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La progression de l’écriture réaliste : approche stylistique

1.2.1. L’esthétique de l’objectivité de Max Buchon

1.2.1.1. Procédés lexicaux et sémantiques 1 Isotopies concrètes

L’ensemble du poème s’organise autour d’un seul thème : la vie dans le domaine rural. La ferme et ses abords sont décrits d’une façon extraordinairement simple, sans apprêt. Si l’on étudie les choix lexicaux effectués, on se rend compte que le poète accumule les termes concrets relevant tous du domaine champêtre. Il énumère d’abord les oiseaux de la campagne (avec « l’alouette », « les linottes, les geais, les coucous, les pinsons » et « les moineaux »), mentionne les insectes (les « mouches », les « cigales » et les « papillons »), et fait allusion à de nombreux animaux domestiques (tels que les « bœufs », « le coq », les « poules », « le gros

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et le petit bétail », « la chatte » et « le vieux chien »). Le poète répertorie également le matériel agricole (comme les « agrès de labour », les « herses » et « les jougs »), ainsi que d’autres éléments intrinsèquement liés à la vie de la ferme (on trouve par exemple « des fagots », du « fumier », un « grain de blé », une « fontaine » et de « la bouse »). Le seul être humain présent dans cet extrait est le personnage de « la laitière », qui n’apparaît qu’au second plan. Le lexique renvoie à une perception directe de l’image, aucune figure de style rhétorique ne perturbe ou questionne la vision qui se donne d’emblée – l’emploi récurrent de l’article défini confère, par ailleurs, la généralité des termes lexicaux. Ces termes font l’objet d’une perception directe et revêtent, grâce à l’emploi fréquent de l’article défini, un certain degré de généralité.

Ce réseau lexical, cru et abondant, prouve qu’il s’agit bien là d’un poème réaliste car loin d’être idéalisée, la ferme est décrite telle qu’elle est. Le poète, qui n’hésite pas à évoquer les réalités les plus viles comme par exemple les excréments des animaux à travers les mots « fumier » et « bouse », présente donc le réel de manière très simple. Non seulement le thème choisi est considéré comme un thème banal et stéréotypé, ne méritant pas d’être traité de façon privilégiée, mais encore le poème ne comporte aucun vocabulaire soutenu. La poésie de Max Buchon ne pose donc aucune difficulté sémantique pour le lecteur, malgré l’emploi de termes régionaux tels que « Frâne », terme qui signifie « une ferme assez bien arrondie »1.

Loin de la langue soutenue, cette poésie s’inscrit au contraire dans le registre courant et familier en s’intéressant au monde rustique d’où, il faut le dire, elle puise son originalité.

Considérons un deuxième exemple, extrait du même recueil. Il s’agit d’un poème intitulé « La Lessive » où Buchon décrit le travail d’une buandière :

Quel attirail il faut pour une buandière ! La soude, le savon, la cuve, la chaudière, La cendre, l’indigo, l’iris, les bâtonnets… Voyez si j’en oublie, et si je m’y connais. Dans le fond de la cuve, en grille l’on dispose D’abord les bâtonnets, sur lesquels tout repose, Puis on étend dessus, aussi bien que l’on peut,

1 Selon la définition du poète lui-même dans le premier vers du poème : « Le Frâne est une ferme assez bien

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Les draps de lit, d’abord savonnés quelque peu.1

Ces vers, inspirés des mœurs franc-comtoises, présentent le même souci de précision que nous avons pu constater plus haut, souci qui apparaît ici à travers l’énumération des objets nécessaires à la buandière. Le poète manifeste la volonté d’expliquer à ses lecteurs la manière dont on fait la lessive, ne prenant aucun parti pris dans la description qu’il donne de ce travail. Les termes utilisés, empruntés majoritairement au domaine du quotidien, prouvent que le poète souhaite retranscrire fidèlement le réel et traduisent l’esprit de la société populaire.

1.2.1.1.2. Un langage superficiel

En général, dans la poésie de Max Buchon, on ne rencontre jamais de combinaisons ou d’associations inattendues qui créeraient des incompatibilités sémantiques dans ses vers et qui leur donneraient ainsi leur poéticité. Il n’y a pas non plus de jeu sur la polysémie car les mots employés par le poète ne renvoient pas à d’autre sens que leur sens propre et habituel pour le lecteur. Le poète évite tout ce qui pourrait laisser transparaître sa subjectivité, et son effacement est particulièrement remarquable dans le système adjectival. S’il a souvent recours à des adjectifs évaluatifs et dimensionnels2, qui reflètent à la fois son engagement dans le

domaine concret et sa quête consciencieuse de précision, l’absence quasi-totale d’adjectifs axiologiques (exception faite de l’adjectif « fidèle ») n’est pas anodine puisqu’elle exprime sa volonté de ne pas prendre parti dans la description.

La poésie de Max Buchon est également caractérisée par le fait que les constructions métaphoriques et figuratives en sont quasiment absentes. Le poète se méfie de l’emploi des figures rhétoriques d’où pourrait découler une certaine subjectivité. Comme on le sait, les figures de style sont des expressions détournées qui donnent à voir, par analogie ou par opposition, une autre image. Elles ouvrent donc la porte de l’imaginaire, or c’est l’objectivité que le poète souhaite privilégier.

Les verbes possèdent cependant chez Buchon un certain pouvoir rhétorique. Ils créent souvent un effet pittoresque dans le poème afin d’atténuer sa banalité par les images qu’ils évoquent. Dans « Le Frâne », en écrivant que « [l]a verdure envahit les prés et les buissons »,

1 Max Buchon, poésies franc-comtoises, « La Lessive », op. cit., p. 53.

2 Par exemple, dans l’extrait que nous avons donné du « Frâne », nous pouvons relever les adjectifs suivants :

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le poète donne à voir le souffle du printemps. Les oiseaux semblent pourvus d’une volonté et de sentiments qui leur sont propres puisqu’ils « unissent brusquement leurs gaîtés sans égales / [a]ux bourdonnements » des insectes, comme s’ils s’amusaient à orchestrer une symphonie mise en péril par « [l]es moineaux à l’entour [qui] braillent leur tintamarre ». De même, la fontaine « babille dans son auge » comme un oiseau gazouillerait dans son nid, tandis que le bétail « allègrement patauge / [d]ans la bouse ». Les verbes tels que « envahir », « brailler », « s’affaisser », « frôler » et « guetter » assurent une fonction descriptive et servent à relier de longs syntagmes nominaux qui se chargent de développer la description.

Ainsi, le langage poétique de Buchon reste un langage purement informatif et instrumental. Les mots qu’il emploie ont une signification unique et claire. L’absence de polysémie et de figures rhétoriques, qui sont des éléments indispensables dans la langue des Muses aux yeux de certains critiques, traduit la naïveté de son esthétique poétique.

1.2.1.1.3. L’effet de réel

L’amour que le poète porte à sa terre natale et le souci de graver ses mœurs et sa nature dans les pages de l’histoire créent, partout dans son œuvre, des effets de réalité. Les titres, l’organisation particulière des images, des mots ainsi que du rythme reflètent nettement la couleur locale de la Franche-Comté. Dans cette perspective, on peut facilement comprendre cette phrase de Hugo Frey qui essayait de décrire l’attachement de Buchon à sa région : « Buchon chérit Salins jusque dans ses scories et ses boues »1. Ce souci de mettre en

valeur ce caractère local se manifeste par plusieurs procédés dont le plus important est le caractère exhaustif de la description : Buchon cite « tout », parce que « tout » est important à ses yeux, « tout » est à peindre et à dire. Dans « Le Frâne », par exemple, il énumère, - nous l’avons vu -, tous les oiseaux de la campagne (« l’alouette », « les linottes, les geais, les coucous, les pinsons », « les moineaux »), tous les animaux domestiques (les « bœufs », le « coq », les « poules », etc.) et tout le bric-à-brac de la ferme (« des agrès de labour, des timons de voiture, / des herses, des fagots », ou encore « les jougs des gros bœufs »). L’effet d’abondance et d’accumulation surinvestissent les descriptions des paysages, des êtres et des bêtes ; leur familiarité renvoie à une réalité concrète et crée, pour le lecteur, un intense effet de réel.

1 Hugo Frey, Buchon et son œuvre, op. cit, p. 154.

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On peut également citer un deuxième procédé, qui est l’emploi d’images campagnardes crues et banales comme celle du « gros fumier carré [qui] s’affaisse dans sa mare », ou celle de la « chatte [qui] […] frôle du flanc le mur, et guette la laitière ». Ces images sont dessinées avec beaucoup de fidélité et sans parti-pris de la part du poète. Les détails triviaux et laids relient fortement le poème au monde sensible et mettent en évidence le style superficiel du poète.

1.2.1.2. Procédés syntaxiques de l’effacement du poète