• Aucun résultat trouvé

Dérives et misères populistes : analyse des politiques pénales érigées, modifiées et abrogées sous le gouvernement de Stephen Harper, 2006-2015

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Dérives et misères populistes : analyse des politiques pénales érigées, modifiées et abrogées sous le gouvernement de Stephen Harper, 2006-2015"

Copied!
202
0
0

Texte intégral

(1)

© Alexandre Audesse, 2019

Dérives et misères populistes : Analyse des politiques

pénales érigées, modifiées et abrogées sous le

gouvernement de Stephen Harper, 2006-2015.

Mémoire

Alexandre Audesse

Maîtrise en sociologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

Dérives et misères populistes :

Analyse des politiques pénales érigées, modifiées et abrogées

sous le gouvernement de Stephen Harper, 2006-2015.

Mémoire

Alexandre Audesse

Sous la direction de :

(3)

Résumé

Plébiscité à titre de 22ième Premier ministre du Canada, Stephen Harper dirigea pendant près d’une décennie un gouvernement conservateur qui, mû par une philosophie Tough on Crime, ratifia plus de cinquante politiques pénales ayant toutes comme épicentre la promotion et l’accentuation de l’usage de la force pénale. Or, il appert que les réformes pénales de l’administration Harper ne reposaient pas uniquement sur des desseins répressifs ; elles étaient également traversées par une série d’idéaux populistes. Marquée par les possibles répercussions d’une telle approche pénale, la présente recherche documente certains des aspects populistes ayant sous-tendu les politiques pénales ratifiées par le gouvernement de Stephen Harper.

Pour réaliser un tel objectif, la première partie de ce mémoire illustre que le gouvernement Harper a engendré, à des fins politiques, un impetus de punitivité sans précédent dans la sphère pénale canadienne. Poussant la réflexion à un autre niveau, la seconde partie de la présente recherche est constituée d’une série d'analyses qualitatives et de réflexions critiques portant sur trois des politiques harperiennes ayant eu les impacts les plus significatifs sur le champ pénal canadien, soit les projets de loi C-2, C-10 et C-59. À la lumière de ces analyses et de ces réflexions, ce mémoire aspire à mettre en exergue diverses facettes de l’ancrage populiste du gouvernement Harper en matière pénale.

Loin de se limiter à l’œuvre pénale du gouvernement Harper ce mémoire tente également d’offrir une compréhension des réalités sous-tendant les vagues populistes et les dérives que celles-ci peuvent engendrer en justice pénale.

Mots-clés : Populisme, populisme pénal, politique pénale, justice pénale, traditions pénales

(4)

Abstract

Elected as the 22nd Prime Minister of Canada, Stephen Harper’s Conservative government ruled for close to a decade. Driven by a “Tough on Crime” philosophy, the Harper government ratified over fifty penal policies. All of these policies were centered on the promotion and increased use of penal force. It appears, however, that Harper’s penal reforms did not rest solely on such repressive intents but were also laced with a plethora of populist ideals. Struck by the implications of such a penal approach, this study is built on the necessity to document the populist aspects undergirding Harper’s penal policies.

To achieve such an objective, the first part of this thesis illustrates that the Harper government created, under political imperatives, an unprecedented punitivity impetus on the Canadian penal scene. Pushing the reflection to another level, the second part of this thesis consists in a series of qualitative analyses and critical reflections on three of Harper’s penal policies which had the most significant impacts for the Canadian penal field: Bills are C-2, C-10 and C-59. From these analyses, this thesis highlights various aspects of the Harper government's penal populist stance.

Going well beyond the penal work of the Harper government, this thesis also attempts to offer an understanding of the realities behind populist waves and drifts that can occur in Criminal justice.

Keywords: Populism, penal populism, penal policy, Criminal justice, Canadian penal traditions,

(5)

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... viii

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Chapitre 1 – Prolégomènes : Les fondements de la démocratie et de la justice pénale canadiennes ... 5

1.1 Définition des concepts ... 5

1.2 Les traditions pénales et démocratiques canadiennes... 6

1.2.1 Les particularités démocratiques canadiennes ... 7

1.3 Le pénal et le criminel : Ambiguïté définitionnelle ... 8

1.4 Objet d’étude : Les politiques pénales ... 9

1.5 Les fondements des politiques pénales et de la peine ... 10

1.5.1 L’article 718 du Code criminel et les objectifs de la peine ... 11

1.5.2 Les théories de la peine et la rationalité pénale moderne ... 11

1.6 Remarques conclusives ... 17

Chapitre 2 – Les tendances pénales canadiennes : De l’idéal de réhabilitation au populisme pénal « Harperien » ... 18

2.1 Les mutations pénales canadiennes ... 18

2.2 Le concept de virage punitif ... 19

2.2.1 Le virage punitif canadien : Réalité ou mythe ?... 19

2.2.2 Les symptômes constitutifs du virage punitif ... 22

2.3 1980 à 2005 – Un virage punitif circonscrit ... 24

2.3.1 L’explosion carcérale ... 24

2.3.2 La pénalité post-disciplinaire ... 25

2.3.3 La pénalité politisée et expressive ... 26

2.4 2006 à 2015 – Gouvernement conservateur : Un tournant punitif ? ... 26

2.4.1 L’explosion carcérale ... 27

2.4.2 La pénalité post-disciplinaire ... 28

2.4.3 La pénalité politisée et expressive ... 31

2.5 Les Conservateurs et la justice pénale ... 32

2.5.1 La répression de la criminalité dans les plateformes électorales fédérales ... 32

2.5.2 La politisation et l’instrumentalisation des questions de sécurité ... 34

2.5.3 Le transfert de la légitimité de la production législative vers le peuple ... 36

2.6 Le populisme pénal du gouvernement Harper ... 39

2.7 Question et objectifs de recherche ... 39

2.8 Pertinence scientifique et sociale... 40

2.8.1 La pertinence de mettre en lumière l’oppression discriminatoire de la justice pénale ... 41

2.8.2 La pertinence d’étudier le populisme pénal dans le contexte politique actuel ... 42

(6)

2.9 Remarques conclusives ... 44

Chapitre 3 – Posture épistémologique, cadre théorique et notions corrélatives ... 45

3.1 Positionnement épistémologique ... 45

3.2 Les théories du conflit ... 47

3.3 Les théories conflictuelles de la criminalité ... 48

3.3.1 George B. Vold : Conflit et crime ... 49

3.3.2 Austin Turk et William Chambliss : Crime, pouvoir et processus législatif ... 49

3.4 Les « dérivés » et la synthèse des théories du conflit ... 51

3.5 Les théories du conflit et l’objet d’étude de ce mémoire ... 52

3.6 Le conservatisme harperien ... 53

3.7 Remarques conclusives ... 54

Chapitre 4 – Cadre conceptuel : Du populisme au populisme pénal ... 55

4.1 Le populisme politique ... 55

4.2 L’incursion du populisme dans le champ pénal ... 60

4.2.1 Le traitement médiatique de la justice et de la criminalité ... 60

4.2.2 De l’État social à l’État pénal ... 62

4.3 Le populisme pénal ... 63

4.3.1 Recension des écrits sur le populisme pénal ... 63

4.3.2 Populisme pénal : La définition retenue ... 65

4.4 Les dimensions du populisme pénal ... 66

4.4.1 Première dimension : Instrumentalisation de l’expérience des victimes ... 66

4.4.2 Deuxième dimension : Paniques morales, faits divers et opinion publique ... 69

4.4.3 Troisième dimension : Émotivité, affects, et rationalité ... 72

4.4.4 Quatrième dimension : Discrédit du discours expert... 74

4.4.5 Cinquième dimension : Simplifications des réponses, polarisation des discours et sévérité pénale ... 75

4.4.6 Sixième dimension : Caractère expressif et symbolique de la réponse pénale ... 76

4.5 Remarques conclusives ... 77

Chapitre 5 – Méthodologie et corpus de données ... 78

5.1 Approche de la recherche ... 78

5.2 Les étapes de la recherche ... 79

5.2.1 Phase 1 : La collecte des données... 79

5.2.2 Phase 2 : La méthode d’analyse des données ... 83

5.3 Limites et biais de la méthodologie ... 85

5.4 Remarques conclusives ... 87

Chapitre 6 – Les changements législatifs et leurs effets ... 88

6.1 Le projet de loi C-2 : Loi sur la lutte contre les crimes violents (2008) ... 88

6.1.1 Partie 1 – Les peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu ... 88

6.1.2 Partie 2 – L’accroissement de l’âge de consentement sexuel ... 91

6.1.3 Partie 3 – La conduite avec facultés affaiblies par la drogue ... 92

6.1.4 Partie 4 – La mise en liberté en cas d’infractions mettant en jeu une arme à feu ou d’autres armes réglementées ... 93

6.1.5 Partie 5 – Désignation de délinquants dangereux ... 94

6.2 Le projet de loi C-59 : Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels (2011) ... 95

(7)

6.3.1 Partie 1 – Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme ... 98

6.3.2 Partie 2 – Les infractions d’ordre sexuel à l’égard d’enfants ... 98

6.3.3 Partie 3 – Les infractions relatives aux drogues et autres substances ... 98

6.3.4 Partie 4 – La peine d’emprisonnement avec sursis... 100

6.3.5 Partie 5 – Les libérations conditionnelles ... 101

6.3.6 Partie 6 – Le casier judiciaire ... 103

6.3.7 Partie 7 – L’extradition des personnes criminalisées ... 103

6.3.8 Partie 8 – La justice pénale pour les adolescents ... 104

6.3.9 Partie 9 – La protection des réfugiés ... 106

6.4 Les grands effets des réformes analysées ... 106

6.4.1 La limitation du pouvoir judiciaire ... 109

6.4.2 L’institution de valeurs conservatrices : Le processus de criminalisation et ses effets moralisants ... 114

6.4.3 L’accroissement de la sévérité pénale ... 117

6.5 Remarques conclusives ... 121

Chapitre 7 – Les politiques pénales du gouvernement Harper : Fondements et stratégies de légitimation populistes ... 122

7.1 L’instrumentalisation de la victime : La figure fantasmée de la victime vindicative ... 123

7.1.1 L’accentuation de la sévérité pénale ... 125

7.2 La conception manichéenne de la dyade victime-coupable : Punir et honnir les individus criminalisés au nom de la victime ... 128

7.2.1 L’accentuation de la sévérité pénale ... 130

7.3 L’instrumentalisation de la volonté du peuple : Une conception subjective et partisane de la volonté générale ... 135

7.3.1 La limitation du pouvoir judiciaire ... 139

7.3.2 L’accentuation de la sévérité pénale ... 139

7.4 La mésestime des experts et des savoirs : Ériger des politiques non-éclairées ... 142

7.4.1 La limitation du pouvoir judiciaire ... 143

7.4.2 L’imposition de valeurs conservatrices ... 144

7.4.3 L’accentuation de la sévérité pénale ... 146

7.5 La prééminence du caractère expressif et symbolique de la réponse pénale : Les impératifs politiques au-delà des retombées concrètes ... 148

7.5.1 L’accentuation de la sévérité pénale ... 149

7.5.2 L’imposition de valeurs conservatrices ... 151

7.6 Les faits divers à titre de moteur législatif : Réprimer au nom de l’anecdote ... 153

7.6.1 L’accentuation de la sévérité pénale : Sébastien Lacasse et Earl Jones : Les visages du populisme harperien ... 153

7.7 La disqualification de la justice pénale : De l’appel à la rupture à l’appel aux changements ... 156

7.8 La récurrence des arguments sophistiques : Un populisme pénal à l’argumentaire fallacieux ... 158

7.8.1 Les généralisations abusives ... 160

7.8.2 Les faux dilemmes ... 160

7.8.3 Les manipulations statistiques ... 161

7.8.4 Les appels à l’émotion ... 162

Conclusion ... 163

(8)

Liste des tableaux

Tableau 1 La répression de la criminalité dans les plateformes électorales des trois grands partis politiques fédéraux canadiens – 2006-2015 ... 33 Tableau 2 Synthèse des théories du conflit ... 52 Tableau 3 Catégorisation générale ... 85 Tableau 4 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant aux

peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu ... 90 Tableau 5 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant à

l’évolution de l’âge du consentement sexuel ... 92 Tableau 6 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 relatives aux

peines minimales pour les infractions en matière de conduite avec les facultés affaiblies ... 93 Tableau 7 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 relatives à la

restriction des remises en liberté pour les infractions reliées aux armes à feu ... 94 Tableau 8 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C- 10 concernant

l’évolution des peines minimales pour les infractions sexuelles à l’égard d’enfants ... 99 Tableau 9 Les infractions pour lesquelles la peine d’emprisonnement avec sursis est

dorénavant proscrite ... 101 Tableau 10 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-10 modifiant la

Loi sur le système de justice pénale pour adolescents ... 105 Tableau 11 Nombre d’extraits repérés pour chacune des catégories générales ... 123

(9)

Never mistake law for justice

Justice is an ideal, and law is a tool

(10)

Remerciements

Certaines choses ont le pouvoir de littéralement changer une vie, ma rencontre avec Joane Martel fut un de ces moments mirifiques. Il n’existe aucun mot, quelle que soit la langue, assez fort pour décrire toute la gratitude que j’éprouve envers cette professeure d’exception. Elle ne fut pas simplement une formidable directrice, elle fut et restera mon modèle de vie. Me guidant et m’inspirant, Joane Martel a su insuffler en moi un esprit critique et une rigueur intellectuelle qui guideront mes pas ad vitam aeternam. Transcendant les contours universitaires, elle a également fait preuve d’un soutien inconditionnel sur le plan personnel. À mes yeux, il est d’ailleurs indéniable que ce projet, comme toutes mes autres réalisations académiques et professionnelles, n'aurait pu se concrétiser sans son appui indéfectible. Je souhaite donc, de tout mon cœur, avoir été à la hauteur de son investissement et de sa confiance à mon égard. Ma chère Joane, merci tout simplement d’être une directrice aussi extraordinaire, j’espère pouvoir bénéficier de vos conseils et de votre support encore bien des années.

En plus de ma directrice, j’ai également eu l’immense plaisir d’être l’assistant de sept professeurs/chercheurs, soit, par ordre alphabétique, Marie-Claude Belleau, Yanick Charette, François Fenchel, Mariana Raupp, Catherine Rossi, Annie-Claude Savard et Mathilde Turcotte. Chers professeurs, il me serait impossible d’énumérer exhaustivement vos apports respectifs à ma carrière, mais sachez que vous avez tous contribué de diverses manières à ma formation professionnelle et intellectuelle. Merci également de m’avoir traité avec autant d’estime et d’amitié, vous avez littéralement transformé l’Université Laval en ma seconde famille. J’espère que vous continuerez à innover dans vos domaines respectifs, notre société a grand besoin de vos apports. Au plaisir de retravailler avec vous.

Je remercie également tous les membres du comité éditorial de la Revue canadienne Droit et Société/Canadian Journal of Law and Society. Travailler avec cette formidable équipe est une expérience très enrichissante sur le plan professionnel et personnel. Je les remercie donc de m’avoir engagé et j’espère que notre collaboration pourra perdurer encore plusieurs années.

Ensuite, je remercie chaleureusement mes collègues et amis du programme de criminologie, qui sont malheureusement trop nombreux pour être nommés. Je me considère chanceux d’avoir partagé mon parcours universitaire avec vous puisque j’ai l’intime conviction que vous serez tous de grands criminologues. Je remercie également mes amis les plus proches, qui sauront se reconnaitre, pour leur soutien inconditionnel au fil des années. À ce sujet, merci à Laurence St-Pierre qui est celle qui m’a

(11)

supporté, je devrais probablement dire « enduré », quotidiennement lors de la réalisation de ce mémoire. Je ne peux pas non plus passer sous le silence la contribution de mes parents, qui n’ont pas toujours compris mes folles ambitions, mais qui ont tout fait pour me soutenir et me permettre de réaliser mes rêves.

Finalement, depuis mon enfance, de nombreuses personnes m’ont répété que je ne pourrais jamais réussir à contrôler mon bégaiement pour réussir quoi que ce soit. Je dédie donc ce mémoire à toutes les personnes souffrant d’un handicap quelconque. Ne laissez jamais quelqu’un vous dire que vous n’êtes pas assez bien pour réaliser vos rêves et n’oubliez surtout pas les mots d’un certain Stephen Hawking :

« Remember to look up at the stars and not down at your feet. And however difficult life may seem, there is always something you can do and succeed at.

(12)

Introduction

Un des points de mire de toute société est la répression partielle, sinon totale, des comportements érigés en « crimes » sur le plan normatif. Or, l’histoire moderne est parsemée d’exemples, tels que la surreprésentation des Afro-Américains dans les prisons étatsuniennes ou encore le sempiternel débat sur la portée dissuasive de la peine capitale, qui illustrent non seulement la difficulté d’un tel objectif, mais également sa portée litigieuse. À titre de remarques liminaires, il s’avère également essentiel de spécifier qu’un crime n’est pas un phénomène naturel qui existe en soi: un acte ne peut être qualifié de « criminel » que sous l’action d’un pouvoir légitime qui va sanctionner l’exécution dudit comportement. Ainsi, dans son acception sociologique la plus succincte, un crime se définit comme « tout acte qui, à un degré quelconque, détermine contre son auteur cette réaction caractéristique qu’on nomme la peine » (Durkheim, 2008 : 73). Le crime est donc, en tant que comportement spécifique, une construction sociale érigée par le truchement de réactions étatiques propres à chaque société. Loin d’être aléatoires, lesdites réactions s’avèrent d’ailleurs tributaires des philosophies, des idéologies et des valeurs dominantes prévalant dans la société en question.

Au Canada, comme dans la vaste majorité des pays occidentaux, les statistiques officielles suggèrent que les formes de criminalité qui sont considérées comme les plus préoccupantes (ex. meurtre, séquestration, voies de fait, etc.) sont en constante diminution depuis près de trois décennies (Bunge, Johnson et Baldé, 2005; Statistique Canada, 2014). Certains auteurs vont même avancer l’hypothèse que le déclin des activités délictueuses remonte aux années 1960 (Salas, 2005). Sans affirmer que les chiffres mentent, le sociologue d’orientation constructiviste a pour vocation le doute et la critique, il se doit donc de réexaminer ces indicateurs « objectifs », notamment à l’aide d’analyses macrosociologiques. Selon cette posture épistémologique, les diverses méthodes de construction sociale des statistiques criminelles sont intrinsèquement reliées aux pratiques sociales, institutionnelles, organisationnelles et politiques. Les réactions sociales et étatiques telles que les mouvances définitionnelles des infractions, l’accroissement de la prévalence des déclarations faites par les victimes ainsi que l’intensification des activités d’enquête policière et de poursuite judiciaire du crime s’avèrent donc des éléments constitutifs du « fait » criminel qui altèrent les statistiques officielles1 (Best, 2001; Neuilly et Zgoba, 2008; Fassin, 2017). Nonobstant le débat temporel quant à

1 En France, Laurent Mucchielli proposa une analyse de l’évolution des statistiques en matière de violence qui suggère que ce

ne sont pas les actes violents qui ont décuplé, mais bien les déclarations et les enregistrements de leurs expressions mineures. En d’autres termes, l’appareil pénal s’activa pour un plus large éventail de comportements « mineurs » qui ne relevaient autrefois pas de la justice pénale (Mucchielli, 2008). Parallèlement, aux États-Unis, le déploiement considérable de la police dans les espaces sociaux à haute vulnérabilité, notamment sous l’effet de la War on Drugs de Ronald Reagan (Alexander, 2010), laisse envisager que l’augmentation des taux de certains crimes, dont ceux relatifs aux stupéfiants, n’était pas reliée à l’accroissement de la prévalence de ces actes, mais bien à l’élargissement du filet pénal.

(13)

l’amorce de la diminution de la prévalence des activités délictueuses, les philosophies pénales nord-américaines ont, quant à elles, mué à contre-pied de l’évolution desdites statistiques criminelles. Au Canada et aux États-Unis, les années 1950, 1960 et 1970 représentaient effectivement un apogée en ce qui a trait à la mise en place de stratégies visant la diminution de l’incarcération et la promotion des mesures réhabilitatives (Landreville, 2007). Ce paradigme pénologique fut toutefois supplanté par une transformation progressive des politiques, des rhétoriques et des pratiques officielles de la criminalisation à la fin des années 1970 (Carrier, 2010). Cette nouvelle approche, largement ancrée dans un durcissement marqué de l’ensemble des pratiques pénales (Pratt, 2007), était directement tributaire de la mutation des processus sociaux, économiques, politiques et culturels de l’époque. Ces mutations auraient engendré une insécurité sociale prenant forme à travers de nombreux phénomènes, tels qu’une perte des repères normatifs, une diminution des soutiens économiques et une médiatisation grandissante de la criminalité (Wacquant, 2004; Garland, 2001).

Wacquant (2004) et Garland (2001) estiment que, confrontés à cette insécurité sociale grandissante, un nombre considérable de politiciens succombèrent à la tentation populiste d’instrumentaliser ladite insécurité dans le but de s’attirer un capital politique, une instrumentalisation se transposant en diverses politiques sociales et pénales. Aux États-Unis, un des exemples éloquents demeure l’édification conjointe d’un workfare2 à connotation punitive et l’explosion d’un prisonfare3 dans les espaces sociaux les plus défavorisés sous la présidence de Bill Clinton (Wacquant, 2005). Au Canada, l’instrumentalisation de la criminalité et de sa répression fut, quant à elle, une des principales caractéristiques de la philosophie et de la stratégie politique qui anima le Parti conservateur de Stephen Harper pendant les neuf années, huit mois et 29 jours que dura son ascendance à la Chambre des communes du Canada.

Sous l’administration Harper, les projets de loi de nature criminelle ou pénale représentèrent effectivement une part notable du programme législatif. Par exemple, lors de la 41e législation du Parlement canadien, dernier mandat du Parti conservateur, plus de 20 % des projets de loi déposés étaient directement reliés aux traitements de la criminalité (Mallea, 2015), une proportion plutôt difficile à expliquer dans un pays où le taux de criminalité est en constante diminution. Lors de ce dernier mandat, en 2013, le taux de crimes déclarés à la police avait même atteint son plus bas niveau

2 Le workfare est une pénalisation de l’aide sociale dans laquelle les bénéficiaires se voient obligés d’accepter

des activités moins bien rémunérées que sur le marché, en contrepartie de la perception des prestations d’allocations sociales (Peck, 1998).

3 Le terme prisonfare représente l’ensemble des politiques et des dispositifs cherchant à remédier à des

conditions et à des comportements jugés socialement indésirables par le biais d’un déploiement considérable de la police, des tribunaux, des prisons et de leurs appendices (Wacquant, 2004).

(14)

en près de 50 ans (Boyce, Cotter et Perreault, 2014). Imperméable à ces statistiques, le discours des Conservateurs n’a pas fléchi; pour eux, les Canadiens vivaient, et vivent toujours, dans un monde de moins en moins sécuritaire (Mallea, 2015). Dès lors, pour cette formation politique, une transformation du cadre d’action étatique à l’égard de la criminalité s’avérait nécessaire, une transformation principalement orientée vers un durcissement du régime pénal.

Or, d’un point de vue scientifique, et bien au-delà des statistiques suggérant que les Canadiens sont confrontés à des risques de victimisation criminelle plutôt faibles, de nombreuses recherches témoignent de l’inefficacité d’un appareil pénal démesurément ancré dans une attitude répressive (Fattah, 1976; Doob et Webster, 2003; Mallea, 2011). Loin d’accroître la sécurité des citoyens, une sévérité pénale exagérée4 tend à amplifier la vulnérabilité des personnes appartenant aux groupes sociaux les plus démunis à l’égard de qui l’État semble n’opposer que la force de plus en plus brutale de l’appareil policier et judiciaire (Matthews, 2005). D’ailleurs, à titre d’exemple ou plutôt de contre-exemple, les recherches conduites sur le modèle punitif étatsunien suggèrent qu’en plus d’être inefficaces, les innombrables lois répressives qui furent légiférées sur le sol étatsunien au cours des dernières décennies se sont avérées extrêmement dommageables sur le plan humain et du point de vue des finances publiques. Que ce soit les victimes, les individus criminalisés5 ou encore les communautés et les contribuables, personne n’a gagné quoi que ce soit dans ce concert punitif, peut-être mis à part, pour certains, quelques élections6 (Tonry, 2014; Kelly, 2015).

4 Une sévérité pénale exagérée réfère aux peines dont la sévérité et la durée sont excessives eu égard à la gravité

objective du crime et aux circonstances particulières lui étant rattachées.

5 Les termes utilisés, dans ce mémoire, afin de nommer les individus criminalisés ne relèvent pas du hasard.

Pour moi, les termes « délinquant » et « criminel » s’avèrent infamants puisque que lorsqu’apposés sur une personne, ils engendrent stigmatisation et ostracisation. Se rajoute à cette portée infamante, une série de préconçus et de préjugés quant à la prétendue nature axiologiquement neutre du crime. Pour illustrer les précédentes critiques, il y a quelques décennies, aux États-Unis, une dame qui prenait siège dans la mauvaise section d’un autobus était étiquetée comme une « criminelle » ou une « délinquante ». Or, aujourd’hui, les termes « délinquant » et « criminel » semblent très peu appropriés pour qualifier Rosa Parks. De surcroît, bien que le terme « contrevenant » s’avère quelque peu moins infamant, il implique que la personne, sur qui il est apposé, a réellement commis l’acte dont elle est accusée ou condamnée, ce qui n’est pas indubitablement véridique. Dès lors, l’utilisation de tels termes devrait, à mon sens, être nuancée. Dans ce mémoire, ils ne seront d'ailleurs utilisés qu’afin de citer textuellement certains dires.

6 Aux États-Unis, la surincarcération a également engendré des profits substantiels pour les compagnies privées

du secteur carcéral. Toutefois puisque aucune institution carcérale canadienne n’est gérée par le « privé », les liens entre la privatisation du système carcéral et les taux d’incarcération ne seront pas abordés dans ce mémoire. À ce sujet voir, Christie (2003).

(15)

D’ailleurs, en offrant des réformes pénales ancrées dans des idéaux Tough on Crime7 promouvant la valorisation et l’accentuation de l’usage de la force pénale, et ce, dans le but avoué de répondre à des besoins sécuritaires exprimés par une partie de la population, le Parti conservateur de Stephen Harper a engendré une vague punitive sans précédent en sol canadien, ce qui lui a d’ailleurs permis de se cultiver un capital politique notable. Or, il semble que bon nombre de ses projets de loi n’avaient que peu ou pas de légitimité scientifique et n’avaient, qu’au final, que des visées symboliques (Mallea, 2015). Il n’est donc pas fallacieux d’avancer l’hypothèse que les réformes pénales de ce gouvernement aient été érigées, notamment, à des fins populistes. Dans cette optique, la présente recherche a comme objectif central de documenter l’ancrage populiste du gouvernement Harper en matière pénale, et ce, par l’entremise d’une analyse documentaire des projets de loi pénaux et des débats parlementaires que ceux-ci ont pu générer. Pour y arriver, ce mémoire est divisé en sept chapitres, remplissant chacun des fonctions bien précises.

Le premier chapitre aborde les prolégomènes nécessaires à la compréhension de cette recherche, soit les fondements et les traditions de la démocratie canadienne et la place de la justice pénale en son sein. Le deuxième chapitre se divise en deux grandes sections : la première expose l’évolution de certains aspects de la justice pénale canadienne, et ce, des années 1980 jusqu’aux trois mandats du gouvernement Harper; la seconde, bien assise sur cette contextualisation, dresse un portrait de la problématique, soit les liens qui semblent unir la philosophie pénale conservatrice et le populisme pénal. Les questions et les objectifs de recherche y sont également explicités, tout comme les pertinences scientifiques et sociales de ce mémoire. Le troisième chapitre est consacré à la présentation du cadre théorique privilégié, soit les théories du conflit et les notions corrélatives. En complément de ce cadre théorique, le quatrième chapitre agit à titre de cadre conceptuel qui dresse le portrait exhaustif du populisme et du populisme pénal. Le cinquième chapitre dresse, quant à lui, un portrait de la démarche méthodologique et analytique proposée. Le chapitre six est le premier chapitre analytique et empirique dans lequel les politiques pénales analysées, et leurs effets, sont décrites. Le chapitre sept est, pour sa part, consacré à l’analyse des fondements et des stratégies de légitimation populistes sous-tendant les politiques pénales retenues. Finalement, la conclusion permet d’assembler les dernières analyses de ce mémoire et ainsi de terminer la description de l’ancrage populiste du gouvernement Harper en matière pénale.

7 La notion Tough on Crime peut référer à des idéaux, une attitude ou encore un mouvement politico-social, qui

ont tous comme épicentre la promotion de politiques qui s’appesantissent sur la punition en tant que réponse principale, voire unique, au crime. En d’autres termes, la notion Tough on Crime est reliée à l’impitoyabilité envers les individus criminalisés et à la promotion des peines comminatoires.

(16)

Chapitre 1 – Prolégomènes : Les fondements de la démocratie et de la

justice pénale canadiennes

Pour réaliser une étude sur le caractère populiste des politiques en matière pénale du gouvernement Harper, il est de mise d’établir certaines assises, tant sur le plan conceptuel que pour la description de certaines composantes propres à la politique et à la justice pénale canadienne. Ainsi, il est question, dans ce premier chapitre, de définir les concepts élémentaires de ce mémoire et de jeter la lumière sur les fondements de la démocratie et de la justice pénale canadiennes. Loin d’être superflus, ces prolégomènes s’avèrent essentiels, pour la présente recherche, puisque les modes de gouvernance du gouvernement Harper se sont inscrits dans la forme bien particulière que prend la démocratie au Canada.

1.1 Définition des concepts

Ce mémoire est érigé sur un amalgame de notions, de théories et de connaissances relatives à une multiplicité de disciplines, telles que la sociologie, la criminologie, le droit et la science politique. Face à cette multidisciplinarité, il s’avère essentiel de fournir d’emblée des définitions sommaires de certains concepts centraux, et ce, afin d’éviter toute confusion. Certes, il ne s’agit que d’une simple entrée en matière puisque les définitions de ces concepts seront approfondies et affinées à travers les pages de ce mémoire. Les concepts qui se doivent d’être définis d’entrée de jeu sont les suivants : le populisme, le populisme pénal et la justice pénale.

Le populisme est un terme utilisé, de manière souvent triviale, pour dénoncer l’exacerbation des

réflexes sécuritaires et la mobilisation de rhétoriques identitaires chez certaines personnes plus ou moins affiliées au monde politique. En science politique, le populisme se définit plutôt comme une attitude ou une approche politique prônée par certains politiciens, partis et mouvements faisant appel aux intérêts du peuple et prônant son recours au détriment des intérêts de l’« élitocratie » intellectuelle et politique (Taguieff, 2007).

Le populisme pénal est défini par Roberts et coll. (2003) comme une politique ou une série de

politiques pénales, aux fins principalement répressives, qui répondent à des demandes populaires, qu’elles aient été exprimées ou non. À cette définition, Pratt (2007) va rajouter que le populisme pénal s’appuie sur la peur du crime ainsi que sur les sentiments de colère et de désenchantement à l’égard de la justice pénale, qui est jugée comme partiale au sens où elle perçue comme une institution qui favorise les intérêts des individus criminalisés plutôt que ceux des victimes et des citoyens

(17)

respectueux de la loi. Ainsi, au cœur du populisme pénal se trouve l’idée qu’une lutte efficace contre la criminalité passe nécessairement par l’intransigeance en matière pénale (Berthelet, 2016). En somme, dans ce mémoire, le populisme pénal se définit succinctement comme une approche politique, orientée vers un resserrement de l’étau pénal, érigée à mi-chemin entre l’outrage collectif à l’égard de la criminalité et de sa répression et la volonté d’acquérir ou de légitimer un capital politique.

La justice pénale est un réseau d’établissements et d’agences formels et informels qui se partagent

de multiples tâches relatives à la répression de la criminalité. Les tâches qui sont généralement jugées comme les plus importantes sont la détection, l’enquête et la poursuite du crime ainsi que la punition, la réhabilitation et la réinsertion sociale des personnes criminalisées. Par ailleurs, dans le langage commun, il est souvent question du « système » de justice. Or, la notion de système implique que les différentes agences de la justice pénale agissent de concert dans le but d’atteindre un objectif commun et ultime. Cette conception systémique constitue, toutefois, un des grands mythes de la justice pénale dans la mesure où plusieurs composantes inhérentes de cette justice tendent à perturber ce supposé fonctionnement systémique. En d’autres termes, les différentes agences ne travaillent pas réellement main dans la main vers un idéal commun. Par conséquent, la justice pénale est moins un système qu’un « appareil » constitué d’agences ayant des objectifs et des tâches liés, mais ultimement séparés et distincts (Martel, 2017). Ainsi, pour ce mémoire, la notion d’appareil pénal sera privilégiée.

Les précédentes définitions, bien que brèves et sommaires, permettent maintenant d’amorcer les analyses de ce mémoire, en commençant par une description des fondements et des liens entre la justice pénale et la sphère politique canadienne.

1.2 Les traditions pénales et démocratiques canadiennes

La justice pénale et la sphère politique sont deux entités en apparence distinctes, mais qui sont intrinsèquement reliées l’une à l’autre, les transformations de la première étant à bien des égards corollaires des mutations de la seconde. Ainsi, pour documenter la possible présence de populisme dans le champ pénal canadien, et plus précisément pendant l’ère Harper, il s’avère nécessaire de faire un survol des principaux fondements de la démocratie canadienne de sorte à préciser la place de la justice pénale en son sein.

(18)

1.2.1 Les particularités démocratiques canadiennes

Il est établi que l’État moderne détient le pouvoir exclusif de punir les citoyens contrevenant à ses lois. Tout châtiment privé, qu’il soit « juste » ou non, s’avère tout à fait illégal. La punition, qui représente le prix de la violation ou de la désobéissance au droit, est donc légitimée par le statut et les pouvoirs qui sont conférés à l’État (Tzitzis, 1996). Cela dit, pour éviter toute forme de despotisme, les États modernes occidentaux se sont dotés d’une division formelle des divers pouvoirs étatiques. Cette division prend une forme triadique dans laquelle divers organes se voient attribuer trois pouvoirs bien distincts : des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. Le pouvoir législatif, celui de produire les lois et les règles de comportement social, est octroyé, au Canada, au Parlement composé de la Chambre des communes et du Sénat. Le pouvoir exécutif, qui représente le pouvoir de mettre en œuvre les lois et de diriger les affaires de l’État, est consenti au gouvernement formé par le parti politique vainqueur des élections. Finalement, le pouvoir judiciaire, celui de veiller au respect des lois, d’en sanctionner les transgressions et d’en interpréter la constitutionnalité, est consenti aux tribunaux. Concrètement, chacun de ces pouvoirs se doit d’être totalement indépendant l’un de l’autre, les organes législatifs n’ayant aucune prérogative vis-à-vis des organes exécutifs, et vice-versa. La branche judiciaire est, quant à elle, totalement indépendante et n’a donc aucun compte à rendre aux organes exécutif et législatif (Beaudoin, 1982; Vanhamme, 2013).

Au Canada, le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas formellement stipulé dans la Constitution et il n’est pas non plus appliqué aussi rigoureusement qu’aux États-Unis (Bauer, 1998). D’ailleurs, l’ensemble du système politique canadien, du régime démocratique parlementaire au mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour, participe, selon Bauer (1998), à une certaine monopolisation du pouvoir aux mains du Premier ministre, et ce, au détriment d’une répartition entre plusieurs leaders politiques, tel qu’il est possible de le constater aux États-Unis où le pouvoir est partagé entre le Président et les leaders du Congrès et du Sénat. De ce fait, à la suite de l’obtention d’un mandat majoritaire, l’exécutif détient un tel pouvoir, si peu contrebalancé par le pouvoir législatif, que certains vont comparer le pouvoir du Premier ministre à celui d’un monarque absolu (Bauer, 1998). Malgré cette apparente concentration des pouvoirs, la Loi constitutionnelle de 18678 prévoit néanmoins un principe implicite de séparation des pouvoirs qui garantit notamment l’indépendance des tribunaux. À cet égard, l’existence de la Cour suprême du Canadavient d’ailleurs baliser la monopolisation des pouvoirs puisque ce tribunal fait office d’interprète ultime de l’intégralité du droit canadien. La Cour suprême a, par voie de conséquence, le pouvoir d’invalider toute disposition gouvernementale qu’elle jugerait inconstitutionnelle. Métaphoriquement parlant, la

(19)

Cour suprême semble donc posséder le dernier mot (Brun, 2013). Il n’en demeure pas moins qu’à l’intérieur des limites de la Loi constitutionnelle, le Premier ministre9 possède un pouvoir considérable qui lui permet d’orienter la nation dans la direction qu’il souhaite (Bauer, 1998). Or, si cette caractéristique à tendance monopolistique de la démocratie canadienne permet de répondre avec célérité aux problèmes auxquels sont confrontés les Canadiens, elle ouvre également la porte à de possibles dérives. D’ailleurs, les analyses de ce mémoire tenteront de mettre en évidence que certaines politiques pénales, fondées et traversées par des idéaux populistes, qui furent ratifiées par Stephen Harper et son gouvernement, représentent des exemples probants de ces possibles dérives. Bien avant de se lancer dans de telles analyses, il importe de tracer les contours définitionnels de la notion de politique pénale et, plus précisément, de la différencier de la notion de politique criminelle10.

1.3 Le pénal et le criminel : Ambiguïté définitionnelle

Dans le langage commun, la notion de politique pénale est, en certaines occasions, utilisée tel un synonyme de politique criminelle, une utilisation erronée puisque des différences apparentes distinguent séparent les deux notions. De prime abord, il existe à travers les sciences sociales une certaine polémique quant à la définition même du concept de politiques criminelles. Pour certains spécialistes, le champ d’action de la politique criminelle se limite strictement à la mise en œuvre de normes juridiques établies dans le droit criminel, une conceptualisation qui accorde une composante moralisante prégnante aux politiques criminelles (Givanovitch, 1960). D’autres auteurs, tels que Ancel (1975), Szabo (1978), Delmas-Marty (1992) et Baratta (1999), attribuent une signification beaucoup plus extensive à la notion de politique criminelle en la conceptualisant telle une politique qui transcende le droit criminel et pénal ainsi que tout le « phénomène » criminel. Pour eux, la politique criminelle représente l’ensemble des stratégies qui visent à analyser, prévenir ou réprimer l’ensemble des comportements troublant l’ordre social. En ce sens, pour ces auteurs, la politique criminelle représente donc non seulement le vecteur des stratégies de lutte contre la délinquance, mais également contre la déviance.

9 Notons que l’usage prédominant du masculin, dans ce mémoire, a pour unique but d’alléger le texte. 10 Il est également essentiel de ne pas confondre la notion de « politique » avec la notion de « droit ». Plus

spécifiquement, le droit n’est strictement relatif qu’aux lois, qui au sens strict sont des dispositions normatives et abstraites posant des règles juridiques d’application obligatoire (Côté-Harper, Manganas et Turgeon, 1989). La politique se réfère, quant à elle, à la notion de politique publique qui englobe l’ensemble des interventions d’une autorité légitime à l’égard d’un domaine spécifique de la société. Conséquemment, l’analyse d’une politique publique permet non seulement d’étudier les dispositions prévues dans la loi, mais également tous les éléments qui justifient et entourent sa création, et ce, de sa genèse jusqu’à ses incidences pratiques (Boussaguet et coll., 2014).

(20)

Nonobstant le désaccord définitionnel entourant la notion de politique criminelle, cette notion ne sera pas utilisée dans ce mémoire, et ce, indépendamment de sa conceptualisation. D’abord, en incluant la notion de déviance dans son champ d’action, la deuxième définition de la politique criminelle s’avère trop peu opératoire puisque cette notion n’a aucun sens substantiel en elle-même. Effectivement, la déviance – soit le fait de s’écarter d’une voie – ne peut avoir de signification que par rapport à cette voie. Ainsi toute affirmation de déviance reste vague dans la mesure où il n’existe aucune mesure de référence permettant de cerner ou de délimiter l’écart qu’elle allègue (Robert, 1984). Il est également saugrenu, à mon sens, de concevoir la politique criminelle comme une politique qui répond à tous les comportements troublant l’ordre social, puisque bien que la notion d’ordre social englobe la criminalité, elle la dépasse largement. En effet, des formes d’organisation sociale, telles que le patriarcat, sont des composantes intrinsèques de l’ordre social et par conséquent, sous cette conceptualisation, les stratégies gouvernementales qui accordent ou retirent certains privilèges aux femmes se devraient d’être considérées comme des politiques criminelles. Quant à la première définition de la politique criminelle, certes plus opératoire, son champ d’action, le Code criminel, s’avère trop restrictif pour le sujet de recherche de ce mémoire puisqu’il n’inclut pas les changements législatifs relatifs à une des cibles de prédilection du gouvernement Harper en matière criminelle, soit les infractions relatives à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (Mallea, 2011).

Pour ce mémoire, l’analyse des politiques pénales sera plutôt priorisée. Les politiques pénales se définissent, au sens large, comme un réseau de décisions et d’actions concrètes qui dynamisent la réponse à l’endroit des actes criminalisés. Plus précisément, les politiques pénales se composent de normes législatives prohibant certains comportements (les incriminations), ainsi que de la description des quantums des peines qu’encourent ceux qui transgressent ces normes et qui s’individualisent dans les peines prononcées par la justice pénale. Remarquons que la notion de politique pénale ne se limite pas à la simple description des incriminations et des peines; elle englobe également tout ce qui est rattaché à sa conception et à ses applications (Enguéléguélé, 1998).

1.4 Objet d’étude : Les politiques pénales

En considération des précédentes explications, les politiques pénales seront privilégiées pour documenter le possible ancrage populiste en matière pénale du gouvernement Harper, et ce, dans la mesure où leurs champs d’action touchent directement les éléments interpelés à priori pour cette recherche, soit la mise en forme et l’application des incriminations ainsi que les sanctions pénales leur étant rattachées. D’ailleurs, dans les études portant sur l’évolution des tendances pénales canadiennes, la notion de politique pénale est celle qui est priorisée par plusieurs auteurs tels que

(21)

Lalande (2000), Lamalice (2006) et Landreville (2007). Dans cette optique, les politiques pénales qui furent érigées, modifiées ou abrogées par le gouvernement Harper représentent l’objet d’étude de ce mémoire. Au-delà de la définition générale de la politique pénale, il semble nécessaire, pour permettre la réalisation de fines analyses desdites politiques, d’approfondir la compréhension des fondements sur lesquels la peine est érigée.

1.5 Les fondements des politiques pénales et de la peine

Il a été explicité que les politiques pénales consistent en la mise en œuvre de normes législatives balisant les actions humaines et l’application des peines qu’encourent ceux qui les transgressent. Si le crime peut être perçu comme l’incarnation des valeurs dominantes du bien et du mal à l’intérieur d’un système sociétal de références intellectuelles, la peine, de par sa conjecturale triple nature, revêt quant à elle une signification beaucoup plus complexe. La peine peut, en effet, prendre les formes, non mutuellement exclusives, d’une répression postdélictuelle religieuse (ex. la damnation éternelle), sociale (ex. l’ostracisme) ou juridique (ex. l’incarcération) (Jeanclos, 2012). Sur le plan juridique, le terme « peine » est un dérivé du latin pondus (poids) et ponere (poser sur). À la lumière de ces étymons, la peine apparaît comme un poids qui pèse sur l’esprit et le corps du citoyen reconnu coupable; elle possède ainsi un caractère à la fois afflictif et infamant. La peine est afflictive parce qu’elle frappe le condamné de diverses manières et que, par conséquent, elle impose une souffrance. Elle est également infamante puisqu’elle désigne celui qu’elle atteint de la réprobation sociale (Jeanclos, 2012). D’un point de vue légal, la peine est un terme générique désignant l’ensemble des dispositions prévues pour sanctionner toute violation de la loi (Lacomme, 1994). Sur un plan plus philosophique, la peine est également pensée tel un baume qui favorise la cicatrisation des plaies physiques, psychologiques, matérielles et juridiques créées par l’infraction (Jeanclos, 2012). Pour d’autres, encore, qui s’intéressent à la peine à travers le contexte culturel, social, économique et politique dans lequel elle est mise en œuvre, elle s’avère plutôt un instrument de régulation sociale permettant le retour à l’ordre social établi, momentanément ébranlé par l’infraction (Parein, 2010).

Cette brève liste d’interprétations du sens de la peine se trouve à des années-lumière de l’exhaustivité dans la mesure où les querelles doctrinales à propos du sens de la peine divisent sociologues, juristes, criminologues et philosophes qui ont proposé, et continuent de proposer, diverses acceptions de la peine. Celle-ci revêt donc un caractère incontestablement polysémique. Nonobstant l’intérêt scientifique que peut représenter l’étude des divers sens de la peine, pour les fins de ce mémoire, il ne serait d’aucune d’utilité de se lancer dans une analyse exhaustive de ces multiples sens. Pour les analyses de ce mémoire, il s’avère toutefois essentiel de décrire les visées contemporaines de la peine,

(22)

au sens pénal du terme, dans le but de commenter leur évolution et de documenter les possibles traces de populisme.

1.5.1 L’article 718 du Code criminel et les objectifs de la peine

Au Canada, les objectifs de la peine sont énoncés à l’article 718 du Code criminel11 : elle vise à la fois la dénonciation de l’acte, la réparation des torts causés, la dissuasion et la neutralisation, ainsi que la réinsertion et la responsabilisation des personnes condamnées. Dans ces conditions, la peine revêt donc un caractère plurifonctionnel. Or, malgré la présence formelle de tels objectifs, le sens de ceux-ci demeure pourtant mal compris et leur usage s’avère inconstant (Lachambre, 2013).

1.5.2 Les théories de la peine et la rationalité pénale moderne

En sociologie du droit, les visées de la peine ne sont pas considérées comme de simples objectifs édictés par la loi. Elles se sont constituées en véritables théories de la peine dont la conjonction fonde et module littéralement l’ensemble de la pénalité12. De prime abord, il faut spécifier que les théories de la peine ne sont pas des théories dites scientifiques, mais bien des théories « pratiques », comme l’entend Émile Durkheim dans son ouvrage Éducation et Sociologie, publié de manière posthume en 1922. Concrètement, l’épithète « pratique » signifie que le but de ces théories n’est pas de décrire ou d’expliquer ce qui est ou ce qui a été, mais bien de proposer certaines pratiques. En d’autres mots, la finalité de ces théories est donc d’édicter des préceptes de conduite (Durkheim, 2002).

D’une manière générale, les théories de la peine sont considérées comme des cadres de référence qui servent à baliser la pénalité. Elles sont donc des recommandations qui indiquent aux divers acteurs les possibilités admissibles ou valorisées ainsi que les possibilités non admissibles ou non valorisées en matière de sanction pénale. À cet égard, les théories de la peine tendent à s’établir comme un cadre théorico-normatif délimitant les frontières de la pénalité et mettant de l’avant certaines sanctions. En ce sens, les théories de la peine cristallisent la sélection, la stabilisation et la prééminence de certaines sanctions au détriment d’alternatives qui seraient opérationnellement possibles. Ainsi, bien qu’il existe d’autres modélisations de la pénalité moderne, les théories de la peine constituent une formation discursive hégémonique, formant le « système de pensée » prééminent de la justice pénale occidentale (Garcia, 2013). À cet égard, pour mesurer toute l’emprise de ce système, il suffit de tenter de penser la justice pénale « autrement » pour ainsi se heurter à l’herméticité des frontières

11 Code criminel, LRC 1985, c. C -46.

12 Pour ce mémoire, la pénalité se définit comme un système de référence contenant l’ensemble des peines

(23)

épistémologiques et cognitives de celui-ci. Il s’agit d’ailleurs d’un système autosuffisant qui a acquis un caractère axiomatique (Pires, 2001).

Plus précisément, il s’agit d’un système principalement centré sur la (sur)valorisation de la souffrance et de l’exclusion sociale du condamné et dans lequel les crimes s’expliquent par l’insuffisance de contrôle. La rationalité pénale moderne tend à promouvoir une vision hostile, abstraite, négative et atomiste de l’intervention pénale et de l’affirmation des normes. De ce fait, l’ensemble des décisions prises à travers le prisme de la rationalité pénale moderne se base sur une conception des individus criminalisés tels des ennemis de la société et une représentation de la peine comme un dispositif qui se doit de causer un bien moral immatériel (ex. rétablir la justice par la souffrance) ou encore de prévenir une pratique invisible et future (ex. la dissuasion). Il s’agit également d’un système de pensée qui exclut ou marginalise considérablement les sanctions visant à réaffirmer le droit par une action positive (ex. le dédommagement) et postule que seul le mal distribué par la punition peut produire un bien-être pour le groupe et réaffirmer la valeur de la norme de ce système. Finalement, ce système de pensée s’inscrit aussi dans une perspective atomiste de la peine au sens où la justice pénale se préoccupe peu des effets spécifiques et collatéraux de la peine en ce qui a trait, par exemple, à la préservation des liens sociaux concrets entre les personnes (Pires, 2001).

Loin de moi l’idée de privilégier, ici, une perspective déterministe et ainsi affirmer l’existence d’un lien de causalité directe entre les théories et les pratiques pénales. Les théories ne « déterminent » pas les sanctions pour tel ou tel type de crime; les théories de la peine proposent plutôt les pratiques et fournissent aux acteurs des raisons et des motifs pour justifier les choix des sanctions; les théories de la peine sont donc prescriptives (Garcia, 2013). D’ailleurs, remarquons que la rationalité pénale moderne n’explique pas pourquoi un comportement est criminalisé et devient une norme de comportement. Elle explique plutôt pourquoi la peine rattachée à ce nouveau crime a plus de chance d’être la prison, par exemple, que le dédommagement. En d’autres termes, la rationalité pénale moderne n’est pas l’idéologie du droit pénal, elle est la manière dominante de penser et de pratiquer les peines.

Somme toute, bien que la description des théories de la peine soit faite de manière succincte dans ce mémoire, il s’agit d’un survol essentiel puisque l’intégralité des pratiques pénales canadiennes s’inscrit dans le système de pensée précis qui résulte de la conjonction de ces diverses théories13. Qui

13 Bien que certains conçoivent les mesures de justice alternative telles des pratiques s’inscrivant à l’extérieur

(24)

plus est, les théories de la peine s’avèrent également utiles pour cette recherche du fait que ces théories se retrouvent, de manière implicite et explicite, à maintes reprises dans les débats parlementaires utilisés pour les analyses principales de ce mémoire. La prééminence et l’absence de certaines théories serviront d’ailleurs à illustrer la présence du populisme dans la philosophie pénale du gouvernement Harper.

Dans les écrits, le nombre de théories de la peine reliées à la rationalité pénale moderne varie quelque peu. Les théories de la rétribution et de la dissuasion sont toutefois inévitablement présentes dans la mesure où ces deux théories forment la matrice nucléique de ce système de pensée pour la simple et bonne raison qu’elles en constituent la matrice la plus forte et la plus incontournable (Cauchie et Kaminski, 2007). Les autres théories qui se retrouvent les plus couramment reliées à la rationalité pénale moderne sont les théories de la réhabilitation et de la dénonciation (Garcia, 2013). Dans de plus rares occasions, la théorie de la neutralisation est également rattachée à ce système de pensée (Xavier, 2012). Les prochaines sections traitent, brièvement, de ces cinq théories.

1.5.2.1 La théorie de la rétribution

La première théorie de la peine est relative au rétributivisme, un terme utilisé par Immanuel Kant pour désigner la justification du châtiment moral. La théorie de la rétribution est en effet attribuée aux travaux du philosophe allemand dans lesquels il est stipulé que la peine est une conséquence naturelle et moralement obligatoire s’avérant nécessaire au retour de l’ordre établi (Pires, 1998a). Sur un plan plus contemporain, selon la théorie de la rétribution, l’individu est un sujet libre et rationnel qui a délibérément choisi de désobéir à la loi. Ainsi, dans le but de rétablir le respect de la loi, il se doit d’être châtié en conformité avec sa faute, et ce, même si la punition ne l’amende pas et n’a aucune portée dissuasive. De ce fait, la sanction ne vise qu’à restaurer l’équilibre social ébranlé par le comportement du transgresseur (Pires, 1990).

Nonobstant les présupposés de cette théorie, sur le plan pratique, ces postulats offrent peu d’emprise pour l’analyse des liens entre la punition et le retour à l’ordre établi au moyen d’observations empiriques. Autrement dit, il semble difficile de démontrer empiriquement que le « mal » institutionnellement distribué par l’entremise de la punition rétablit ou non la justice (Dubé, 2008). D’ailleurs, comme l’avance Nils Christie (1982), rien ne laisse croire que le degré de douleur actuellement infligé aux individus déclarés coupables s’avère juste ou naturel. Nonobstant ces

dispensées par des instances formelles, elles restent limitées par les frontières de la rationalité pénale moderne qu’elles n’arrivent pas à outrepasser pour représenter de réelles « alternatives ».

(25)

critiques substantielles, la théorie de la rétribution continue néanmoins d’avoir un fort ascendant sur la pénalité dans maintes sociétés occidentales, dont le Canada.

1.5.2.2 La théorie de la dissuasion

La seconde théorie de la peine est celle de la dissuasion. Dans sa forme moderne, cette théorie fut développée par Césaré Beccaria qui avança l’idée que la présence de certaines variables, à une certaine intensité, telles que l’exclusion sociale par le biais de l’incarcération14, peut suffisamment marquer l’esprit du citoyen pour entraver ses desseins illicites. Ainsi, selon le marquis italien, si la justice pénale délivre des châtiments suffisamment sévères pour engendrer des coûts qui surpassent les bénéfices liés à la commission d’un acte criminel, le citoyen choisira nécessairement l’inaction. Il est toutefois intéressant de noter que selon Beccaria, la certitude de la peine s’avère beaucoup plus efficace que la sévérité de cette dernière dans la mesure où l’application certaine d’une peine ne manque jamais de frapper les esprits, tandis que la crainte de faire face à la sévérité est, elle, inévitablement tempérée par l’espoir de l’impunité (Pires, 1998b). La dissuasion pénale peut prendre deux formes : la dissuasion spécifique, qui a comme objectif de contrecarrer la récidive, et la dissuasion générale, qui a, quant à elle, la visée de dissuader les autres membres de la société de perpétrer des crimes semblables. Pour évaluer l’efficacité de la dissuasion, Zimring et Hawking (1973) vont distinguer la dissuasion absolue de la dissuasion relative. La première est rattachée au fait de savoir si une sanction précise est dissuasive. La seconde concerne plutôt la présupposition qui atteste que le fait d’attacher une peine plus sévère représente un facteur de dissuasion plus puissant.

Indépendamment de ces diverses formes de dissuasion, la théorie de la dissuasion est aujourd’hui la pierre angulaire de la justice pénale canadienne, et ce, malgré d’acerbes critiques quant à son efficacité réelle. De nombreuses recherches menées par Fattah (1976), Nagin (1998), Tonry (2009), Dubé (2012), Travis et Western (2014), pour ne nommer que ceux-ci, ont effectivement remis en question, voire même contesté, la présupposée efficacité de la dissuasion pénale. Pour ne résumer que quelques-unes de leurs critiques, il semblerait que la dissuasion ne prenne pas en compte l’appréciation subjective de la personne quant à la probabilité qu’il soit trouvé, arrêté et puni. En d’autres termes, si une personne croit être en mesure d’échapper à la police ou à la justice, même la plus comminatoire des peines ne saura le dissuader. Une autre critique est que l’efficacité de la dissuasion est fondée sur la présupposition selon laquelle chaque action humaine est nécessairement

14 La prison n'est pas la seule peine prévue dans l’ouvrage Des délits et des peines de Beccaria (2015). Or, la

théorie de la dissuasion offre un support cognitif à la généralisation et à la stabilisation de la prison comme peine par excellence du droit pénal. À ce sujet, voir Dubé (2014).

(26)

basée sur un choix rationnel, ce qui, concrètement, semble plutôt relever de l’utopie que de la réalité15. Pour nuancer les derniers propos, il ne s’agit pas de prétendre que les sanctions n’ont aucune portée dissuasive, car il est logique et même avéré que le fait de rattacher des conséquences incommodantes à une action va diminuer la tendance des gens à s’y livrer. Il s’agit plutôt de remettre en question l’idée récurrente selon laquelle l’augmentation de la sévérité des peines dissuadera un plus grand nombre de personnes de commettre un crime (Fattah, 1976).

1.5.2.3 La théorie de la dénonciation

Parmi les théories de la peine, la théorie de la dénonciation est la plus récente et par le même fait la moins étudiée. Certains auteurs notent que les contours de cette théorie s’avèrent plutôt flous, celle-ci étant même parfois perçue telle une simple variante de la rétribution. Selon la théorie de la dénonciation, la peine a pour but d’exprimer le degré de réprobation du public vis-à-vis des actes criminalisés. Selon cette théorie, la peine serait une réponse afflictive, voire un instrument, permettant d’exprimer un jugement moral à l’égard du crime dans le but de réaffirmer les valeurs fondamentales de la société. Par conséquent, les objectifs de la théorie de la dénonciation ne sont pas empiriques, mais bien symboliques. En ce sens, la peine ne représente que l’imposition d’une souffrance et, comparativement à la rétribution, il ne s’agit pas d’une souffrance expiatoire, mais plutôt d’une souffrance gratifiante et rassurante pour le public. Ainsi, cette souffrance permettrait de réaffirmer aux membres de la société qu’ils croient en des valeurs saines, valables et justes qui ne doivent pas être violées (Lachambre, 2011). En résumé, cette théorie recommande d’imposer une peine infligeant une souffrance proportionnelle au sentiment de haine ou de désapprobation du public. Des peines sévères peuvent donc être fixées et attribuées avec la visée de renforcer le sentiment de désapprobation du public. Ainsi, selon cette théorie, « l’opinion publique »16 représente une composante intrinsèque de la punition (Lachambre, 2011).

1.5.2.4 La théorie de la réhabilitation

Dans la rationalité pénale moderne, la théorie de la réhabilitation se divise en deux grands paradigmes, soit la théorie de la réhabilitation carcérale et la théorie de la réhabilitation tributaire des mouvements

15 Que ce soit sous l’emprise de stupéfiants ou sous le joug d’un état passionnel, certaines personnes peuvent se

retrouver momentanément dans l’incapacité de prendre en considération les préjudices ou d’évaluer les conséquences de leurs actes, éliminant ainsi l’intégralité de l’effet dissuasif que pourrait avoir la sanction. Dans ces circonstances, la personne reste responsable de ces actes, il ne s’agit pas d’un trouble psychologique incapacitant pouvant mener à un verdict de non-responsabilité criminelle. Elle n’est simplement pas en mesure d’évaluer la portée des conséquences de ses gestes, des conséquences telles qu’une sanction pénale.

(27)

de réformes pénales des années 1960 (Xavier, 2012)17. Ce mémoire se limite uniquement à la description du second paradigme dans la mesure où il s’agit de celui qui prévaut actuellement. De prime abord, la théorie de la réhabilitation se base sur l’idée selon laquelle les individus criminalisés sont des êtres malléables sur lesquels l’État peut exercer une intervention qui a le pouvoir de les transformer en des citoyens dociles et respectueux de la loi. Ainsi, pour les tenants de la réhabilitation, les peines doivent être modulées aux « besoins » de l’individu et non à la gravité du crime (Cullen et Gilbert, 1982).

Selon le second paradigme de la théorie de la réhabilitation, pour obtenir des résultats optimaux, la réhabilitation se doit d’être vécue en milieu ouvert et, donc, les pratiques pénales devraient valoriser la réduction du temps carcéral, les sanctions non carcérales, ainsi que la pratique de mesures prélibératoires (Dubé, 2008). Somme toute, depuis plusieurs décennies, la théorie de la réhabilitation représente une composante majeure de la pénalité canadienne. Critiquée par certains et encensée par d’autres, son efficacité demeure toutefois un sujet ouvert à de vives polémiques (Lamalice, 2006). La thématique de la réhabilitation et son ascendance ont donc connu maintes fluctuations au cours des dernières décennies.

1.5.2.5 La théorie de la neutralisation

Sur le plan définitionnel, la théorie de la neutralisation s’avère plutôt simple, il s’agit d’infliger une peine qui neutralise la personne criminalisée, principalement par l’entremise de l’incarcération, et l’empêche ainsi de récidiver. Selon cette théorie, la peine se transforme en un simple instrument de coercition et d’isolement des individus et des groupes jugés problématiques, ce qui entraînerait une réduction importante de la prévalence des actes criminalisés (Xavier, 2012). En outre, cette théorie s’appuie sur la longueur des peines d’incarcération dans la mesure où elle encourage les pratiques d’incarcération sur le long terme, voire des incarcérations définitives (Zimring et Hawkins, 1995).

L’avènement, dans les années 1980, de la nouvelle gestion actuarielle du risque, qui a objectif d’identifier les facteurs influençant le risque de récidive, a actualisé l’importance de cette théorie. Cette gestion du risque de récidive va, par le même fait, orienter les pratiques correctionnelles et libératoires desquelles bénéficiera le détenu (Vacheret et Cousineau, 2005). De ce fait, la prédiction est le concept central de la gestion du risque, et ce, même si la validité et la fidélité de la prédiction

17 Soulignons qu’une autre théorie de la réhabilitation, soit celle non-carcérale, semble échapper, du moins en

partie, à la rationalité pénale moderne (ex. le discours sur la réhabilitation du Rapport Ouimet). Pour plus de détails, voir Xavier (2012).

Figure

Tableau  1.  La  répression  de  la  criminalité  dans  les  plateformes  électorales  des  trois  grands  partis politiques fédéraux canadiens – 2006-2015
Tableau 2. Synthèse des théories du conflit
Tableau 3. Catégorisation générale
Tableau 4. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant aux peines  minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu 104
+7

Références

Documents relatifs

Cette mesure sera appliquée dès la première condamnation à plus d’un an de prison ferme pour crime de sang, viol, violences volontaires et toute affaire liée au terrorisme et à

Les solutions y ≇ 0 (si elles existent) sont dites fonctions caractéristiques ou encore fonctions propres du problème et, dans ce cas, la valeur λ pour laquelle une telle

Dans ce qui suit, nous allons donner quelques notions et résultats qui sont utilisés tout le long de ce mémoire..

Lorsque les départements se sont livrés au recueil des CS8, le taux de réponse moyen était de 85 % pour cette validité (taux de couverture moyen pour les 94 départements ayant

Dans ce cas (variables binaires avec une modalité extrêmement rare), un département n’est alors considéré comme non-répondant pour une variable que s’il l’est également pour

10 LA COALITION DIRIGÉE PAR IGNATIEFF et formée du NPD et du Bloc Québécois s’est opposée à cette mesure visant à aider les Canadiens à trouver des emplois de qualité

Stephen Harper’s Government has worked hard to open new markets for Canadian businesses, to help create jobs and long-term economic growth. At the same time, we are ensuring

D’entrée de jeu, il a découlé de l’analyse la faible cohérence entre les différents instruments informationnels (ex. : lois sur l’accès ou la protection des