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Chapitre 4 – Cadre conceptuel : Du populisme au populisme pénal

4.4 Les dimensions du populisme pénal

4.4.1 Première dimension : Instrumentalisation de l’expérience des victimes

Dans les appareils pénaux d’inspiration anglo-saxonne, les victimes d’actes criminalisés eurent, et ont encore parfois, plus d’obligations que de droits (Laflamme-Cusson, 1985). S’opposant à cette conception de la victime telle une simple preuve permettant à l’État de punir ceux qui violent les lois établies, divers mouvements provictimes naquirent dans les années 1960-1970 et tentèrent d’arguer que l’expérience, les droits et les revendications des victimes étaient dépréciés dans les diverses pratiques de justice pénale, alors que les personnes criminalisées, elles, profitaient d’une justice laxiste (Wemmers, 2003). Cette polémique fut d’ailleurs récupérée par les médias qui relayèrent et exacerbèrent ces argumentaires, ce qui transforma l’image de la victime en un symbole de l’innocence et de la pureté d’une collectivité respectueuse de la loi (Pratt, 2007). Selon la perception collective, cette « nouvelle » victime devait être écoutée, entendue, et justice devait lui être rendue (Garland, 2001). Ipso facto, il s’amorça, au nom des victimes, des vagues de réformes pénales réactionnaires pouvant engager les divers appareils pénaux dans des voies répressives. Or, il ne s’agissait pas uniquement de donner des droits aux victimes, mais aussi d’opposer ces droits à ceux des accusés. À cet égard, maintes recherches ont documenté que la posture belliqueuse prise par divers groupes de

81 Dans cette section, j’exemplifie les différents aspects du populisme pénal principalement par le biais

d’exemples étatsuniens. Loin d’être aléatoire, cette utilisation d’exemples provenant des États-Unis me permet de préserver les exemples canadiens pour les analyses principales de ce mémoire.

soutien aux victimes fut directement corrélée à la prolifération de sanctions plus sévères, soit un usage croissant de l’emprisonnement et un allongement des peines d’incarcération (Fattah, 2010). La victime gagna en importance à un point tel qu’aux États-Unis certaines lois vont même porter leurs noms, contribuant ainsi à l’émergence d’une forme de martyrologie légitimant une multiplicité de lois expiatoires. Une illustration éloquente de ce fait est la réaction législative qui découla du meurtre de la jeune Megan Kanka en 1994. Moins de trois mois après son décès surmédiatisé, la Megan’s Law fut ratifiée par l’État du New Jersey. Cette loi arborant le nom de la jeune victime exprimait toute l’ampleur de la désapprobation et légitima la mise sur pied d’un registre public sur les personnes reconnues coupables d’infractions de nature sexuelle, une pratique pourtant décriée par maints experts (Salas, 2005; Pratt, 2007). Au Canada, cette pratique s’avère moins courante, du moins, avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement Harper, qui a utilisé à quelques reprises le nom d’une victime pour dénommer un projet de loi (ex. Loi de Sébastien). Qui plus est, les gouvernements canadiens n’hésitent pas à nommer, dans le préambule d’un nouveau projet de loi, le nom de la victime ou de la personne criminalisée qui a influencé les politiciens à concocter telle ou telle réforme pénale (Dumont, 2011). Une autre pratique souvent utilisée par les gouvernements canadiens et étatsuniens est la tenue de conférences de presse dans lesquelles les politiciens se présentent en compagnie des proches endeuillés pour promouvoir l’adoption d’un projet de loi. De cette façon, le politicien peut polariser et antagoniser le débat et ainsi laisser entendre que ceux qui s’opposent à la réforme proposée manquent de compassion envers les familles des victimes83 (Gardner, 2009).

Néanmoins, n’importe quelle victime de crime n’est pas édifiée au rang de symbole. Certains spécialistes vont conduire des recherches attestant que les expériences de certains types de victimes sont régulièrement oubliées ou dénaturées par les autorités étatiques. Aux États-Unis par exemple, statistiquement parlant, les hommes afro-américains représentent le groupe de personnes le plus victimisé, pourtant leurs expériences de victimisation sont largement occultées comparativement à celles des Caucasiens (Entman et Gross, 2008). Certaines des législations fondées sur les constats qui

83 À titre d’exemple, en réponse à la vague d’indignation à l’égard de sa politique d’immigration visant à séparer

les familles d'immigrés illégaux et qui engendrait l’incarcération d’enfants dans des camps aux conditions inhumaines. Donald Trump est apparu à la télévision avec des parents de personnes assassinées par des immigrants pour justifier ses mesures draconiennes en affirmant que « Des citoyens américains ont été séparés de façon permanente de leurs proches […] Ils ne sont pas séparés pour un jour ou deux, ils sont séparés de façon permanente, parce qu’ils ont été tués par des criminels étrangers illégaux » (Associated Press, 2018 : Ma traduction). Or, une étude plutôt intéressante menée par Nowrasteh (2018), illustre qu’entre 2011 et 2017, au Texas, le taux d’immigrants illégaux condamnés pour une infraction criminelle était de 56 % plus faible que pour les personnes nées en sol étatsunien.

émanent des groupes de réflexions provictimes tel le President’s Task Force on Victims of Crime84 de 1982 peuvent donc rapidement se transformer en des leviers d’exacerbation des pratiques discriminatoires de nature raciste ou sexiste (Messerschmidt, 1986; Elias, 1993). Du côté canadien, le peu de considération accordée au millier de femmes autochtones assassinées ou disparues étaye également la thèse d’un possible traitement différentiel.

Un nombre considérable de victimes se dissocient également des doléances vindicatives précédemment décrites (Cheliotis et Xenakis, 2016), souhaitant plutôt obtenir une forme quelconque de reconnaissance, d’accompagnement ou de réparation (Cario, 2000). Par exemple, aux États-Unis, certains parents ou conjoints vont farouchement s’opposer à l’infliction de la peine capitale au nom de leurs proches défunts. Le témoignage de Marietta Jaeger-Lane, mère d’une jeune fille assassinée à l’âge de sept ans, illustre bien cette position : « Les êtres chers, arrachés à notre vie par des crimes violents, méritent des monuments plus beaux, plus nobles et plus honorables que les meurtres prémédités et sanctionnés par l’État. La peine de mort ne fait que créer plus de victimes et plus de familles en deuil. En devenant ce que nous déplorons, les gens qui tuent des gens, nous insultons la mémoire sacrée de toutes nos précieuses victimes » (King, 2003 : 17, ma traduction). Contrairement à celles des victimes plus vindicatives, les demandes et les « droits » des victimes qui souhaitent obtenir des considérations autres que des châtiments sévères semblent bien souvent relégués aux oubliettes par la classe politique et les décideurs étatiques. Somme toute, dans cette conjoncture où seulement certaines victimes tendent à mériter une considération des autorités étatiques, il est possible d’envisager que les desseins répressifs de certains politiciens ne sont pas uniquement reliés à leurs idéaux intransigeants vis-à-vis de l’affront que représente la victimisation. Il y aurait aussi une certaine forme de manipulation du ressentiment victimaire et une instrumentalisation des crimes qui froissent l’imaginaire collectif à des fins politiques. En plus de susciter un capital politique à l’avantage des politiciens, cette exploitation de l’empathie à l’égard des victimes de crime permettrait aux élus d’incarner et de légitimer leurs idéologies dans des politiques concrètes (Freiberg, 2001). À cet égard, un grand nombre de victimologues s’oppose à la légitimation de la sévérité pénale au nom des victimes puisque l’incarcération toujours plus longue des prisonniers n’aide aucune victime dans la mesure où l’argent qui pourrait être engagé dans l’aide et le dédommagement des victimes est, au final, gaspillé dans des peines d’incarcération plus longues qui ne s’avèrent pas plus dissuasives ou réhabilitatives (Fattah, 2010). Au final, le resserrement de l’étau pénal au nom des victimes demeure

84 Les President’s Task Force représentent des groupes chargés de rechercher et de produire une ou des solutions

relatives à une question sociale ou à d’autres objectifs que le Président des États-Unis a inscrits à l’ordre du jour de son administration. Ces solutions peuvent se présenter sous la forme d’une proposition formelle ou d’une liste de recommandations.

toutefois une caractéristique que l’on rencontre presque systématiquement lorsqu’il est question de populisme pénal (Salas, 2005)

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