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Chapitre 4 – Cadre conceptuel : Du populisme au populisme pénal

4.1 Le populisme politique

Lorsqu’il est question de politique, peu de termes ont été aussi largement employés que celui de populisme, sans toutefois être adéquatement définis. Ce flou sémantique, amalgamé au caractère de non-permanence des diverses formes de populisme ainsi qu’à une surutilisation du terme au point de l’évider de tout sens précis, fait en sorte que la notion de populisme est aujourd’hui principalement utilisée à des fins péjoratives. Incontestablement polémique dans le langage populaire, la notion de populisme n’échappe d’ailleurs pas aux jugements de valeur et aux représentations manichéennes et n’est donc que très rarement utilisée tel un concept analytique rigoureux ou encore comme un modèle d’intelligibilité des phénomènes politiques (Laclau, 1977; Lorent, 2010; Taguieff, 2012).

Face à cette nébulosité conceptuelle, il est primordial de débuter la compréhension du populisme en déconstruisant les raccourcis intellectuels populaires qui relient invariablement le populisme aux techniques démagogiques de certains « politicailleurs ». Bien au-delà du machiavélisme politique, le populisme, lorsqu’il n’est pas perverti, peut être perçu comme une caractéristique décrivant les hommes et les femmes politiques promouvant une démocratie directe et participative (Taguieff, 2007; Hermet, 2014). Qui plus est, derrière la polysémie nébuleuse du concept, le populisme est aussi

66 Pour certains auteurs, le populisme n’est pas une exclusivité de la politique dans la mesure où il existerait

d’autres formes de populisme, telles que les médias populistes, les intellectuels populistes, etc. Les diverses formes de populisme utilisent généralement les mêmes procédés, mais au lieu d’être tournées vers l’acquisition d’un capital politique, elles visent plutôt l’augmentation des cotes d’écoute, l’acquisition d’une popularité, etc. (Arcand, 2013). Dans le cadre de ce mémoire, je me limiterai toutefois à l’étude du populisme politique et pénal. Pour alléger le texte, le terme populisme référera au populisme politique.

régulièrement conceptualisé comme une idéologie dans la communauté scientifique (Mudde, 2004). Or, des auteurs tels que Taguieff (2007) vont réfuter cette affirmation en argumentant que le populisme n’est pas inéluctablement un corps de doctrines prédéfinies à partir desquelles la réalité est analysée et qui peut par le fait même orienter les actions individuelles ou collectives. Taguieff et d’autres penseurs du populisme tels que Wiles (1969), Canovan (1981), et Taggart (2004) vont plutôt conceptualiser le populisme tel un style ou une approche politique, soit un composé variable d’attitudes et d’opérations rhétoriques fondamentalement orientées vers un appel systématique au peuple caractérisant un leader ou un parti politique. Ainsi, des formes de populisme peuvent se retrouver dans n’importe quelle orientation politique, qu’elle soit de droite ou de gauche, réactionnaire ou progressiste67 (Boily, 2002). N’étant pas défini par sa position sur l’échiquier classique de la droite et de la gauche institutionnelle politique68, le politicien populiste est plutôt caractérisé par son appel au peuple, son rejet de l’élitocratie intellectuelle et politique ainsi que sa contestation des structures de pouvoir établies (Canonvan, 1999; Taguieff, 2007). À cette formule s’ajoute une variété d’ingrédients idéologiques allant du libéralisme économique à la défense de l’État-providence, du libre-échangisme au protectionnisme et de l’ethnodifférentialisme à l’universalisme. Sous cet angle, le politicien populiste fait donc preuve à bien des égards d’une omnipotence syncrétique (Taguieff, 2007). Ainsi, il appert vain de penser le populisme à travers une définition unique et immuable, car celui-ci est infléchi de différentes façons selon les contextes socio- historiques et politiques dans lequel il apparait (Charaudeau, 2011). Néanmoins, certains éléments semblent se retrouver plus régulièrement chez les politiciens aux styles populistes.

Tout d’abord, le politicien adoptant un style populiste galvanise généralement sa popularité en misant sur le mécontentement du peuple à l’égard de la manière dont il est gouverné ainsi que sur les peurs identitaires et sécuritaires qui l’animent. Pour le populiste, la qualité interne des rapports sociaux n’a que peu d’importance dans la cohésion et la prospérité d’une société; ce qui compte, c’est la prédominance de son identité. En ce sens, le leader populiste entretient bien souvent le fantasme du peuple ethnique, racialement pur, opposé aux étrangers (Taguieff; 2007). Ses orientations politiques vont donc se concrétiser à travers des discours politiques ciblant les racines du peuple et à l’aide de

67 Pour illustrer l’élasticité de la notion de populisme, peu d’exemples sont plus éloquents que les primaires

étatsuniennes de 2016. Dans un coin, Bernie Sanders, populiste et socialiste, a mobilisé les foules en revendiquant une organisation sociale et économique plus équitable. À son antipode, Donald Trump, tout aussi populiste, mais beaucoup plus tourné vers un nationalisme et un capitalisme sauvage a, quant à lui, remporté l’élection présidentielle de 2016 à l’aide d’un programme politique qui s’avère à bien des égards destructeur de la cohésion sociale et qui perpétue également les inégalités sociales.

68 Si, sur le plan conceptuel, le populisme n’est ni de gauche ni de droite, certaines tendances sont observables.

Sans être une règle universelle, il semble que dans les nations à tendance plus conservatrice de droite, le populisme soit généralement plus libéral de gauche, et vice-versa (Laycock, 2005).

déclarations qui affirment que le peuple est opprimé et exploité par des élites immorales, corrompues et parasitaires. En outre, le populisme n’est pas strictement antiélitiste; il est également un anti- pluraliste puisque, pour le populiste, lui et lui seul représente le peuple. Les politiciens populistes ont ainsi une forte propension à tenter d’annihiler l’opposition (Abts et Rummens, 2007; Müller, 2016).

Les populistes tirent également leurs forces de la critique de certaines réalités sociales jugées problématiques par une frange de l’électorat69 (Taguieff; 2007; Müller, 2016; Jamin, 2017). Par voie de conséquence, un des rôles du politicien populiste est de permettre au peuple d’exprimer sa colère. Pour y arriver, les politiciens populistes tendent à proposer un ensemble de solutions parfois simplistes, teintées d’émotions et s’éloignant des discours élitistes et intellectuels qu’ils considèrent comme détachés des enjeux du peuple (Canovan, 1981; Taguieff, 2007). De cet angle, le populisme n’a rien d’un phénomène ex nihilo. Bien au contraire, son émergence et son effervescence semblent plutôt tributaires du syndrome de désenchantement qui frappe actuellement les sociétés contemporaines. Ce syndrome – forme de désillusion largement généralisée – découle notamment de l’échec des régimes démocratiques modernes imputable au manque de participation citoyenne et au désaveu collectif vis-à-vis des processus politiques et de leurs acteurs. Or, quand la démocratie ne répond plus aux aspirations profondes des masses l’ayant plébiscitée, la déception peut s’avérer gravissime. Métaphoriquement parlant, cette perte de confiance à l’égard des institutions démocratiques représente une sorte de glaciation brutale à laquelle le discours populiste s’impose comme une échappatoire chaleureuse (Dorna, 1999).

Bien que les discours populistes obéissent à des règles à géométrie variable, certaines récurrences s’avèrent observables dans une majorité d’entre eux. Sans être exhaustive, la liste suivante, colligée par Dorna (2005), énumère certains des procédés linguistiques et sémantiques qui caractérisent le plus fréquemment les discours populistes :

 Des promesses implicites simples et peu techniques, mais décrivant avec énergie un élan collectif : « We will make America strong again. We will make America proud again. We will make America safe again. And we will make America great again. »70

69 À titre d’exemple, les populistes misent souvent sur la peur des étrangers et plus précisément sur les supposés

dangers de l’immigration.

70 Citation tirée du discours inaugural de Donald Trump lors de son assermentation à titre de président des États-

Unis, le 21 janvier 2016, repérée à : https://www.youtube.com/watch?v=sRBsJNdK1t0 (page consultée le 22 février 2017).

 Des discours polarisants et généralement attitudinaux (pour ou contre). D’un côté, il y a le « nous » vertueux et juste. De l’autre côté, il y a les « autres » corrompus, dépravés et dangereux : « Either you’re with us, or you’re with the terrorists. »71

 L’omniprésence des éloges du peuple l’identifiant à ses racines, ses origines, ses valeurs traditionnelles afin de valoriser le sentiment d’appartenance et la défense de l’identité nationale. Pour y arriver, les populistes peuvent faire appel à la cohésion nationale autour des symboles et des mots-clés qui renvoient aux clivages idéologiques : « Take a walk down the street and see where this is going. You no longer feel like you are living in your own country. There is a battle going on and we have to defend ourselves. Before you know it there will be more mosques than churches. »72

 Une récurrence des discours à l’encontre des élites, de l’establishment, des politiciens et des institutions politiques: « There is a lot of sentiment that enough is enough, that we need fundamental changes, that the establishment—whether it is the economic establishment, the political establishment, or the media establishment—is failing the American people. »73  L’utilisation du franc-parler et des figures rhétoriques : « La première usine qu’il faut faire

en France, c’est une usine à couilles. »74

 L’utilisation d’une sémantique à forte charge affective et la mise à l’avant-plan des insécurités pour dramatiser les choix politiques : « Les Libéraux veulent légaliser la marijuana, ils en faciliteraient l’accès aux enfants. Les Libéraux veulent installer des centres d’injection de drogues illégales dans vos quartiers. Les Libéraux veulent légaliser la prostitution, laisser apparaître des bordels dans vos quartiers. »75

71 Phrase prononcée par George W. Bush dans un discours au Congrès en réponse aux attentats du 11 septembre

2001, repérée à https://www.youtube.com/watch?v=ftfgofjvpE0 (page consultée le 22 février 2017).

72 Citation prononcée par Geert Wilders le 13 février 2007, repérée sur

http://web.archive.org/web/20070514083622/http://www.expatica.com/actual/article.asp?subchannel_id=1 &story_id=36456 (page consultée le 22 février 2017).

73 Extrait du discours de Bernie Sanders lors du lancement de sa campagne, prononcé le 30 avril 2015, repéré à

https://www.youtube.com/watch?v=fL12Gb_ixtU (page consultée le 22 février 2017).

74 Citation de Jean-Marie Le Pen datant du 20 mars 2012, repérée à https://qqcitations.com/citation/119798

(page consultée le 22 février 2017).

75 Publicité du gouvernement conservateur canadien lors de la campagne de 2015, repérée à http://ici.radio-

canada.ca/nouvelle/743275/epreuve-faits-publicite-conservateurs-cannabis-prostitution-drogues-liberaux- trudeau (page consultée le 22 février 2017).

Du reste, au-delà de leur parenté étymologique, le populisme tend vers la démagogie lorsque l’acteur populiste mise démesurément sur le principe de souveraineté du peuple et postule une homogénéité de la population. Considérer le peuple comme un sujet naturel76 et préfini par sa différence avec les élites est en soi réducteur dans la mesure où le « peuple » n’est pas un bloc monolithique stable et unifié dont les caractéristiques et les aspirations de ses membres sont inéluctablement identiques et nécessairement en antinomie avec celles des élites et des oligarques. Ainsi, Taguieff (2007) soutient que bien que les populistes aiment s’autoqualifier de démophiles, il n’en demeure pas moins que leur conceptualisation du peuple tend à exclure, voire stigmatiser les intérêts divergents. Dans ces circonstances, le populiste va alors réduire la vie démocratique dans le but de défendre sa cause77. Or, cette relation s’avère bidirectionnelle, puisque le populiste fait sienne la cause du peuple, il peut ainsi incarner, dans l’imaginaire collectif, l’image du sauveur qui mettra un frein à la perdition de la démocratie et plus largement des sociétés.

Bien que le populisme puisse bel et bien servir de tremplin d’émancipation face à certaines structures de pouvoir établies, il arrive que certains populistes leurrent volontairement la population en transformant, en cachant ou en niant certaines réalités sociales ou politiques. Ils peuvent également exagérer les menaces et créer des ennemis de toutes pièces, tout comme ils peuvent réduire les problèmes et les défis sociétaux à un cadre simpliste ne permettant ni de comprendre la situation, ni d’identifier la ou les causes du problème, ni de prendre des décisions éclairées et efficaces (Jamin, 2017). Au final, malgré leurs dires, les populistes ne représentent pas indubitablement des tribuns du peuple ou bien des vecteurs de démocratie.

76 Dans cette foulée, les écrits sociologiques, du moins ceux s’inscrivant dans une perspective constructiviste,

avancent que le « peuple », indépendamment du sens politique qui lui ait accordé, n’existe pas en soi, il s’agit plutôt d’une construction sociale (Premat, 2004)

77 Pour illustrer ce propos, la comparaison entre Ross Perot, candidat indépendant aux élections présidentielles

américaines de 1992 et 1996, et Jesse Jackson, candidat démocrate pour la nomination aux élections présidentielles en 1984 et en 1988, s’avère particulièrement intéressante. Bien que les deux politiciens réfèrent à la même population, celle des États-Unis, le « peuple » auquel réfère Perot est en contradiction apparente avec celui auquel réfère Jackson. Perot conçoit le peuple dans une perspective fiscale; celui-ci est donc composé des actionnaires des États-Unis, qui ont perdu le contrôle de leur propre pays à la suite des décisions de leurs dirigeants qui ontplongé le pays dans la dette et le déficit. Pour Jackson, le peuple représente plutôt les pauvres, les méprisés, les exclus du rêve américain, tels que les Afro-Américains racialement discriminés, les femmes victimes de sexisme, les individus qui travaillent dur sans joindre les deux bouts, ainsi que les petits entrepreneurs qui n’ont pas profité de la diminution des taxes réservée aux riches sous l’administration Reagan (Jamin, 2017). Cet exemple illustre qu’il est possible, pour les populistes, de délimiter leur définition du « peuple » aux personnes légitimant leurs idéaux et leurs propositions.

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