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Chapitre 7 – Les politiques pénales du gouvernement Harper : Fondements et stratégies de

7.4 La mésestime des experts et des savoirs : Ériger des politiques non-éclairées

7.4.2 L’imposition de valeurs conservatrices

Il ressort des politiques analysées que le gouvernement Harper favorise, en augmentant le quantum de plusieurs peines relatives aux stupéfiants, la pérennisation d’une logique prohibitionniste en matière de drogues sans tenir compte du nombre grandissant de recherches qui témoignent de l’inefficacité et des conséquences d’une telle approche (Beauchesne, 2003). Parallèlement, en prohibant certaines relations entre les adolescents et les adultes, cette administration balaie également du revers de la main les multiples conséquences, dont certaines sont d’ailleurs décrites ci-bas, que

peut occasionner la criminalisation de la sexualité adolescente, du moins certaines formes de ladite sexualité.

7.4.2.1 Répéter l’échec des Wars on Drugs

L’histoire étatsunienne a révélé que les croisades politico-pénales contre la drogue se soldent non seulement en un échec sur le plan de la santé publique (Beauchesne, 2003), mais qu’elles se transforment également en un levier d’exacerbation des pratiques discriminatoires de l’appareil pénal (Alexander, 2010). Au-delà de l’exemple étatsunien, les politiques de lutte contre la drogue ont donné lieu à un imposant corpus de recherche qui révèle que les conséquences de la prohibition transcendent largement les bienfaits de celle-ci. Pour ne nommer que quelques exemples de ces effets néfastes, la prohibition donne un pouvoir économique et politique à des organisations « criminelles », elle contrecarre le contrôle de la qualité des produits, elle force les consommateurs à s’approvisionner dans des milieux violents, elle ne diminue pas les taux de consommation, elle occasionne une répression discriminatoire des consommateurs, elle engendre des peines disproportionnelles par rapport à la gravité de l’infraction, elle s’avère coûteuse, etc. (Carrier, 2004). À l’inverse de la répression, les recherches soulignent que les diverses méthodes de prise en charge médico-sociale des usagers ou encore l’approche de la réduction des méfaits186 s’avèrent beaucoup efficaces pour diminuer la consommation et les conséquences personnelles et sociales de celle-ci (Beauchesne, 2003). Sans considération pour ces savoirs, le gouvernement Harper accentue, notamment par le biais des politiques étudiées, l’usage de la force pénale à l’égard des consommateurs et des trafiquants, engendrant ainsi sa propre guerre à la drogue. Si, à priori, il pouvait paraître saugrenu, pour le gouvernement Harper, de se lancer dans une telle croisade après les nombreux constats d’échec émis à l’encontre de la logique prohibitionniste, Savard (2018) rappelle que la prohibition n’a jamais été une question de santé publique, mais bien d’idéologie et de pouvoir. En effet, sous un regard sociologique, il ressort que les différents systèmes de prohibition sont régulièrement fondés sur des logiques intéressées et de rapports de pouvoir asymétriques qui permettent à certains groupes d’obtenir et de conserver des ressources importantes ainsi que du pouvoir.

7.4.2.2 La criminalisation de la sexualité adolescente : Pas plus de protection, mais plus de risques Rappelons que l’augmentation de l’âge du consentement sexuel n’offre pas de protection supplémentaire aux mineurs. Au-delà de cette inefficacité, il appert que cette réforme ouvre la porte

186 À titre d’exemple, les sites d’injections supervisées sont prisés par les experts pour leurs effets bénéfiques

sur le plan de la santé publique et la diminution de la consommation. Le gouvernement Harper s’oppose toutefois à leur implantation (Kerr et coll., 2017).

à plusieurs risques, sur le plan de la santé, pour les mineurs. Les recherches étatsuniennes soulignent que les diverses formes de criminalisation de la sexualité adolescente ne dissuadent pas les principaux intéressés de s’y adonner, elles les poussent simplement à agir dans le secret. Sous le joug de ces formes de criminalisation, les adolescents, et principalement les adolescentes, sont ainsi plus susceptibles de contracter des infections transmissibles sexuellement ou d’avoir des grossesses non- planifiées (Fine et McClelland, 2006; Rahders, 2015). Comparativement aux États-Unis, les adolescents canadiens peuvent toutefois recourir aux services de santé sans dévoiler l’âge de leur partenaire. Or, selon Wong (2006), rien n’indique que les adolescents connaissent ce droit à la « confidentialité ». Dès lors, comme le mentionnent Desrosiers et Bernier (2009), à la suite de la réforme harperienne sur le consentement sexuel, les adolescents qui entretiennent des relations avec un adulte risquent de ne plus recourir aux services d’éducation sexuelle ou de consultation médicale de peur que leur partenaire soit judiciarisé. D’ailleurs, lors de la mise en place de ce projet de loi, la Société canadienne du sida et la Fédération canadienne pour la santé sexuelle avaient mené une campagne pour décrier qu’une telle réforme ferait indubitablement augmenter les infections transmissibles sexuellement et les grossesses non-planifiées chez les adolescentes (Wong, 2006). Le gouvernement Harper ne semble pas avoir pris ces savoirs experts en considération, car aucun de ces groupes d’intérêts n’est évoqué dans les débats parlementaires par les Conservateurs; seuls les Néodémocrates évoquent ces groupes d’intérêts.

7.4.3 L’accentuation de la sévérité pénale

À travers plusieurs prismes, ce mémoire s’inscrit en faux contre l’alourdissement de l’arsenal répressif et critique plus largement l’efficacité et les incidences de l’approche Tough on Crime du gouvernement Harper. Qu’il s’agisse des lacunes de la dissuasion, de la fonction symbolique de plusieurs mesures pénales, de la portée discriminatoire de (sur)pénalisation à l’ère néolibérale, et de bien d’autres aspects inopérants et néfastes de la sévérité pénale, ce mémoire tente de déconstruire plusieurs préconçus corollaires à ladite sévérité. Ces critiques sont appuyées sur un large pan d’écrits scientifiques, tels que les ouvrages de Fattah (1976), Dubé (2012), Travis et Western (2014), Mallea, (2015), pour ne nommer que ceux-ci. À l’inverse, les écrits scientifiques, concernant les pratiques de libérations anticipées et des mesures correctionnelles communautaires corrélatives, témoignent de l’efficacité en matière de réhabilitation et de réduction des taux de récidive des approches pénales davantage axées sur la réinsertion sociale. Je m’attarde, dans la section ci-dessous, aux résultats probants desdites pratiques.

7.4.3.1 Les libérations anticipées : Des résultats éloquents

Qu’il s’agisse du projet de loi C-59 abolissant la procédure d’examen ou des modifications de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition tributaires du projet de loi C-10, le gouvernement Harper tente de limiter les libérations anticipées dans l’espoir de protéger les Canadiens : « Monsieur le Président, il faut d’abord et avant tout penser aux Canadiens. Si nous voulons que nos collectivités soient sûres, nous devons entre autres, garder les criminels dangereux en prison, non leur accorder une libération anticipée » (Vic Toews, Parti conservateur du Canada, C- 59, 2e lecture). Cet extrait des travaux parlementaires, qui est représentatif de plusieurs autres témoignant de la primauté accordée à la protection de la société, suggère que le gouvernement Harper appuie la réduction des pratiques de libération anticipée sur la présomption que les personnes criminalisées qui se retrouvent derrière les barreaux n’ont plus la possibilité de commettre de crime. Les références à la neutralisation sont nombreuses dans les débats parlementaires : « Les criminels qui sont en prison ne commettent pas de crimes contre les gens qui respectent la loi » (Robert Goguen, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture).

Outre le député Goguen, le ministre de la Sécurité publique stipule aussi que : « Si nous voulons que nos collectivités soient sûres, nous devons entre autres, garder les criminels dangereux en prison, non leur accorder une libération anticipée » (Vic Toews, Parti conservateur du Canada, C-59, 2e lecture). Si une telle affirmation s’avère, à priori, véridique, elle travestit toutefois la réalité, en occultant le fait que les détenus retournent, à moins de décès, presque invariablement dans la communauté un jour ou l’autre. À cet égard, les études témoignent que les pratiques de libération anticipée sous surveillance et les mesures correctionnelles communautaires qui y sont attachées sont plus efficaces pour protéger les citoyens que la simple coercition auprès des condamnés (Cousineau, Lemire, Vacheret et Dubois, 2002; Sellin, 2003 ; Cullen, Jonson, et Nagin, 2011). Non sans raison, cette efficacité est notamment tributaire du laps de temps accordé aux intervenants afin de mieux encadrer les libérés lors de leur retour en communauté. En d’autres termes, plus une personne est libérée tôt, plus elle bénéficie des accompagnements et du soutien des professionnels qui lui permettent de surmonter les obstacles et d’éviter les dérives qui pourraient engendrer une récidive. D’ailleurs, statistiquement parlant, plus une personne est libérée tardivement dans sa peine, plus les risques de récidive sont importants (Cousineau, Lemire, Vacheret et Dubois, 2002). À l’inverse, la Commission des libérations conditionnelles du Canada avait publié des données longitudinales illustrant que 94 % des personnes ayant bénéficié d’une libération conditionnelle, entre 2002 et 2012, n’avaient commis aucune nouvelle infraction au cours de leur période de surveillance. Sur les 6 % ayant récidivé, seul

1 % avait commis une récidive de nature violente 187. Ces chiffres, fort éloignés de la violence généralisée que le gouvernement Harper attribue aux personnes en libération conditionnelle témoigne du fait que les pratiques de libération anticipée ne sont pas simplement sécuritaires, mais qu’elles le sont davantage que le maintien en incarcération. Évoquant peu de recherches ou de statistiques, et se détournant des critiques des partis adverses, principalement celles des néodémocrates, qui déconstruisent les fondements de la neutralisation, le gouvernement Harper répète mécaniquement que l’incarcération constitue la mesure suprême servant à protéger les Canadiens.

Les données analysées suggèrent que le gouvernement Harper ne bâtit ni ne cautionne ses politiques sur les savoirs experts, hormis celui de certains types de victimes. Les limites de ce mémoire ne permettent pas d’aborder les autres types de savoirs experts dont le gouvernement Harper fait fi tels que ceux des juristes ou des intervenants de première ligne bien que les Libéraux, mais surtout les Néodémocrates, basent régulièrement leurs critiques sur ces types d’expertise, tels que l’Association du barreau canadien, l'Association canadienne de justice pénale, le Syndicat des agents correctionnels, les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, etc. Néanmoins, les extraits analysés permettent d’affirmer que la mésestime et le rejet des savoirs des experts, régulièrement reliés au populisme pénal (Garland, 2001; Shammas, 2016), constituent une autre facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper.

7.5 La prééminence du caractère expressif et symbolique de la réponse pénale : Les

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