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1.1.3. Le réalisme familier et social de François Coppée

1.1.3.4. La réception de la poésie de François Coppée

Nombreux sont ceux qui ont applaudi l’œuvre de François Coppée et qui ont trouvé un immense plaisir dans la sincérité de son art et dans la chaleur de ses vers. Par l’originalité et la clarté de son projet poétique, qui touche profondément les soucis d’une classe très vaste de la société, le poète a pu gagner la confiance du lecteur et recevoir les éloges de ses homologues. Paul Bourget révèle l’un des secrets à l’origine de ce succès précoce, tout en exprimant son admiration pour ce génie littéraire :

Il semblait qu’une bonne fée présidât à la conduite de sa vie personnelle et littéraire. Le succès lui avait été accordé très jeune. Depuis Le Passant, ses œuvres se succédaient, toutes originales, toutes bien accueillies d’un public pour lequel il était mieux qu’un auteur, un ami1.

De cette manière, pour un certain nombre de critiques et d’hommes de lettres, la nouveauté et la familiarité de l’approche thématique de Coppée ont constitué son premier laissez-passer. On rajoutera à cela son éducation populaire. Rappelons en effet que c’est la situation familiale et financière de Coppée qui l’a empêché de devenir un poète conventionnel, conforme aux normes et usages reçus. Formé par la dureté et la mélancolie de la vie faubourienne, il était très proche des pauvres et savait, mieux que les autres poètes, comprendre leurs drames et les transmettre au lecteur avec justesse et simplicité. Cela confère à son œuvre une authenticité, une prééminence et une singularité remarquables :

Aucun écrivain contemporain n’aura connu une saute plus brusque de destinée que le petit employé du ministère de la guerre qui se trouva tout à coup, en 1869, être devenu cet « auteur applaudi du Passant ». Tous les salons s’ouvrirent soudain devant ce jeune homme. Du plus modeste des milieux, il fut transporté dans le plus luxueux, comme par la magie de cette lampe merveilleuse qui fait d’Aladin, le fils du tailleur, le gendre du roi. […]. Il avait trouvé une poésie vraie, et il l’avait trouvé, comme je le disais, avec son cœur. Bonnement et simplement, il a laissé sa vie entrer dans sa sensibilité, et de là, passer dans son cœur.2

Coppée ne doit son succès ni aux fées ni à la lampe magique d’Aladin, mais bien à la réalité dure et amère qu’il a vécue auprès de sa famille et des pauvres gens. C’est parce qu’il a

1 Paul Bourget, Pages de Critique et de Doctrine, Paris, Librairie Plon, 1912, p. 269. 2 Ibid., p. 278.

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su rester fidèle à sa classe, à ses traditions, et parce qu’il connaissait très bien la valeur des humbles qu’il a célébrés, que son œuvre poétique a pu briller.

Outre l’admiration de P. Bourget, on signalera celle de Cherbuliez qui, dans sa réponse au discours de François Coppée, prononcée le 18 décembre 1884 à l’Académie française, exalte ce génie littéraire et rend hommage à la singularité et à la nouveauté de ses sujets poétiques :

Vous êtes, Monsieur, un Parisien de Paris et votre enfance s’est écoulée dans l’enceinte des fortifications. Ce ne sont pas les rochers et les torrents qui vous ont inspiré vos premiers vers. C’est une plante adorable que la renoncule glaciale qu’on cueille sur les hautes cimes en grattant la neige ; mais il ne fait pas dédaigner, comme une espèce trop vulgaire, la joubarbe qui pousse parmi les mousses de toits ou le coquelicot bien rouge, qui sonne la fanfare sur la crête d’une vieille muraille effritée. Vous n’avez jamais pensée qu’il n’y eût de beau que le rare, et vous avez découvert de bonne heure que les choses les plus communes ont une grâce de nouveauté pour qui sait les voir.1

Terminons par les propos de Jules Lemaître qui fait lui aussi l’éloge du talent de Coppée en saluant la souplesse de ses vers, la précision de son langage, la justesse de ses images et en soulignant la place prépondérante qu’on lui doit dans la poésie française, mais aussi sa spontanéité ainsi que son habile maîtrise de la versification et des mots :

Volontiers j’appellerais l’auteur du Reliquaire et des Récits et élégies le plus adroit, le plus doué de nos rimeurs. Il est venu au bon moment, quand notre versification n’avait plus grand progrès à faire, d’habiles poètes ayant tour à tour développé ses ressources naturelles. L’histoire en serait curieuse. […]. M. François Coppée me rappelle les grands versificateurs de « l’âge d’argent » de la littérature latine. Il a les souplesses d’un Stace et les roueries d’un Claudien. Il est peut-être le seul poète de nos jours qui soit capable de faire sur commande de très bons vers. Et il est devenu en effet une façon de poète officiel, toujours prêt, lors des anniversaires et des inaugurations, à dire ce qu’il faut, et le disant à merveille.2

François Coppée était donc, aux yeux de la majorité de ses contemporains, un subtil assembleur de rimes et un grand peintre familier de la vie moderne. Mais, soucieux de relater tout ce qui peut sembler n’être que les petites insignifiances du quotidien, il a également été

1 Lettre à Victor Cherbuliez citée par Adolphe Lescure dans François Coppée, l’homme, la vie et l’œuvre, op. cit.

p. 182.

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confronté à des détracteurs. Les Zutistes, groupe de poètes les plus novateurs de la période (parmi lesquels on peut citer Rimbaud, Verlaine, Consorts et Cros), ont fait de Coppée la cible parfaite de leur production parodique1, se moquant de son style modeste et de son réalisme cru. De même, Denis Saint-Amand, dans un article publié en 20092, minimalise le succès littéraire de Coppée et ne voit en lui que le responsable de la naissance d’un genre nouveau, qu’il appelle « le Faux-Coppée »3, et celle du groupe des « Vilains Bonhommes » à la suite de la représentation de sa pièce, Le Passant4.

Aujourd’hui, si le nom de Coppée est délaissé, ce désintéressement n’est pas lié à un manque de virtuosité ou d’habileté technique, ni à son refus de la « grande poésie » comme le suggère Saint-Amand dans son article. Il s’agit plutôt, à nos yeux, d’un cas d’abandon général qu’a subi la poésie française dans son ensemble, comme le remarque Jules Lemaître : « Non, non, ne croyez pas que les poètes soient lus. Les plus heureux sont récités quelques fois »5.

Peut-être que le problème est directement lié, comme le dit Edmond Haraucourt, aux goûts des générations, mais aussi à la double viabilité de l’œuvre littéraire :

La mémoire des siècles, leur sympathie ou leur intimité, changent d’objets dans la mesure où les générations elles-mêmes se transforment, et l’immortalité n’est qu’une intermittence. Chaque époque exhume du passé les poètes qui lui ressemblent, et les remet en honneur provisoire, humainement heureuse d’avoir retrouvé son image dans ces miroirs d’un autre temps. Mais la postérité ne daigne ressusciter ainsi que ceux dont l’œuvre reste deux fois viable parce qu’elle est deux fois honnête, par la franche expression d’une conscience et par la probité d’un art.6

Quoiqu’il en soit, Coppée mérite assurément de ne pas voir son nom tomber dans l’oubli. Il a, le premier, inauguré en poésie un réalisme relevé de goût, grâce à des vers qui ne sont jamais l’écho banal de sentiments ou de formules de convention, mais qui ont au contraire un accent de vérité et de justesse.

1 Album zutique (1961), notes et édition de Pascal Pia, Genève-Paris, Slatkine, 1981, p. 112.

2 Denis Saint-Amand, François Coppée ou les inimités électives, COnTEXTES [en ligne], varia, mis en ligne le

26 mai 2009, URL : http://contextes.revues.rog/4328 ; DOI : 10.4000/contextes.4328.

3 Il s’agit de la poésie parodique du groupe Zutiste. 4 Id.

5 Jules Lemaître, Les contemporains : études et portraits littéraires, 1ère série, op. cit., p. 83. 6 Edmond Haraucourt, « François Coppée », dans Le Correspondant, op. cit., p. 874.

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