Chapitre 6 – Les changements législatifs et leurs effets
6.1 Le projet de loi C-2 : Loi sur la lutte contre les crimes violents (2008)
6.1.1 Partie 1 – Les peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des
La première partie du projet de loi C-2 a comme objectif central d’augmenter les peines minimales d’emprisonnement pour les personnes déclarées coupables d’avoir commis des infractions graves ou répétées à l’aide d’armes à feu. Le projet de loi crée également de nouvelles infractions plus spécifiques quant à des actes commis à l’aide d’une arme à feu, qui étaient auparavant criminalisés dans des infractions plus « larges ». Pour débuter, il importe de contextualiser les peines minimales obligatoires dans leur ensemble. Au Canada, avant l’arrivée du gouvernement Harper, le nombre de
96 La première partie de ce chapitre est construite à partir des informations provenant des projets de loi ainsi
que des résumés législatifs et non des débats parlementaires, et ce, dans la mesure où les analyses suggèrent que les députés ont tendance à davantage discuter des idées de fonds et non des détails techniques législatifs lors des débats parlementaires. De plus, les techniques utilisées par le gouvernement conservateur pour limiter les débats parlementaires, dans les trois projets de loi analysés, ont engendré des échanges limités qui n’illustrent pas de manière in extenso les multiples portées des projets de loi.
97 À titre d’exemple, en ce qui a trait à la réforme sur la conduite avec facultés affaiblies, le présent projet de loi
ajoute une disposition stipulant que les échantillons de sang ne peuvent être prélevés que par un médecin ou un technicien.
peines minimales était somme toute plutôt limité dans la mesure où approximativement 40 infractions punissables d’une peine minimale d’emprisonnement se retrouvaient dans le Code criminel98. Ce nombre restreint de peines minimales s’expliquait par le fait que celles-ci sont généralement considérées comme étant contraires aux principes de justice fondamentale édictés dans l’article 718.1 du Code criminel99 dans lequel il est stipulé qu’une peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de la personne déclarée coupable. En ce sens, une peine minimale obligatoire peut constituer, dans certains cas, une peine cruelle et inusitée, en violation de la Charte canadienne des droits et libertés puisque le seuil de ladite peine peut s’avérer disproportionné eu égard à la gravité de l’infraction ou des caractéristiques personnelles de la personne condamnée (Parlement du Canada, 2007). D’ailleurs, depuis l’arrêt Smith100 qui invalida la peine minimale de sept ans d’emprisonnement en cas de condamnation pour importation de stupéfiants en 1987, plusieurs recours basés sur les garanties constitutionnelles ont été intentés afin d’invalider la constitutionnalité de plusieurs peines minimales. Or, la Cour suprême du Canada a confirmé, notamment, dans les arrêts Gotz101, Morrisey102 et Latimer103 la constitutionnalité de certaines peines minimales. En somme, à l’heure actuelle, certaines peines minimales sont considérées comme des peines « acceptables » à la lumière de la Charte canadienne des droits et libertés (Parlement du Canada, 2007). Sur le plan scientifique, notons que les peines minimales sont passablement critiquées par les juristes et les scientifiques, critiques qui seront d’ailleurs détaillées dans la section suivante.
En ce qui a trait aux infractions reliées aux armes, des peines minimales sont prévues au Code criminel depuis 1995. La formation conservatrice de Stephen Harper, par l’entremise du projet de loi C-2, rallonge certaines de ces peines minimales et ajoute des critères aggravants, tels qu’une condamnation antérieure pour le même type de crime. Le tableau 4 résume les nouvelles infractions et les nouvelles peines minimales instaurées par le présent projet de loi, tout en les comparant avec les peines qui étaient en vigueur avant le présent projet de loi.
98 Fait intéressant, dans une recherche portant sur les déterminations de la peine dans un grand nombre de pays
occidentaux (ex. Angleterre, Australie, Afrique du Sud, etc.) réalisées au nom du ministère de la Justice du Canada, Roberts, Cole et Morek (2005) soulignent que le Canada est le seul pays à ne pas posséder une disposition d’exemption législative à l’égard des peines minimales, qui permettraient aux juges de ne pas appliquer les peines minimales dans certaines circonstances.
99 Code criminel, LRC 1985, c. C -46. 100R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045 101R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485. 102 R. c. Morrisey, [2000] 2 R.C.S. 90. 103 R. c. Latimer, [2001] 1 R.C.S. 3.
Tableau 4. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant aux peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu104
Infractions
Peines minimales en vigueur avant
C-2
Actions relatives aux articles et aux paragraphes du
Code criminel105
Peines minimales en vigueur après C-2
Possession sans autorisation d’une arme à feu prohibée
ou à autorisation restreinte, chargée ou
avec des munitions facilement accessibles Peine minimale uniquement si mise en accusation106 : 1 an Modification du paragraphe 95(2) Voie sommaire : 1 an 1re infraction : 3 ans En cas de récidive :
5 ans
Trafic ou possession en vue du trafic d’une
arme à feu, d’une arme prohibée, d’une
arme à autorisation restreinte, d’un dispositif prohibé, de munitions ou de munitions prohibées 1 an Modification des paragraphes 99(2), 100(2) et (3)
Pour une arme prohibée ou à autorisation restreinte
1 an
Pour une arme à feu, un dispositif prohibé, des munitions ou des munitions prohibées : 1re infraction : 3 ans En cas de récidive : 5 ans Importation ou exportation d’une arme à feu, d’une arme prohibée, d’une
arme à autorisation restreinte, d’un dispositif prohibé, de munitions prohibées, de quelque élément ou pièce conçus pour
une arme à feu automatique
1 an Modification du paragraphe 103(2)
Pour une arme prohibée ou à autorisation restreinte
1 an
Pour une arme à feu, un dispositif prohibé, des munitions ou des munitions prohibées :
1re infraction : 3 ans
En cas de récidive : 5 ans
104 C-2 : Loi sur la lutte contre les crimes violents, deuxième session, 39e législature, Canada, sanctionnée le
28 février 2008.
105 Code criminel, LRC 1985, c. C -46.
106 Au Canada, il existe trois types d’infractions dans le Code criminel : l’infraction punissable par procédure
sommaire, l’acte criminel et l’infraction mixte. Les infractions punissables par procédure sommaire sont moins graves que les actes criminels, tandis que les actes criminels ou infractions punissables par mise en accusation sont considérés être plus graves. Dans le cas d’une infraction mixte, comme c’est le cas ici, la Couronne peut choisir, en se fondant sur certains facteurs comme la gravité des actes posés par l'accusé et les dommages qu'il a causés, de poursuivre par procédure sommaire ou par mise en accusation. Notons que, lors de l’écriture de ces lignes, le gouvernement Trudeau avait déposé le projet de loi C-75 visant à abolir les infractions mixtes. Les débats n’en étaient toutefois qu’à l’étape de la première lecture.
Tableau 4. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant aux peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu (suite)
Infractions
Peines minimales en vigueur avant
C-2
Actions relatives aux articles et aux paragraphes du
Code criminel
Peines minimales en vigueur après C-2
Usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une tentative de meurtre, fait de décharger une
arme à feu avec intention, agression
sexuelle armée, agression sexuelle grave, enlèvement, prise d’otage, vol qualifié et extorsion
4 ans
Modification des articles 239, 244, 272, 273, 279, 279.1 et 344
4 ans
Pour une arme à feu à autorisation restreinte ou prohibée, ou s’il existe un lien entre l’usage d’une arme à feu quelconque et une organisation criminelle :
o 1re infraction : 5 ans
o En cas de récidive : 7 ans
Introduction par effraction pour voler
une arme à feu
Aucune (nouvelle infraction)
Création du nouvel article 98
Pas de peine minimale, mais la peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité
Vol qualifié visant une arme à feu
Aucune (nouvelle infraction)
Création du nouvel article 98.1
Pas de peine minimale, mais la peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité