contrario centrée sur des catégories d’actes non administratifs. D’autre part, il s’est appuyé sur la singularité de la procédure constituante

389Haute Cour administrative 12 décembre 1987, n° 1979/30. 390Haute Cour administrative, 11 janvier 1986, n° 675/30.

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et le fait que la commission constituante était désignée par les parlementaires élus à l’exclusion des parlementaires nommés par le président de la République. Ces opérations lui ont permis de justifier que la décision de nommer la commission constituante n’entrait pas dans le cadre des notions excluant la compétence du juge administratif : la décision parlementaire et l’acte de souveraineté. Le juge a, dans ce cadre, cantonné la portée de ces catégories aux fonctions ordinaires de l’État, les fonctions exécutive et législative, refusant en dernière instance de déterminer dans quelle mesure elles pourraient s’appliquer à la fonction constituante. Il est enfin intéressant de noter que ce raisonnement du juge a impliqué l’élargissement du champ d’application organique d’une notion jurisprudentielle, celle d’acte de souveraineté. La Cour du contentieux administratif a paru estimer en effet que le seul moyen de recourir à cette catégorie de manière convaincante, tout en esquivant une réflexion sur la signification matérielle de la nomination d’un organe chargé de rédiger la constitution, était d’élargir l’objet de la notion d’actes de souveraineté aux actes adoptés par les organes législatifs.

222. Les problèmes posés par les énoncés habilitants du contentieux de droit commun ne se posèrent pas seulement au juge quand il entendit intervenir dans la procédure constituante, ils pouvaient se concevoir objectivement et renvoyer au regard de l’observateur sur l’efficacité du contentieux de droit commun.

Section 2 - Les problèmes d’efficacité du contentieux de droit commun

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