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Chapitre 4 – Cadre conceptuel : Du populisme au populisme pénal

4.2 L’incursion du populisme dans le champ pénal

La survenance du populisme dans les sphères pénales d’un côté et de l’autre de l’Atlantique n’est pas le fruit du hasard, le traitement médiatique de la justice et de la criminalité et l’ère néolibérale semble avoir favorisé l’emprise grandissante du populisme sur les philosophies pénales de différents partis politiques. La présente section a donc comme visée de décrire sommairement ces deux réalités.

4.2.1 Le traitement médiatique de la justice et de la criminalité

La criminalité et son traitement constituent des sujets engendrant de vives réactions. Cela dit, si une vaste majorité de la population s’intéresse à la criminalité et à sa répression, bien peu de gens possèdent des connaissances détaillées et éclairées des tendances quantitatives et qualitatives de la criminalité ainsi que des diverses facettes du fonctionnement de la justice pénale, une méconnaissance qui découle principalement du fait que les médias constituent la source d’information prééminente sur ces sujets (Altheide, 2003; Fox et coll., 2007). Les médias définissent en effet la « nouvelle » comme un événement sortant de l’ordinaire; les nouvelles traitant de la criminalité ne sont donc, par définition, en rien représentatives de la réalité (Leman-Langlois, 2007). Ainsi, plutôt qu’éduquer la population, les médias de masse contribuent à construire une représentation déformée de la criminalité et de l’appareil pénal (Altheide, 2003; Fox et coll., 2007).

Pour discuter des liens entre les médias, le crime et la justice pénale, deux concepts théoriques invoqués par Kitzinger (2004) sont particulièrement intéressants, soit l’agenda setting et le framing. L’agenda setting réfère au fait qu’à travers leur sélection des nouvelles, les médias de masse concentrent l’attention du public sur des sujets particuliers et influencent donc la perception du public sur l’importance desdits sujets78. Dès lors, 1'agenda médiatique a un impact sur celui du public qui, à son tour, est susceptible d’influencer l’agenda des autorités publiques. Indissociable, mais transcendant l’agenda setting, la notion de framing met en évidence qu’en plus de sélectionner certains sujets particuliers, les médias de masse accordent idéologiquement une prépondérance à certains aspects particuliers des sujets traités, et ce, de manière à promouvoir des définitions spécifiques, des interprétations causales, des évaluations morales et des recommandations quant à la manière de traiter l’objet en question. Grossièrement, l’agenda setting indique donc au public à quoi penser, tandis que le framing indique plutôt comment le penser (Kitzinger, 2004; Arsenault, 2015).

78 La genèse de l’intérêt porté à la criminalité peut prendre sa source, de manière unidirectionnelle, dans les

médias. Bien qu’une couverture médiatique soutenue sur un sujet attire l’intérêt du public, l’intérêt du public pour une question peut également pousser les médias à s’y intéresser.

Ces concepts sont intéressants pour traiter de la criminalité dans la mesure où, bien que la criminalité soit en constante diminution et qu’elle soit, somme toute, plutôt rare (Salas, 2005), elle constitue, depuis 1960, une part substantielle et croissante des reportages diffusés par les médias d’information en Amérique du Nord (Gardner, 2009). Bien que la proportion varie quelque peu entre les États-Unis et le Canada, plusieurs recherches révèlent que dans la presse écrite la criminalité représente entre 10 et 30 % du contenu moyen, tandis que dans les bulletins de nouvelles télévisées environ un reportage sur cinq traite de la criminalité, ce qui en fait le sujet le plus populaire (Gardner, 2009). En ce sens, l’abondance des nouvelles télévisées et écrites portant sur la criminalité79 engendre une perception selon laquelle la criminalité est omniprésente (Altheide, 2003).

En outre, la médiatisation des crimes porte presque exclusivement sur les causes les plus dramatiques et sensationnelles. L’accent est ainsi mis sur les crimes violents et spectaculaires, ce qui minimise, par le même fait, la couverture des infractions criminelles dites mineures, pourtant beaucoup plus abondantes. Dès lors, lorsqu’il est question de crime dans les médias, plusieurs auteurs utilisent la célèbre maxime « if it bleeds, it leads » (King et Maruna, 2006 : 17). Une analyse fine de la médiatisation de la criminalité pousse toutefois à nuancer ladite maxime, dans la mesure où l’ampleur de la médiatisation des crimes violents dépend des caractéristiques de la victime et de l’infraction. À titre d’exemple, les crimes qui sont perpétrés par des personnes provenant de groupes culturellement minoritaires sur des « Blancs » tendent à obtenir une forte couverture médiatique, tandis que les crimes dont les victimes sont issues de ces groupes minoritaires reçoivent une part plus négligeable de l’attention médiatique. Conséquemment, la maxime if it bleeds, it leads n’est pas tout à fait véridique. En fait, tout dépend de qui saigne (Dowler, Flemming et Muzzatti, 2006). Somme toute, selon une panoplie de recherches, les médias fournissent une représentation de la prévalence et de la gravité de la criminalité qui diffère foncièrement de la réalité (Schlesinger et Tumber; 1994; Dowler, Flemming et Muzzatti, 2006; Fox et coll., 2007). Du reste, lorsqu’il est question de la justice pénale, les médias vont traiter en quasi-exclusivité des peines les plus inusitées et de celles perçues comme injustes (Schlesinger et Tumber, 1994). À titre d’exemple, Duval (2016) a recensé, entre 2009 et 2016 pour le Québec, 461 articles traitant de « l’affaire Guy Turcotte », et ce, uniquement dans La Presse et Le Journal de Montréal. Une partie considérable de ces articles traitait du verdict de non- responsabilité criminelle et plus précisément de la critique dudit verdique. Cette importance accordée à ce verdique et à sa critique s’avère plutôt notable lorsqu’elle est mise en parallèle avec les chiffres

79 Les médias insistent sur les actes individuels et n’en disent que très peu sur les réalités et les contextes

entourant les actions prohibées. Une prudence s’impose donc dans le choix des termes au sens où les médias ne traitent que très peu de la criminalité, mais accordent une grande importance aux crimes (Gardner, 2009).

de la Revue canadienne de psychiatrie qui montrent que, pour l’ensemble des causes judiciaires du Québec pour les années 2011 et 2012, seulement 0,009 27 % se sont terminées par un verdict de non- responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (Crocker et coll., 2015).

Se rajoute à cette médiatisation l’avènement d’Internet dans lequel l’information est non hiérarchisée. Cela affaiblit la ligne séparant la « vraie » information de la simple opinion dans la mesure où, même si Internet est une source illimitée d’information, il s’agit également d’une sorte de matérialité directe et mouvante de l’opinion publique, et ce, pour la simple et bonne raison que n’importe qui peut publier ce qu’il veut sur Internet (Rieffel, 2010). Finalement, les dernières années ont également été marquées par la montée de la popularité des chroniques, des émissions télévisuelles et des radios d’opinions dans lesquelles, à la limite de la propagande, certains chroniqueurs laissent entendre que leurs dires relèvent de données factuelles, voire de la vérité absolue, alors qu’il s’agit d’un point de vue personnel. D’ailleurs, lorsqu’il est question de justice pénale, tous semblent avoir leur mot à dire. S’il peut paraître saugrenu d’envisager qu’un économiste rédige une chronique d’arts et spectacles, personne ne s’étonne de voir des chroniqueurs, sans qualification ou connaissance de la justice pénale, marteler sur les tribunes publiques que les prisons sont des « clubs Med » ou des « hôtels cinq étoiles » (Bélisle, 2010 : 19).

Cette prolifération d’informations non hiérarchisées, déformées et non représentatives de la criminalité, de la victimisation et du fonctionnement de la justice pénale qui captive, fascine et mobilise l’affectivo-imaginaire de l’humain au détriment de son jugement rationnel n’est pas sans conséquence. Au contraire, pour le public, le fait d’être sans cesse confronté à la criminalité à travers les canaux médiatiques à un effet insécurisant (Jewkes, 2004). Plusieurs recherches ont illustré qu’il existe une corrélation significative entre les médias, l’insécurité et l’adhésion à des mentalités et attitudes punitives (Sprott et Doob, 1997; Dowler, 2003; Callanan, 2005). C’est donc à travers ces préperceptions erronées de la criminalité, de la victimisation et de la justice pénale que se constituent des vagues d’insécurité, une profusion d’opinions négatives sur l’appareil pénal et une propension accrue à adhérer à des idéaux punitifs, un ensemble de conjectures qui peuvent être récupérées par des politiciens.

4.2.2 De l’État social à l’État pénal

Loïc Wacquant (2010) affirme que plusieurs élites politiques ont élevé la criminalité au rang de priorité gouvernementale numéro un pour mettre en évidence leurs politiques d’extension du filet pénal, engendrant un déploiement considérable de la police, de la justice et de la prison dans le but

de regagner une légitimité perdue à la suite de la réduction des soutiens économiques rattachée à l’abandon du contrat social fordiste-keynésien. Wacquant va approfondir cette thèse économique avec l’exemple des États-Unis et de leur marche vers le « Léviathan néolibéral » (Wacquant, 2010 : 151) qui a selon lui transformé, à la fin du 20e siècle, le traitement assistantiel des pauvres en une double régulation assistantielle et pénitentielle de la marginalité et de la pauvreté. Pour lui, la minoration de l’aide sociale et le crescendo carcéral sont des corollaires d’une même transformation politique, la croissance du second étant directement proportionnelle à l’avarice de la première.

Plus précisément, Wacquant affirme que les politiciens vont convertir l’anxiété sociale, qui découle, notamment, de la désagrégation du salariat et de la recrudescence des inégalités, en une aversion populaire à l’endroit des bénéficiaires de l’aide sociale et des « criminels de rue » (Wacquant, 2010 : 157), tous deux présentés comme des menaces pour l’ordre social par leur morale dépravée et leurs comportements déviants et qui, de ce fait, doivent être placés sous une tutelle sévère. À partir de ce moment, la contention punitive devient un outil qui permet de soulager la société des « indésirables » en les faisant disparaître derrière les murs des institutions carcérales. La contention punitive se serait alors transformée en une technique de gouvernance, et l’État pénal se serait érigé sur les reliquats de l’État social (Wacquant, 2010). Cette montée de l’État pénal va donc symboliser les transformations reliées à la volonté d’apaiser le sentiment d’insécurité grandissant, qui est lui, rappelons-le, partiellement lié à la construction médiatique du crime. En l’occurrence, ces réponses vont prendre la forme d’un resserrement de l’étau pénal basé sur le rejet de philosophies de contrôle du crime visant l’amélioration des conditions sociales et la réhabilitation de la personne judiciarisée.

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