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Chapitre 2 – Les tendances pénales canadiennes : De l’idéal de réhabilitation au populisme

2.5 Les Conservateurs et la justice pénale

2.5.2 La politisation et l’instrumentalisation des questions de sécurité

La politisation et l’instrumentalisation des besoins sécuritaires représentent la seconde composante qui atteste de la valorisation de la répression de la criminalité dans les sphères politiques et sociales lors de l’ère conservatrice de Stephen Harper. Le gouvernement de Stephen Harper a ostensiblement manifesté l’importance qu’il accordait aux questions de sécurité dès son arrivée au Parlement, avec leur premier Discours du trône dans lequel il était stipulé que : « Les Canadiens ont toujours été fiers du faible taux de criminalité au pays et se sont toujours sentis en sécurité dans les rues des petits villages comme des grands centres. Ce climat de sécurité est essentiel à la prospérité des familles et des entreprises. Malheureusement, nos quartiers paisibles et nos collectivités en santé sont de plus en plus menacés par la violence armée, les gangs de rue et le trafic de la drogue. »41 Ces quelques lignes sous-entendaient qu’à l’instar des partis les plus conservateurs en Occident, dont le Parti républicain aux États-Unis, le gouvernement Harper allait « s’attaquer » aux questions de sécurité et de criminalité avec âpreté.

Or, de nombreuses recherches témoignent que la criminalité inquiétait relativement peu la population canadienne au début des années 2000 (Gouvernement du Canada, 2001). Cette quiétude face au possible danger de victimisation est depuis en constante diminution, et ce, en partie à cause de la rhétorique de Stephen Harper et son parti politique (Mallea, 2011). En surélevant l’importance de la sécurité dans les sphères politiques et sociales, le gouvernement Harper semble avoir attisé et propagé les peurs relatives à la criminalité (Mallea, 2011; Jeffrey 2015). La War on Drugs américaine illustre bien que le fait de mettre une situation problématique au centre de la scène politique contribue à éveiller l’intérêt porté à ce sujet et le rend digne de préoccupation. Pour Lee (1999), l’insécurité, et

40 Le nombre de pages traitant de la santé et la recherche médicale se chiffrait à 5 sur 176; 3 pages sur 176

étaient relatives à la recherche et développement et une page et demie sur 176 traitait des changements climatiques (Parti conservateur du Canada, 2015).

41 Sa Majesté la Reine du chef du Canada. (2006). Le nouveau gouvernement du Canada – Discours du trône :

plus précisément la peur du crime, est avant tout une histoire politique. En ce sens, selon Mallea (2011), le gouvernement Harper a utilisé à maintes reprises les tactiques relatives au fearmongering42, pour attiser la crainte du public à l’égard de la criminalité dans le but d’en retirer un capital politique. De manière précise, en traitant récurremment de la question de la criminalité et en abordant les incidents criminalisés les plus graves et isolés comme des actes représentatifs des tendances de la criminalité, il semble que le gouvernement Harper ait avivé des sentiments d’insécurité, ce qui a rendu plus populaire son approche Tough on Crime. Dans cette optique, j’estime possible de dresser un parallèle entre les techniques de fearmongering utilisées par le gouvernement Harper en matière de criminalité et celles privilégiées par les administrations de Richard Nixon et Ronald Reagan en ce qui a trait à la War on Drugs.

Notons que les besoins sécuritaires sont une variable plutôt difficile à mesurer puisque les aléas des sociétés contemporaines, en constante évolution, font en sorte que les besoins sécuritaires transcendent de plus en plus la question de la criminalité pour également inclure les appréhensions relatives au prétendu spectre grandissant du terrorisme et les menaces perçues de l’immigration (Crawford, 2012). N’en demeure pas moins que certains auteurs vont affirmer que la peur relative à la criminalité a été galvanisée par la rhétorique du gouvernement Harper et que corollairement l’électorat est devenu de plus en plus friand des réformes pénales Tough on Crime (Mallea, 2011; Snow et Moffitt, 2012). En résumé, il est réaliste d’avancer que les demandes sécuritaires relatives à la criminalité furent exacerbées, non pas de manière exclusive, mais dans une certaine proportion par le gouvernement Harper dans le but qu’une plus grande partie de la population embrasse une mentalité conservatrice quant à la répression de la criminalité43. Métaphoriquement, les Conservateurs semblent donc avoir stimulé l’insécurité pour que la « demande » de sévérité correspondre à leur « offre ».

L’instrumentalisation des besoins sécuritaires par le gouvernement Harper est encore plus évidente lorsque les questions d’insécurité sont confrontées aux risques réels de victimisation. D’une manière plus concrète, de nombreux opposants ont tenté de tempérer les discours sécuritaires alarmistes des Conservateurs en utilisant les statistiques qui démontrent que les taux de criminalité au Canada sont relativement faibles et en constante diminution. Indifférent, le gouvernement de Stephen Harper a rejeté à de nombreuses reprises les réflexions rigoureuses et les appréhensions nuancées des problèmes qui se posent en matière de sécurité publique (Mallea, 2001; Jeffrey, 2015). À titre

42 Il n’existe aucune traduction française adéquate pour ce terme. La notion de fearmongering réfère au fait de

susciter volontairement la peur du public à propos d’une ou plusieurs variables (Glassner, 2004).

d’exemple, Stockwell Day, ancien ministre fédéral de la Sécurité publique, affirma que les statistiques qui avancent un déclin de la criminalité ne tiennent pas compte de l’augmentation « alarmante » des crimes non rapportés aux autorités policières (Campbell, 2010). Or, il est largement acquis en criminologie que le « chiffre noir » de la criminalité – c’est-à-dire les crimes non rapportés à la police – est une donnée difficilement mesurable (Leman-Langlois, 2007). Dans la même lignée, Stephen Harper déclarait, en 2007, que lorsqu’il était enfant à Toronto, il n’était presque jamais question de crimes commis à l’aide d’une arme à feu (Bernheim, 2013). Toutefois, selon Statistique Canada, le taux global d’homicides commis à l’aide d’une arme à feu a reculé de 45 % depuis 1972 (Boyce et Cotter, 2013). Somme toute, en faisant fi des statistiques pour amplifier l’insécurité et ainsi légitimer ses réformes pénales Tough on Crime, il semble probant que le gouvernement Harper ait instrumentalisé, à des fins politiques, les questions de sécurité relatives à la criminalité.

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