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L’efficacité du contentieux de droit commun et les délais encadrant l’exercice des compétences des organes de la procédure

L’habilitation des organes juridictionnels

Paragraphe 2 L’efficacité du contentieux de droit commun et les délais encadrant l’exercice des compétences des organes de la procédure

constituante

235. Le 10 avril 2012, lorsque la Cour du contentieux administratif invalida la nomination de la commission constituante formée le 24 mars 2012409, les effets de la

décision sur la procédure constituante furent définitifs, dans le sens où la commission constituante fut dissoute et où les parlementaires décidèrent d’en nommer une autre.

405L’estimation de 45 jours correspond à un calcul dans lequel ont été additionnés trois délais de 15 jours contenus dans la loi n° 48 de l’année 1979 relative au fonctionnement de la Haute Cour constitutionnelle. Ces délais concernent le dépôt par chaque partie au litige de mémoires (art. 37), et le temps entre le dépôt du rapport des commissaires auprès de la Cour et la date d’audience (art. 41). 406 Le délai minimum de 45 jours impliquait par exemple que les commissaires auprès de la Cour rendent leur rapport en un jour, ce qui n’était guère réaliste.

407 La Haute Cour constitutionnelle tenait une audience par mois, et ne pouvait donc statuer immédiatement après la mise en l’état du dossier. Par ailleurs, le fonctionnement de l’institution est généralement lent, et le temps d’examen des exceptions d’inconstitutionnalité s’étend généralement sur plusieurs années. BERNARD-MAUGIRON, Nathalie, Le politique à l’épreuve du judiciaire : La

justice constitutionnelle en Égypte. op.cit., p.115.

408Toutefois, la Haute Cour constitutionnelle ne renonça pas à se saisir de la procédure constituante avant l’adoption de la constitution. La juridiction recourut pour cela à une autre procédure que le renvoi préjudiciel, le contentieux de l’exécution. Voir partie 3.

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Pourtant, la décision avait été adoptée sous le régime d’un recours - le sursis à exécution410

- conçu pour aboutir à une décision provisoire.

236. Soulevons que si le problème d’efficacité des règles du contentieux de droit commun abordé ici est moins important que celui évoqué dans le paragraphe précédent, dans la mesure où il renvoie à une affaire où une décision fut rendue et où elle eut un effet sur la procédure constituante, il existe tout de même et peut être envisagé de deux manières. La première renvoie à la procédure constituante, sur laquelle le juge définitif n’a pas statué. La seconde porte sur droit du contentieux et sur le caractère non opératoire de l’articulation entre « recours provisoire » et « recours définitif ».

237. Cette inefficacité définie par l’absence d’intervention du juge définitif tenait à la combinaison de deux facteurs juridiques. Le premier de ces facteurs relevait des règles et usages de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives, alors que le second tenait aux règles mêmes de la procédure constituante.

238. Le facteur relevant de la procédure contentieuse est similaire à celui qui joua pour le contentieux de la nomination de la commission constituante du 12 juin 2012, évoqué dans le paragraphe précédent. La durée de la procédure du « recours définitif », le recours en annulation, était trop longue pour que le juge statue avant la fin de la procédure constituante. Le contentieux s’étendait en effet généralement sur plusieurs années411,

l’affaire restant notamment longtemps bloquée chez le commissaire d’État chargé de l’instruire et de recommander une décision.

239. Le facteur relevant de la procédure constituante tenait, lui, au délai imparti aux parlementaires pour nommer la commission constituante. L’article 60 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011 disposait qu’ils avaient six mois à compter de l’élection des deux chambres :

Les membres non nommés de la première Assemblée du Peuple et du Conseil consultatif se réunissent dans une session commune, à l'invitation du Conseil supérieur

410 Rappelons que le sursis à exécution est une procédure assortie à un recours en annulation permettant au juge administratif de suspendre provisoirement un acte administratif. Article 49 du décret-loi n° 4 de l’année 1972 sur le Conseil d’État

411 Plusieurs juges administratifs égyptiens avec qui nous nous sommes entretenus avancent que le délai de traitement moyen d’un recours en annulation est de trois ans.

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des forces armées, dans les six mois suivant leur élection, pour élire une Assemblée constituante formée de cent membres […]

240. La suspension de la décision de nommer la commission constituante fut alors interprétée par les parlementaires comme une annulation définitive, puisque attendre la décision du juge de l’annulation comme impliquant très probablement la caducité de la compétence de nomination de la commission constituante. Cette explication juridique, combinée à un facteur sociologique, qui était que tous les acteurs reconnaissaient le manque de légitimité politique de la commission constituante412, permet de comprendre que

l’organe ait été tenu pour dissout, y compris par les islamistes qui le dominaient. Dès la semaine suivante, tous les parlementaires s’attelèrent en effet à négocier la nomination d’une nouvelle commission constituante413.

241. Le fait que le contentieux se soit déroulé dans le cadre d’un recours conçu pour aboutir à une décision provisoire eut un impact sur l’exercice du pouvoir pré-constituant du juge dans le contrôle de la légalité de la nomination de la commission constituante. La question qui lui était posée n’était en fait pas celle de l’invalidité de la nomination de la commission constituante mais seulement celle de sa possible invalidité. Le critère de légalité du sursis à exécution était en effet « un moyen sérieux (asbab jaddiyya) de nature à justifier l’annulation de l’acte attaqué414 ». La contrainte de l’argumentation qui pesa sur

le juge fut alors moins lourde, puisqu’il ne devait pas démontrer que la norme pré- constituante qu’il allait définir pour trancher le litige était « légale », mais seulement qu’elle était potentiellement « légale ». Cet allègement de la contrainte de l’argumentation peut permettre de comprendre que la règle pré-constituante qui justifia la suspension de la nomination de la commission constituante - l’interdiction de nommer des parlementaires415

- fut relevée par le juge administratif, alors pourtant qu’elle ne correspondait à aucun énoncé de l’article 60 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011 et qu’elle était

412Comme nous le verrons, la nomination de la commission constituante le 24 mars 2012 fut marquée par la démission immédiate de 25 de ses membres. Les démissionnaires protestaient contre la domination excessive des islamistes sur cet organe.

413 Les négociations autour de la formation d’une seconde commission constituante débutèrent cinq jours après la décision de la Cour du contentieux administratif. Al Ahram Online, 15 avril 2012. 414 La condition de légalité est d’origine jurisprudentielle. FARAHAT, Ehab, Le contentieux de

l’élection des députés en France et en Égypte, op.cit., p. 67.

415 La commission constituante nommée le 24 mars 2012 comportait 50 parlementaires sur 100 membres. Sur le raisonnement de la Cour du contentieux administratif pour dégager cette règle voir

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même certainement en contradiction avec la volonté de ses rédacteurs416.

416 Comme nous le verrons plus bas, Tarek El-Bichry, le président du comité qui rédigea une partie des dispositions de cet article 60, envisageait que des parlementaires et des experts puissent siéger dans la commission constituante.

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Conclusion du titre 2

242. Le concept de pouvoir pré-constituant a permis ici d’articuler l’exercice du pouvoir constituant originaire au reste du droit de la période transitoire. Cette articulation s’est opérée à travers l’illustration du lien entre la production des règles d’élaboration de la nouvelle constitution et la question des énoncés habilitants du système juridique, c’est-à- dire les énoncés relatifs à la procédure de production des normes, aux acteurs qui les produisent ainsi qu’au champ d’application et de réglementation des normes. Ce phénomène renvoie dans notre cas d’étude à une normalisation du phénomène constituant, dans la mesure où l’adoption et l’interprétation (pour les organes juridictionnels) des règles pré-constituantes s’imbriqua à des questions d’habilitation génériques, au sens où elles ne concernaient pas la compétence de l’organe de définir spécialement les règles d’élaboration de la nouvelle constitution mais des règles relatives à n’importe quel champ d’application. Cette généralisation des questions d’habilitation joua sur la production des règles pré- constituantes, dès lors que les énoncés habilitants ou leur absence417 posèrent des

problèmes ou offrirent des ressources aux organes qui les adoptèrent où étaient susceptible de le faire. Par ailleurs, elle joua aussi sur le comportement des acteurs de l’exercice du pouvoir constituant originaire qui purent aussi employer ces énoncés comme ressources418

ou comme une variable419 pour décider dans la procédure constituante.

243. Le concept de pouvoir pré-constituant a permis de souligner, réciproquement, que l’exercice du pouvoir constituant originaire stricto sensu, c’est-à-dire le seul phénomène d’élaboration de la nouvelle constitution, ne dépendait pas que de son environnement juridique, mais qu’il pouvait aussi le modifier. La relation est apparue comme mutuellement constitutive, et cela est d’autant plus important que le droit en vigueur pendant la période transitoire peut survivre à celle-ci et se retrouver intégré au système

417 Voir l’absence de clause de révision dans la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011 en relation à l’adoption des actes constitutionnels complétifs.

418Comme nous l’avons vu, les Frères musulmans utilisèrent les règles de la procédure contentieuse afin que la décision de la Cour du contentieux administratif sur la nomination de la commission constituante du 12 juin 2012 n’intervienne pas avant la fin du processus constituant.

419Voir le comportement des parlementaires après l’invalidation de la nomination de la commission constituante du 24 mars 2012 : sachant que la décision du juge du fond interviendrait après le délai de six mois de l’article 60 de la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011, ils décidèrent de ne pas attendre cette décision et de nommer une seconde commission constituante.

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juridique de la constitution définitive420. En justifiant l’adoption des règles d’exercice du

pouvoir constituant originaire, les acteurs ont pu laisser le processus constituant poser son empreinte sur le droit, autrement que par l’adoption d’une constitution définitive. Ceci est par exemple illustré par le fait que le juge administratif égyptien a étendu la théorie de l’acte de souveraineté aux décisions des organes parlementaires, afin de dissimuler son incapacité à arguer de la nature matériellement administrative de la décision de nommer un organe de rédaction de la constitution.

420En principe, les seuls énoncés du droit de la période transitoire qui disparaissent après l’adoption de la constitution définitive sont la Constitution provisoire, les règles pré-constituantes et les actes de la procédure constituante. Voir introduction.

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