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L’instrumentalisation de la volonté du peuple : Une conception subjective et partisane

Chapitre 7 – Les politiques pénales du gouvernement Harper : Fondements et stratégies de

7.3 L’instrumentalisation de la volonté du peuple : Une conception subjective et partisane

Il a été établi, dans la première partie de ce mémoire, qu’un des critères distinctifs caractérisant les populistes est leur prétention à parler au nom du peuple, du moins à une conception idéalisée et subjective de celui-ci, et ce, afin d’obtenir les faveurs dudit peuple et plus précisément son appui lors des scrutins électoraux. Au-delà de cette propension à vouloir faire corps avec le peuple à des fins électorales, les populistes s’adonnent régulièrement à des mobilisations de la prétendue volonté du peuple afin de justifier leurs politiques (Taguieff; 2007; Jamin, 2017). Bien que la démocratie représente, selon Abraham Lincoln, un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple173, la mobilisation du peuple ne constitue pas toujours un vecteur de démocratie. Malgré la tendance des populistes à se qualifier de démophile, ces derniers tendent à réduire et à instrumentaliser les appels au peuple à des fins politiques, et ce, en excluant les intérêts divergents. Il appert, selon les investigations menées dans ce mémoire, que le gouvernement Harper mobilise l’argument de la volonté du peuple à des fins instrumentales du fait que lesdites mobilisations font surtout référence aux doléances répressives du peuple qui concordent avec des idéaux harperiens174. Cette

173 Extrait tiré du discours de Gettysburg prononcé par Abraham Lincoln le 19 novembre 1863, pour plus de

détails voir Basler (1972).

174 Cette mobilisation du peuple est la facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper ayant subi les

critiques les plus subtiles de la part des partis adverses, et ce, non sans raison. En effet, les députés conservateurs attribuent régulièrement des intentions répressives au peuple canadien sous le masque de leur désir de sécurité. Certes, il est difficile de contredire le fait que les Canadiens ont des doléances en matière de sécurité; toutefois, les critiques à l’endroit de l’instrumentalisation du peuple passent notamment par le truchement de l’inefficacité des mesures répressives et ne mentionnent donc pas directement les souhaits des Canadiens. Pour cette raison, aucun extrait des critiques des partis adverses n’est ajouté dans cette section.

instrumentalisation du peuple, qui se rapporte à la seconde dimension du populisme pénal, est d’ailleurs repérée à plus de 200 reprises, représentant ainsi une des caractéristiques les plus prééminentes de l’ancrage populiste du gouvernement Harper s’étant détachée des débats parlementaires. Bien entendu l’ensemble des mobilisations ou des références au peuple, provenant des députés conservateurs, ne relève pas invariablement de l’instrumentalisation dans la mesure où tout gouvernement produit des législations selon les intérêts des gens les ayant portés au pouvoir. Seules certaines pratiques tendancieuses en ce qui concerne la mobilisation de la prétendue volonté du peuple sont soulevées ci-dessous.

De nombreux extraits peuvent témoigner du fait que le gouvernement Harper a, selon ses propres dires, assis les politiques analysées sur la prétendue volonté du peuple, tel que le suggèrent les dires de la députée Amber: « Par leurs lettres, leurs coups de téléphone et leurs visites à mon bureau, les gens de Mississauga-Sud me disent qu’ils veulent que le gouvernement sévisse contre la criminalité » (Stella Ambler, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture), ceux du ministre de la Sécurité publique : « Le gouvernement demeure déterminé à s'attaquer à la criminalité sur tous les fronts, comme le souhaitent les Canadiens » (Vic Toews Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture), ou encore ceux du ministre de la Justice: « Il [ le projet de loi C-2] prévoit des peines minimales obligatoires pour ceux qui, dans les cas les plus graves, se servent d’une arme à feu pour commettre une infraction. Je pense que nous devrions tous être d'accord pour affirmer clairement que nous prenons au sérieux les crimes commis avec une arme à feu. C’est ce que les Canadiens nous demandent de faire » (Rob Moore, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Plus précisément, les analyses de ce mémoire suggèrent que le gouvernement Harper façonne et assied les politiques étudiées sur la préconception d’un peuple aux intentions répressives, tel que le souligne l’extrait suivant: « Lorsque je discute avec mes électeurs, ils me disent souvent vouloir un système de justice qui rende réellement justice et un système correctionnel qui sévisse réellement » (Parm Gill, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Or, rappelons que plusieurs recherches ont déconstruit les prétendues intentions répressives du peuple (voir la section 4.4.2 de ce mémoire). De ce fait, l’attribution d’intentions répressives généralisées au peuple canadien témoigne d’une instrumentalisation du « peuple » dans la mesure où les doléances répressives des Canadiens sont, en réalité, plutôt nuancées, du moins beaucoup plus que ce que laisserait entendre le gouvernement Harper175. Plus encore, les écrits sociologiques abordés dans la première section de ce mémoire

175 Notons également que si le gouvernement Harper se tarda régulièrement de répondre à la volonté du peuple

en durcissant le régime pénal, ce gouvernement n’a démontré que peu, voire pas, d’intérêt à s’enquérir et à parler de la volonté du peuple en ce qui concerne les positions politiques ne correspondant pas avec leur programme politique (ex. mettre fin aux paradis fiscaux pour les grandes corporations et les individus les mieux

soulèvent que le « peuple » n’existe pas tel un fait ou un groupe prédéterminé, il s’agit plutôt d’une construction sociale (Premat, 2004). Avant d’aborder les finalités de cette instrumentalisation de la volonté générale du peuple, je m’attarde, ci-dessous, aux principales techniques utilisées par les députés conservateurs afin d’attribuer des intentions répressives au peuple.

En premier lieu, dans l’optique d’affirmer que les Canadiens sont en faveur de son approche Tough on Crime, le gouvernement conservateur utilise des références générales:

« J’ai eu d'innombrables occasions de rencontrer des Canadiens de toutes les couches de la société, d'’un océan à l'autre. […] Ce sont invariablement la sécurité personnelle et le souhait d’avoir un système judiciaire plus fiable, un meilleur équilibre entre les droits des accusés et des coupables et la reconnaissance des conséquences et du coût de la criminalité sur les victimes qui reviennent au premier plan des discussions » (Kerry- Lynne D. Findlay, Parti conservateur du Canada, C-10, 3e lecture).

Ne se limitant pas aux références générales, les députés conservateurs ont également recours à des opinions individuelles: « Le dimanche, après la messe, un couple pour qui j’ai le plus grand respect m’a pris en aparté. D’habitude, ils ne parlent pas affaires à l’église, mais le monsieur m'a dit "Gary, j’aimerais juste vous remercier du fond du cœur de défendre les victimes et la population en général " » (Gary Schellenberger, Parti conservateur du Canada, C-10, Étude de rapport). Mentionnons également que les opinions individuelles utilisées par les députés conservateurs, telles que celles rapportées dans le dernier exemple ci-haut, semblent régulièrement provenir de leur base électorale176. Au final, ces pratiques discursives témoignent peu de la volonté générale du peuple, elles illustrent plutôt que le gouvernement Harper généralise des manifestations d’opinions partielles et individuelles, voire peut-être partisanes, une généralisation leur permettant de parler au nom des Canadiens.

En second lieu, le gouvernement Harper affirme qu’il a été porté au pouvoir, par les Canadiens, pour durcir le cadre d’action étatique à l’égard de la criminalité, tel que l’indique l’extrait suivant : « Nous savons tous qu’au printemps dernier, les Canadiens nous ont donné le mandat clair de mettre en œuvre notre programme en matière de loi et d’ordre » (Scott Armstrong, Parti conservateur du Canada, C-

nantis). Par voie de conséquence, cette importance sélective accordée à la volonté du peuple est une autre preuve de la propension de ce gouvernement à instrumentaliser ladite volonté.

176 À titre d’exemple, dans l’extrait cité, le député conservateur réfère à un appui obtenu à la messe. Sans

affirmer que les pratiquants de confession chrétienne sont nécessairement d’allégeance conservatrice, plusieurs valeurs du Parti conservateur semblent concorder avec celles de la Chrétienté, du moins la droite évangélique (Guy, 2012), ce qui augmente la probabilité que les propos relevés par le député soient une opinion d’un partisan conservateur.

10, 2e lecture). Les dires du ministre de la Sécurité publique appuient également cette affirmation : « Les Canadiens ont confié au gouvernement le mandat de nous assurer des rues et des collectivités sûres en représentant rapidement notre programme législatif complet concernant la loi et l’ordre » (Vic Toews, Parti conservateur du Canada, C-2, 3e lecture). Nonobstant, ces affirmations, le gouvernement Harper ne reçoit pas un mandat « clair » puisque même lorsque majoritaire, entre 2011 et 2015, cette administration n’obtient que 39,62 % des suffrages, et ce, avec un taux de participation de 61,4%. Lorsque contextualisé, le plus haut pourcentage de Canadiens177 ayant voté pour le gouvernement Harper a donc été de 24,2%178. En d’autres termes, plus de 75% de la population n’a pas appuyé, par le biais des élections, le programme politique du gouvernement Harper, notamment en ce qui a trait au durcissement du régime pénal. Il s’avère donc quelque peu fallacieux d’affirmer, au regard des résultats électoraux, que les Canadiens sont en faveur des réformes pénales harperiennes. Notons également que le fait qu’une personne ait voté pour un parti n’implique pas qu’elle appuie indéfectiblement l’ensemble du programme dudit parti. De ce fait, un gouvernement issu d’un système de démocratie représentative devrait demeurer conscient des nuances présentes dans l’électorat, au-delà de sa simple base, et gouverner avec circonspection.

Finalement les Conservateurs utilisent des sondages d’opinion qui ont pour effet d’attribuer des désidératas punitifs au peuple canadien, et ce, qu’il s’agisse de sondage officiel comme ici: « Selon un sondage récent, les deux tiers des Canadiens approuvent l’orientation de notre gouvernement dans sa lutte contre la criminalité. L’idée d'imposer de sévères peines d’emprisonnement aux auteurs de crimes graves commis avec des armes à feu plait aux Canadiens. Ils veulent que les enfants soient protégés contre les prédateurs » (Ed Fast, Parti conservateur du Canada, C-2, 2e lecture), ou encore des sondages autoréalisés: « J’ai pris l'habitude de faire un sondage à chaque semaine. J’envoie ma question de la semaine à quelque 15 000 personnes […] Lorsque j'ai demandé à mes électeurs si les personnes reconnues coupables de crime à caractère sexuel, y compris la pédophilie, devraient pouvoir présenter une demande de pardon et faire classer leur casier judiciaire, 95 p. 100 des répondants ont dit non » (Ed Holder, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Or, loin d’être un vecteur de la volonté populaire, les résultats des sondages d’opinion, qui ont été la cible de certaines critiques dans la première partie de ce mémoire, s’avèrent bien souvent subjectifs, malléables, voire biaisés et simplistes, et donnent illusoirement la parole aux citoyens (Pires, 2001;

177 Je réfère ici aux Canadiens ayant le droit de vote.

178 Lors de l’élection de 2011, 14 720 580 personnes se sont rendues aux urnes pour un taux de participation de

61,4 %, 5 814 374 d’entre eux ont voté pour la formation politique de Stephen Harper (Élections Canada, 2016). Conséquemment, si une règle de trois est appliquée aux chiffres précédemment mentionnés, 5 814 374 ont voté pour Stephen Harper sur une possibilité de 23 974 886, soit 24,2%.

Gauthier, 2014). D’ailleurs, bien que le gouvernement affirme que les sondages démontrent que les Canadiens souhaitent un durcissement des pratiques pénales, certaines études témoignent que les résultats de sondages sur des questions pénales doivent être nuancés179 (par ex. Leclerc et Boudreau, 2007).

La mobilisation de la volonté répressive du peuple semble donc revêtir une connotation instrumentale. À ce sujet, je m’attarde dans les sections ci-dessous à l’instrumentalisation de la volonté générale à titre de source de légitimation politique.

7.3.1 La limitation du pouvoir judiciaire

Il ressort des investigations menées dans ce mémoire que l’argument de la volonté du peuple se retrouve au cœur de la lutte de pouvoir contre le corps judiciaire, à laquelle s’adonne le gouvernement Harper. Celui-ci légitime la restriction du pouvoir judiciaire, notamment par le truchement des peines minimales180, sur les prétendues revendications des Canadiens : « En adoptant cette mesure et les dispositions relatives aux peines minimales, avec le concours des Libéraux, je l’espère, et celui des Néodémocrates, si nous réussissons à convaincre certains députés que c’est ce que les Canadiens veulent, nous enverrons un message clair aux juges » (Brian Jean, Parti conservateur du Canada, C- 10, 2e lecture). Or, malgré les dires du gouvernement Harper, cette réduction du pouvoir discrétionnaire, tournée vers l’octroi de peines minimales, ne concorde pas avec la volonté du peuple puisque les études de cas simulés, telle celle de Roberts et coll. (2007), illustrent qu’une vaste majorité des Canadiens sont en faveur de l’individualisation des peines, notamment parce que ceux-ci comprennent que les peines minimales peuvent engendrer des injustices. Conséquemment, la restriction du pouvoir discrétionnaire judiciaire, du moins lorsqu’il est question des peines minimales, ne semble pas constituer une revendication du peuple comme peut l’affirmer le gouvernement Harper.

7.3.2 L’accentuation de la sévérité pénale

Dans le cadre du programme de la loi et l’ordre du gouvernement Harper, mes analyses suggèrent que la volonté du peuple est récurremment utilisée afin d’asseoir une accentuation de la sévérité pénale, une réalité qui sera dépeinte, ici, à travers les transformations relatives au régime de condamnation avec sursis181. Le gouvernement Harper emploie en effet l’argument de la volonté du

179 Pour plus de détail, voir la section 4.4.2.

180 Les autres restrictions du pouvoir discrétionnaire, telles que celles qui découlent de l’ajout du principe de

dissuasion et de dénonciation dans la justice pour mineurs, n’ont pas été abordées par le prisme de l’argument de la volonté du peuple puisque celles-ci ont réduit le pouvoir discrétionnaire plus subrepticement.

181 Au-delà du sursis, l’argument de la volonté du peuple a été repéré dans les débats portant sur les

peuple pour assoir sa réforme sur le régime du sursis : « Au fil des années, la population a perdu confiance dans le bien-fondé des ordonnances de sursis en raison du large éventail d'infractions qui ont fait l’objet de peines avec sursis, dont celles passibles des peines maximales prévues dans le Code criminel. Le gouvernement a répondu à ces préoccupations en présentant le projet de loi C-9 [projet de loi mort au feuilleton repris dans le projet de loi C-10] » (Shelly Glover, Parti conservateur, C-10, 2e lecture). Plus précisément, les députés conservateurs affirment réduire l’application du sursis pour les crimes graves ou de nature violente : « Ce gouvernement est attentif aux préoccupations des Canadiens et des Canadiennes qui ne veulent plus voir l'emprisonnement avec sursis utilisé lors de crimes graves, qu'ils soient commis avec violence ou reliés à la propriété » (Robert Goguen, Parti conservateur, C-10, 2e lecture). Loin d’être appuyées sur des données factuelles, une série de recherches viennent récuser ces assertions selon lesquelles les Canadiens souhaitent une réductiondu recours aux peines d’emprisonnement avec sursis. À ce sujet, la première variable à considérer afin de décortiquer les attitudes du peuple canadien à l’égard du régime de condamnation avec sursis est la compréhension très limitée des Canadiens relativement à l’application de la peine de sursis et de ses incidences. Selon l’étude de Roberts et LaPrairie (2000) 182, plus de 52 % de la population canadienne n’est pas en mesure de définir adéquatement les peines d’emprisonnement avec sursis. À la lumière de cette mécompréhension, les sondages d’opinion qui attestent que la population canadienne souhaite un appareil pénal plus répressif ne devraient pas être généralisés au régime de condamnation avec sursis. D’ailleurs, lorsque l’incarcération avec sursis est expliquée aux Canadiens, dans des études de cas simulés, l’appui de la population à l’endroit du sursis peut grimper jusqu’à 77% pour des infractions violentes telles que les voies de fait (Roberts, Doob et Marinos, 1999; Sanders et Roberts, 2000).

Au-delà de son appui aux crimes violents plus « mineurs », il appert qu’une portion importante du public canadien est prête à avaliser l’octroi de l’emprisonnement avec sursis dans le cas d’infractions violentes « graves » 183 si les conditions de remise en liberté s’avèrent assez strictes (Roberts, Antonowicz et Sanders, 2000; Sanders 2002). Soulignons également qu’en dépit des dires du

sexuel et en matière de conduite avec facultés affaiblies. Il sous-tend aussi les transformations relatives à la justice pour mineurs, aux casiers judiciaires, au processus d’octroi des libérations conditionnelles, tout comme les mesures concernant les renversements du fardeau de la preuve, l’abolition de la procédure d’examen expéditif et ainsi que l’âge du consentement sexuel.

182 Notons que les études employées pour illustrer le taux d’appui au régime de condamnation avec sursis datent

de plusieurs années. Aucune nouvelle recherche n’a été conduite à ce sujet. Conséquemment, aucune donnée ne peut indiquer des changements ou bien contredire les chiffres qui sont cités ci-haut.

183 Il s’agit, ici, des crimes « graves » pour lesquels un emprisonnement avec sursis peut être octroyé. À titre

d’exemple, une peine pour un meurtre au premier degré ne peut pas engendrer une peine d’incarcération avec sursis et a donc été exclue des études de Roberts, Antonowicz et Sanders (2000) et de Sanders (2002).

gouvernement Harper, la section du projet de loi C-10 relative à l’incarcération avec sursis n’est pas circonscrite aux crimes graves, puisqu’elle interdit, entre autres, l’application du sursis pour des crimes pouvant revêtir un caractère plus « mineur », tel que le harcèlement criminel, le vol d’un véhicule à moteur ou encore la présence illégale dans une maison d’habitation.

Pour nuancer davantage, remarquons que l’octroi de l’emprisonnement avec sursis pour des crimes de nature sexuelle engendre une réprobation généralisée chez près de 97 % des Canadiens (Roberts, Doob et Marinos, 1999; Sanders et Roberts, 2000). Le projet de loi C-10 ajoute l’agression sexuelle à la liste des infractions pour lesquelles une peine d’emprisonnement avec sursis ne peut plus être octroyée. Conséquemment, la proscription du sursis pour les agressions sexuelles relève d’une opinion généralisée. Or, il semble s’agir du seul crime, énuméré dans la section 4 du projet de loi C- 10, pour lequel des données probantes attestent que cette réforme est souhaitée par le peuple canadien. Somme toute, deux constats émergent de l’analyse de la transformation du régime de condamnation avec sursis. Premièrement, le gouvernement Harper attribue à tort des intentions répressives au peuple canadien en ce qui a trait au régime de condamnation avec sursis. Deuxièmement, cette administration traite de la réduction de l’octroi du sursis pour les crimes jugés les plus graves, mais généralise subrepticement sa réduction pour plusieurs autres types de crimes moins graves. Non sans rappeler les analyses sur l’instrumentalisation de la victime, l’accentuation de la sévérité pénale au nom de la volonté du peuple revêt donc, elle aussi, une connotation instrumentale.

Il émerge des analyses de ce mémoire que le gouvernement Harper assied et légitime la réduction du pouvoir discrétionnaire des juges et le durcissement du régime pénal sur la prétendue volonté du peuple. En dépit des dires de cette administration, les analyses de ce mémoire illustrent toutefois que ces réformes ne concordent pas systématiquement avec les doléances et les attentes du peuple canadien. Par voie de conséquence, il appert que le gouvernement Harper instrumentalise la « volonté du peuple » à des fins politiques, une instrumentalisation du peuple qui constitue une facette fondamentale du populisme (Taguieff; 2007; Jamin, 2017) et du populisme pénal (Pratt, 2007). L’instrumentalisation de la volonté du peuple n’est toutefois pas l’unique composante reliée à la question du « peuple » dans l’ancrage populiste du gouvernement Harper. En basant et en légitimant ses politiques sur les attentes et les désirs du peuple, qu’ils soient réels ou imaginés, le gouvernement Harper transfère, à un certain point, la légitimité de la production législative pénale vers le peuple. Plus précisément, les Conservateurs avancent que leurs politiques émanent de monsieur et madame Tout-le-monde et sont basées sur le « gros bon sens » des gens dits ordinaires : «L'important, c'est que nous écoutions nos électeurs, que nous nous inspirions du bon sens des gens de tous les jours,

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