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La prééminence du caractère expressif et symbolique de la réponse pénale : Les

Chapitre 7 – Les politiques pénales du gouvernement Harper : Fondements et stratégies de

7.5 La prééminence du caractère expressif et symbolique de la réponse pénale : Les

Il a été explicité, dans le chapitre six, que les dispositions législatives des trois politiques pénales échantillonnées culminent presque systématiquement vers un durcissement du régime pénal, et ce, qu’il s’agisse de l’objectif central desdites mesures législatives ou bien de conséquences corollaires. Or, si le populisme pénal est relié à la sévérité pénale, la sévérité pénale n’est, quant à elle, pas indubitablement populiste. Pour relever du populisme, ladite sévérité doit revêtir un caractère symbolique et expressif (Newburn et Jones, 2005; Pratt, 2007), ce qui correspond d’ailleurs à la sixième dimension du populisme pénal discuté dans le chapitre quatre. À cet égard, les investigations menées dans ce mémoire permettent de mettre en lumière la prééminence accordée à la fonction expressive et symbolique de l’action pénale par le gouvernement Harper. Loin d’être indélibérée,

187 Ces chiffres de la Commission des libérations conditionnelles du Canada sont ceux rapportés par Martel

cette prééminence place la pénalité au centre de l’espace politique, constituant ainsi une autre manifestation de la primauté des impératifs politiques dans les politiques analysées.

Les précédentes analyses du chapitre six ont déjà témoigné, indirectement, que les dispositions législatives des politiques étudiées misent presque invariablement sur le caractère expressif de l’action pénale dans la mesure où ces dispositions instituent des peines plus comminatoires et durcissent certaines pratiques pénales corrélatives, témoignant ainsi du rigorisme et de l’inexorabilité du gouvernement Harper à l’égard des individus criminalisés. Plus précisément, au-delà des sections traitant des questions internationales qui ont été laissées de côté, seules les réformes concernant les tests de dépistage des drogues dans le cas de conduites avec facultés affaiblies ainsi que les quelques « privilèges » accordés aux victimes ne sont pas axées sur le caractère expressif de la réponse pénale. Expressives, certaines mesures législatives s’avèrent également symboliques au sens où elles n’apportent qu’une sévérité supplémentaire sans se soucier de leurs retombées concrètes et opérationnelles sur la criminalité et la justice pénale. En d’autres termes, la connotation symbolique peut être attribuée à une mesure législative qui répond surtout à des objectifs latents, tel que donner l’impression aux citoyens que le gouvernement agit et sévit vis-à-vis de la criminalité, sans toutefois se préoccuper des objectifs manifestes et des résultats concrets, comme la diminution des taux de criminalité. Soulignons que si une loi pénale peut s’avérer expressive, sans être symbolique, une loi pénale symbolique s’avère, quant à elle, invariablement expressive. Pour nuancer davantage je m’attarde, dans cette section, à exemplifier la portée symbolique de certaines mesures législatives188 qui ont peu, ou pas, d’effet sur la criminalité et son traitement, mais qui permettent toutefois au gouvernement Harper d’illustrer son intransigeance morale à l’égard de la criminalité et des personnes criminalisées.

7.5.1 L’accentuation de la sévérité pénale

Dans l’intention de montrer que certaines mesures législatives analysées ont comme unique impact de frapper l’imagination du public et non d’engendrer des retombées opérationnelles, je m’attarde ici à deux réformes visant l’accentuation de la sévérité pénale. La première réforme ayant une portée symbolique est celle relative à la section 1 du projet de loi C-2 qui introduit de nouvelles peines minimales pour les infractions graves commises à l’aide d’une arme à feu, une réforme qui, selon les

188 Je ne dresse pas une liste des mesures législatives symboliques puisqu’il serait possible de prétendre que la

quasi-entièreté des dispositions introduites par le gouvernement Harper revêt une certaine connotation symbolique dans la mesure où certains pourraient affirmer qu’une mesure fondée sur la dissuasion s’avère symbolique en considération de l’inefficacité de ladite dissuasion. Pour ce mémoire, je ne décris que certaines des mesures législatives symboliques dont les résultats étaient le plus détournés de leurs objectifs manifestes.

dires du ministre de la Justice, a pour but d’assurer la sécurité des Canadiens, tel que le sous-entend l’extrait suivant: « Nous avons promis de nous attaquer à la criminalité et de renforcer la sécurité lorsque nous avons formé le gouvernement et nous avons tenu parole. Depuis notre arrivée au pouvoir, nous avons présenté plusieurs mesures législatives clés, dont la Loi sur la lutte contre les crimes violents, qui met notamment fin aux peines clémentes envers ceux qui commettent des crimes graves ou violents au moyen d'armes à feu » (Rob Nicholson, Parti conservateur du Canada, C-2, 2e lecture). Soulignons d’abord, qu’ici, la « protection » signifie dissuader189 les justiciables qui seraient de tenter de commettre une infraction à l’aide d’une arme à feu. Au-delà de l’effet dissuasif limité de la sanction pénale, le ministre de la Justice ne mentionne pas que les crimes commis à l’aide d’une arme à feu sont déjà sévèrement châtiés à travers une quarantaine de peines minimales. À titre d’exemple, une agression sexuelle armée était, avant le projet de loi C-2, sanctionnée d’une peine minimale de quatre ans. À la suite, du projet de loi C-2, la nouvelle peine minimale pour ce même crime avait grimpé à cinq ans. Concrètement, il s’agit donc de présumer qu’une peine de quatre ans d’emprisonnement n’avait pas d’effet dissuasif comparativement à une peine de cinq ans, ce qui semble plutôt inepte sur le plan rationnel. Christie (1982) démystifie, à l’aide d’une analogie intéressante, la mobilisation d’une « douleur » accrue comme argument discursif justifiant l’augmentation du quantum des peines. Selon lui, la punition va jusqu’à un certain point moduler et orienter l’action, tout comme un four chauffé au rouge va généralement dissuader une personne d’y toucher. Toutefois rien ne laisse envisager qu’un four chauffé à 300 oC posséderait un effet dissuasif plus puissant qu’un four chauffé à 200 oC. Christie estime que la même logique est applicable à la « douleur » engendrée par l’augmentation d’une peine quelconque.

Loin de passer inaperçue, cette technique politique du gouvernement Harper qui vise à illustrer son action, mais qui n’apporte aucune retombée opérationnelle ou efficace, est la cible de plusieurs critiques : « Le problème dans le débat que nous avons présentement tient notamment au fait que les Conservateurs laissent croire que, d’une manière ou d’une autre, il n'existe aucune loi à cet égard, que nous créons actuellement des lois et que, sans ces lois, c'est la catastrophe. Or, il existe déjà des lois très sévères, qui sont contenues dans le Code criminel » (Libby Davies, Nouveau Parti démocratique, C-10, 2e lecture).

189 Face aux critiques des partis adversaires qui déconstruisent la dissuasion, les députés conservateurs parlent

régulièrement de protection ou de prévention, mais qui sont simplement une manière déguisée de parler de dissuasion.

Une autre démonstration de la portée symbolique de certaines mesures législatives analysées est le renversement du fardeau de la preuve dans le cadre des enquêtes sous cautionnement, une réforme qui est notamment appuyée sur la nécessité de protéger le public : « Il s'agit du renversement du fardeau de la preuve pour ceux qui ont commis un crime avec une arme à feu. Il arrive trop souvent que, très peu de temps après avoir commis un tel crime, son auteur soit libéré en attendant son procès. Dans nombre de cas, le délinquant en profite pour faire une victime au dépanneur du coin » (Rob Moore Parti conservateur du Canada, C-2, 3e lecture). Symbolique, cette réforme a peu d’effets concrets, puisque, selon l’Association du Barreau canadien (2007), les auteurs d’actes criminalisés graves qui représentent un danger de récidive voyaient déjà leur remise en liberté sous caution refusée de manière systématique, principalement si l’infraction était reliée à une arme à feu. Au bout du compte, le seul impact de cette réforme est, selon l’Association du Barreau canadien, l’augmentation des contestations constitutionnelles.

Ne se limitant pas à la démonstration de l’intransigeance conservatrice en matière de répression de la criminalité, les analyses suggèrent également que la fonction symbolique de la réponse pénale peut répondre simultanément à plusieurs objectifs latents, tels que l’imposition de valeurs morales conservatrices. Cette fonction est abordée dans la section suivante.

7.5.2 L’imposition de valeurs conservatrices

Aux dires du gouvernement Harper, l’objectif manifeste de la hausse de l’âge du consentement sexuel est de punir plus facilement et plus sévèrement les « prédateurs » sexuels et donc de protéger les mineurs, tel que le souligne l’extrait suivant : « Les députés de ce côté-ci [députés conservateurs] disaient qu’il y aurait lieu de faire passer de 14 à 16 ans l’âge du consentement sexuel afin de protéger les jeunes des prédateurs adultes » (Pierre Poilievre, Parti conservateur du Canada, C-2, 3e lecture), ainsi que cet autre extrait de l’intervention du ministre de la Justice : « Ce projet de loi [C-2] contient de bonnes dispositions. Une de mes préférées est celle qui vise à faire passer à 16 ans l'âge du consentement sexuel afin de protéger les adolescents de 14 et 15 ans contre les prédateurs sexuels » (Rob Nicholson, Parti conservateur du Canada, C-10, Étude de rapport). Au-delà de la question générale des « prédateurs », les députés conservateurs mettent aussi l’accent sur les prétendus « prédateurs » qui sévissent à l’aide d’Internet : « Je milite en faveur de la hausse de l'âge du consentement aux relations sexuelles au Canada pour protéger nos adolescents contre la menace des prédateurs sexuels sur Internet » (Pierre Poilievre, Parti conservateur du Canada, C-10, Étude de rapport).

Il s’agit toutefois d’objectifs manifestes vides d’effets concrets puisque le Code criminel criminalise déjà les formes d’exploitation et d’agressions sexuelles visées par cette réforme, les mineurs s’avérant, par le même fait, déjà protégés. Comme le soulignent Desrosiers et Bernier (2009), bien avant le projet de loi C-2, l’article 172.1 du Code criminel punissait toute personne utilisant Internet afin de leurrer, à des fins sexuelles, un mineur. De la même manière, ces auteurs rappellent que préalablement au projet de loi C-2, les mineurs ne pouvaient pas consentir à des contacts sexuels avec des adultes en situation d’autorité ou de confiance avant l’âge de 18 ans. De ce fait, les adultes ne pouvaient user de leur statut ou de leur pouvoir afin d’exploiter sexuellement les mineurs. En d’autres termes, la magistrature possédait déjà le pouvoir de condamner toute forme d’exploitation sexuelle des mineurs. La présente réforme ne fait donc que retirer, des mains du juge, le pouvoir d’apprécier la nature de la relation et donc d’infirmer ou de confirmer la présence d’exploitation. Dès lors, à la suite de la présente réforme les juges peuvent être dans l’obligation de condamner un adulte qui entretenait une relation consensuelle avec un adolescent et qui ne relevait pas de l’exploitation ou de la prédation. Sous un certain angle, il s’agit donc, en quelque sorte, d’une criminalisation de l’autonomie sexuelle des adolescents à des fins politiques. Bien qu’elle n’offre aucune protection supplémentaire, la présente réforme se matérialise en un témoignage de l’intransigeance du gouvernement Harper à l’égard des crimes sexuels et instaure des mœurs sexuelles plus strictes, soit des finalités latentes à des années-lumière de l’objectif manifeste de protéger les adolescents des prédateurs sexuels qui sous-tend la présente réforme.

Auréolée d’un caractère expressif ostentatoire, la quasi-entièreté des mesures législatives introduites dans les politiques pénales est destinée à montrer, par le biais d’actions cathartiques, que le gouvernement Harper agit et sévit contre la criminalité. Or, il a été argué que certaines de ces dispositions sont érigées indépendamment de leurs retombées opérationnelles sur la prévalence des actes délictueux et sur l’efficacité de la justice pénale. Se détachant des objectifs manifestes, ces politiques répondent plutôt à des objectifs latents tels que l’accentuation de la sévérité pénale et le resserrement des mœurs en matière sexuelle. De surcroît, bien qu’il soit impossible de confirmer une telle hypothèse à l’aide des travaux parlementaires, la mise en parallèle de cette portée expressive et symbolique des politiques analysées avec les éléments précédemment abordés dans ce mémoire, laisse entendre qu’un des objectifs latents sous-tendant cette manifestation de sévérité pourrait résider dans l’acquisition d’un capital politique. Somme toute, la prééminence du caractère expressif et symbolique de la réponse pénale, dimension constitutive du populisme pénal (Newburn et Jones, 2005; Pratt, 2007), constitue une autre facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper.

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