• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 – Cadre conceptuel : Du populisme au populisme pénal

4.3 Le populisme pénal

Si, dans les écrits scientifiques, le populisme, dans son acception la plus large, est un sujet abondamment discuté, le populisme pénal est une thématique beaucoup moins abordée. De surcroît, dans les quelques recherches sur le populisme pénal, l’utilisation de ce concept est très éparse. C’est pourquoi, avant d’articuler la définition du populisme pénal retenue dans ce mémoire, il est question, dans la prochaine section, de dresser une brève recension des écrits afin d’illustrer l’évolution et l’utilisation de ce concept.

4.3.1 Recension des écrits sur le populisme pénal

Les prémices de la théorisation du populisme pénal sont généralement reliées au concept de populist punitiveness développé par Bottoms (1995). Plus précisément, Bottoms utilise ce concept pour décrire comment certains politiciens, sans se soucier de l’efficience de la justice pénale, utilisent ce qu’ils

considèrent être la posture punitive du public pour légiférer des politiques pénales coercitives à des fins politiques. À partir de cette idée, Julian V. Roberts va, quant à lui, développer le concept de populisme pénal dans l’ouvrage collectif Changing Attitudes to Punishment : Public opinion, crime and justice (2002). Dans cet ouvrage, Roberts avance que le populisme pénal réfère à une politique ou une série de politiques populaires, de nature pénale, qui tentent de répondre à des demandes populaires, qu’elles aient été exprimées ou non. Dans cet ouvrage, Roberts n’élabore que les premières bribes d’idéation du populisme pénal. La concrétisation de ses idées ne se fit en détail que l’année suivante, dans son ouvrage Penal Populism and Public Opinion : Lessons from Five Countries, publié en 2003. Ce document phare a établi, en quelque sorte, les assises conceptuelles du populisme pénal, et ce, par le truchement de la description de la montée des pratiques et des discours pénaux à connotation populiste dans cinq pays, dont le Canada.

D’autres auteurs ont également réutilisé le concept de populisme pénal pour rédiger des essais critiques sur l’émergence de nouvelles tendances en matière pénale. À titre d’exemple, Denis Salas, dans son ouvrage La volonté de punir (2005), discute du populisme pénal, et principalement de celui qui a cours sur le territoire français, pour montrer comment les nouvelles pratiques pénales tendent à rompre avec la conception humaniste et réparatrice de la peine, en particulier sous l’intensification de la préséance qu’accordent les politiciens aux demandes des victimes et du public. Le magistrat et essayiste français traite également du rôle des médias dans la création des sentiments d’insécurité.

L’ouvrage Penal populism (2007) de John Pratt demeure toutefois, à mon sens, l’analyse scientifique la plus complète sur le populisme pénal. En plus de peaufiner les thèses de Roberts, Pratt traite également d’une gamme plus étendue de stratégies populistes, telles que l’utilisation de l’émotion pour manipuler les sentiments d’insécurité, les structures discursives employées pour discréditer les expertises des élites intellectuelles et critiquer le fonctionnement de l’appareil pénal, etc. Sur un plan plus novateur, Pratt se penche également sur les limites de l’impact du populisme découlant de la résistance bureaucratique des juges, des avocats et des universitaires ainsi que du mouvement de justice réparatrice. Or, l’ouvrage demeure toutefois partiellement utile au présent projet en raison d’une élaboration parfois trop succincte de certaines composantes du populisme pénal.

Ainsi, pour saisir adéquatement les ramifications du populisme pénal, une recension des articles scientifiques traitant d’une manière plus ou moins directe des liens entre le populisme pénal et un objet d’étude particulier fut nécessaire. Pour ne nommer que quelques exemples, Freiberg (2001) aborde l’utilisation des émotions à titre de stratégie légitimant les politiques pénales populistes, tandis

que Newburn et Jones (2005) documentent les liens entre le populisme et l’effervescence des politiques pénales symboliques. Dean (2012) va, quant à lui, étayer les liens entre l’effervescence du populisme pénal et de la médiatisation de la criminalité, alors que Shammas (2016) s’intéresse à la naissance du désaveu à l’égard de la justice pénale et des élites scientifiques qui sont rattachées à cette dernière qui serait, selon lui, tributaire de la montée du populisme pénal.

4.3.2 Populisme pénal : La définition retenue

Dans ce mémoire, la définition du populisme pénal qui est retenue est celle d’une attitude ou une approche politique qui se situe à la confluence de la volonté d’acquérir ou de légitimer un capital politique et d’un appel à un volontarisme punitif au nom des victimes et contre des institutions étatiques disqualifiées. Plus précisément, le populisme pénal est un outil de régulation des peurs collectives qui se caractérise par la promotion ou la passation d’une politique ou d’une série de politiques populaires axées sur des peines plus sévères80, des peines présentées comme étant une réponse aux opinions publiques, et ce, qu’elles soient exprimées ou non. En ce sens, les politiciens usant de populisme pénal tentent de s’attirer un capital politique en misant sur la peur relative à la criminalité et en l’exacerbant. Les politiques populistes légiférées le sont malgré leur manque de légitimité scientifique et reposent plutôt sur un registre émotionnel, s’abreuvant d’une dévaluation de l’appareil pénal jugé comme partial puisqu’il favoriserait les personnes criminalisées aux dépens des victimes et des citoyens respectueux de la loi. Par conséquent, les politiques pénales d’orientation populiste sont des politiques répressives ayant généralement des visées symboliques et qui se détournent des principes visant l’élaboration d’une justice plus juste et équitable (Roberts et coll., 2003; Salas, 2005; Pratt, 2007; Berthelet, 2016).

Par surcroît, contrairement à la croyance populaire, le populisme pénal n’est pas strictement l’apanage de la droite, des politiciens plus à gauche sur l’échiquier politique peuvent eux aussi ancrer leur philosophie pénale dans des idéaux populistes. L’explosion sans précédent de l’incarcération de masse sous la présidence de Bill Clinton qui n’était pas considéré comme étant de droite, du moins dans la politique étatsunienne, en est une indication (Wacquant, 2005). Plus précisément, après avoir

80 Il importe de mentionner qu’il existe également une forme de populisme pénal qui promeut une réduction de

la punitivité, soit le populist leniency. Il ne s’agit toutefois pas d’une approche populiste prônant une modération en matière pénale, mais plutôt d’une approche qui milite pour que certaines personnes ne soient pas punies pour les infractions qu’elles ont commises ou pour que leur peine soit commuée en peine plus clémente. En tant que stratégie rhétorique, le populist leniency se concentre, en grande partie, sur des cas spécifiques et vise les personnes suscitant une certaine sympathie ou évoquant une certaine sentimentalité, que ce soit pour leurs caractéristiques (ex. un enfant) ou leur statut social (ex. membre des forces armées). Marginale, cette forme de populisme ne sera pas abordée plus en détail dans ce mémoire (Jones, 2010).

ratifié pendant huit ans une longue liste de lois punitives lui rapportant un grand capital politique, Clinton qualifia, deux semaines avant la fin de sa présidence, les peines minimales obligatoires de déraisonnables et l’appareil pénal américain de contre-productif81(Gardner, 2009). Il importe de ne pas conceptualiser le populisme en matière pénale tel un choix binaire. Autrement dit, il faut éviter de tracer une ligne arbitraire et ainsi créer deux pôles opposés, soit les populistes et les non-populistes. Il conviendrait plutôt de concevoir le populisme pénal à travers un continuum dans lequel l’ancrage populiste se retrouve sous différentes intensités.

Outline

Documents relatifs