• Aucun résultat trouvé

L’habilitation des organes politiques

Paragraphe 3 La qualité de représentant et la nécessité de résorber une lacune constitutionnelle

173. Le problème posé par l’analyse de la justification de l’acte constitutionnel complétif adopté par le président Morsi le 12 août 2012 est justement que son adoption ne fut pas vraiment justifiée dans l’espace public. Le seul élément à notre disposition est un communiqué de presse du porte-parole du président de la République, Yasser Ali. Et encore, le raisonnement avancé par celui-ci paraît sommaire, car il renvoie à un argument d’autorité selon lequel le président aurait consulté des juristes avant l’adoption de l’acte qui l’auraient assuré de sa légalité331. Aussi pauvre qu’elle soit, cette explication pointe une

source qui permettrait de proposer une justification de l’adoption de cet acte constitutionnel complétif du 12 août 2012. Cette source est la consultation avec les juristes, et c’est en nous appuyant sur les arguments principaux ressortis de cette consultation332 que nous

procèderons. Pour ce faire, nous nous reposerons sur un entretien avec Mohamed Fouad Gadallah, le conseiller juridique officiel du président Morsi de l’époque333, qui assura un

rôle de coordination dans la rédaction de cet acte.

174. Si nous entendons résoudre ainsi le problème posé par l’absence de justification officielle de l’acte du 12 août, il semble néanmoins intéressant de s’interroger sur les raisons de ce silence. Il est alors possible d’avancer trois hypothèses explicatives. La première est que, comme nous le verrons, l’argument était soit suffisamment « évident »334

pour être implicitement compris par les organes juridictionnels et l’opinion publique, soit avait déjà été explicité par les militaires lors de l’adoption de l’acte constitutionnel

331 « Le président a consulté son équipe juridique qui lui assuré qu’il avait le pouvoir d’adopter cet acte ». Al Ahram Online, 14 août 2012.

332A cette époque, les conseillers juridiques de Mohamed Morsi provenaient de deux blocs différents. D’une part, il était en lien avec les juristes de la Confrérie des Frères musulmans. D’autre part, Morsi réunissait fréquemment un groupe de magistrats et de professeurs de droit constitutionnel comprenant Hossam Al-Gheriany, le président de la commission constituante, Ahmed Mekki, le ministre de la justice, Mohamed Amin El-Mahdi, un ancien juge au Tribunal pénal international sur l’ex Yougoslavie et Tarek El-Bishry, le président du comité de juristes mis en place par le CSFA et qui rédigea les amendements à la Constitution de 1971 soumis à référendum le 19 mars 2011. Entretien avec Mohammed Fouad Gadallah, conseiller juridique du président Morsi, 8 juin 2014

333Mohamed Fouad Gadallah, un ancien vice-président du Conseil d’État, était le conseiller juridique statutaire du président Morsi ; il se définissait comme très proche du président, avec un bureau jouxtant le sien et un contact quotidien.

334 Il s’agissait du fait que son élection au suffrage universel direct lui attribuait la qualité de représentant.

108

complétif du 17 juin 2012335. La seconde est que l’autre organe politique à convaincre, le

CSFA, qui s’était déjà arrogé le pouvoir d’adopter un acte constitutionnel complétif le 17 juin 2012 et qui pouvait éventuellement abroger celui du président de la République, avait en effet déjà été convaincu en amont, la présidence ayant associé les militaires à l’élaboration336. La troisième est que cet acte fut assez bien reçu dans le champ socio-

politique et que, dès lors, il n’a pas semblé nécessaire à la présidence de chercher à convaincre de son bien-fondé. Il fut en effet salué par les islamistes, certains mouvements révolutionnaires, et plusieurs partis non-islamistes337, principalement parce qu’il impliquait

le départ du pouvoir du CSFA, dont l’action à la tête de l’État avait très critiquée pendant la période transitoire.

175. L’argumentation de la présidence partait d’une prémisse similaire à celle employée par les militaires pour justifier l’adoption de l’acte constitutionnel complétif du 17 juin 2012 : la Constitution provisoire était lacunaire, car elle ne prévoyait pas l’hypothèse de l’absence de l’organe législatif, l’Assemblée du Peuple, lorsqu’existerait un président de la République dans l’organisation des pouvoirs publics. Il existait cependant une différence : l’acte constitutionnel complétif du 12 août n’était pas justifié, comme celui du 17 juin, par la nécessité d’adapter la totalité du système constitutionnel à cette nouvelle configuration institutionnelle. Il s’agissait simplement de combler le vide laissé par la disparition de l’Assemblée du Peuple. Aussi, contrairement à l’acte du 17 juin 2012, dont le contenu portait aussi sur des domaines extérieurs aux anciens pouvoirs de l’Assemblée du Peuple, celui du 12 août se contentait d’attribuer au président de la République le pouvoir législatif de l’Assemblée du Peuple338 et celui qu’elle exerçait dans la procédure

constituante.

176. Si la justification de l’acte du 12 août partageait avec celle du 17 juin l’idée

335C’était l’argument de la lacune de la Constitution provisoire. Voir supra.

336Un membre du CSFA, le général al-Assar, reconnut cette information par voie de presse. Reuters, 12 août 2012 ; Al Ahram Online, 12 août 2012.

337Al-Yum al-Sabiʿ, 12 août 2012.

338L’article 1 de l’acte constitutionnel complétif du 12 août 2012 abrogeait celui du 17 juin 2012 : « La déclaration constitutionnelle adoptée le 17 juin 2012 est abrogée». L’article 2 modifiait l’article relatif aux compétences du président de la République de manière à lui attribuer les compétences législatives qu’exerçait l’Assemblée du peuple dans l’organisation des pouvoirs publics : « L'article 25, alinéa 2, de la Proclamation constitutionnelle émise le 30 mars de l'année 2011, est substitué par le texte suivant : « Et exerce, dès son avènement au poste, pleinement les compétences stipulées dans l'article 56 de la présente Déclaration ».

109

qu’après la dissolution de l’Assemblée du Peuple la Constitution provisoire contenait une « lacune constitutionnelle », elle soulevait une question non abordée par l’argumentation des militaires. Elle portait sur l’identité de l’autorité détenant le pouvoir de résorber la lacune entraînée par la disparition de l’Assemblée du Peuple. Qui du président de la République ou du CSFA détenait cette compétence ? Mohamed Morsi y répondit par l’argument de la « souveraineté populaire » (siyada shaʿbiyya) pour dénier ce pouvoir aux militaires et se l’attribuer, et l’article 1 de l’acte constitutionnel complétif du 12 août 2012 abrogeait ainsi l’acte constitutionnel complétif du 17 juin 2012. Le terme « souveraineté » renvoyait ici à un rapport de force institutionnel et à la domination du président de la République sur le CSFA. Il renvoyait aussi à une conception formelle de la souveraineté, comme une qualité permettant d’adopter des actes de la plus haute valeur juridique dans le système juridique associé à la Constitution provisoire, des actes modifiant cette constitution. Mohamed Morsi s’appuyait ainsi sur la circonstance de son élection au suffrage universel direct pour s’affirmer en tant que représentant du peuple ; il pouvait alors exercer la souveraineté de celui-ci pour compléter la constitution provisoire et « combler » la lacune. Mohamed Fouad Gadallah avance ainsi que ce qui a convaincu Mohamed Morsi de sa légitimité à adopter l’acte constitutionnel complétif du 12 août était que « si un organe pouvait modifier la Proclamation constitutionnelle du 30 mars 2011, c’était lui et non les militaires. Il était la seule autorité élue, il représentait la souveraineté du peuple339 ». Cette référence à la représentation chez Morsi illustre la dimension hiérarchisante de la notion, telle que l’a éclairée Pierre Brunet à partir de l’histoire constitutionnelle française340. Aussi,

la notion de représentation permettait de trancher un conflit quant à la détention d’une compétence constituante entre un président de la République élu et un organe militaire qui était arrivé au pouvoir à la suite d’un fait révolutionnaire.

177. L’activité pré-constituante du président Morsi ne se résuma pas à des actes constitutionnels complétifs ; il adopta également une loi en la matière qui souleva, elle aussi, certaines questions.

339Entretien avec Mohammed Fouad Gadallah, conseiller juridique du président Morsi, 8 juin 2014 340 Pierre Brunet avance dans sa thèse que l’idée de représentation a été employée dans l’histoire constitutionnelle française par les parlementaires pour justifier la supériorité des organes législatifs sur les organes exécutifs. BRUNET, Pierre, Vouloir pour la Nation : le concept de représentation

110

Outline

Documents relatifs