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Chapitre 2 – Les tendances pénales canadiennes : De l’idéal de réhabilitation au populisme

2.8 Pertinence scientifique et sociale

Le fait de produire une recherche qui vise à combler, du moins partiellement, certaines limites des études sur un sujet particulier, contribuant ainsi à ajouter une brique à l’édifice des savoirs, s’avère en soi un argument qui atteste de la pertinence scientifique de ladite recherche. Dans le cas de ce mémoire, rappelons brièvement que je souhaite contribuer à la construction d’une vue d’ensemble de l’ancrage populiste de ce gouvernement en matière pénale. Le présent mémoire s’avère également pertinent pour plusieurs autres raisons, et ce, autant sur le plan scientifique que social. Les prochains paragraphes servent d’ailleurs à expliciter ces pertinences.

2.8.1 La pertinence de mettre en lumière l’oppression discriminatoire de la justice pénale

La présente étude, qui s’intéresse à l’ancrage populiste du gouvernement Harper, s’inscrit dans le courant des études critiques en justice pénale. Ces études s’avèrent pertinentes dans la mesure où elles servent, notamment, à déconstruire les préconçus sociétaux qui affirment que les enjeux de la répression pénale ne concernent que les « criminels »47, perçus comme des êtres peu dignes de considération. Bien au contraire, la justice pénale est une institution qui joue un rôle central dans le maintien des hiérarchies de pouvoir, de classe, de race et de genre au sein de n’importe quelle société. Elle représente d’ailleurs le bras le plus opprimant que peut utiliser l’État pour assujettir ses citoyens. En ce sens, prétendre que la justice pénale est, en certaines occasions, un moyen d’oppression, ce n’est pas simplement supposer que la justice pénale soumet le citoyen à une autorité supérieure, c’est affirmer que cette autorité peut s’avérer injuste et excessive. Ainsi, l’étude des liens entre le populisme pénal et la sévérité pénale est d’autant plus importante que l’usage de la force pénale peut s’avérer arbitraire et inique.

Spécifiquement, si d’un point de vue tautologique la justice pénale remplit la mission pour laquelle elle a été instituée, soit rendre justice, son objectif premier demeure néanmoins la perpétuation d’un ordre social particulier. Plus précisément, les diverses actions de la justice pénale participent à la construction et à la reproduction d’un ordre social protégeant certaines élites sociales au détriment d’autres groupes relégués dans des strates marginalisées et qui, en vertu de leur condition d’opprimés, pourraient menacer l’ordre social établi (Michalowski, 1985; Danet, 2004). À titre d’exemple, l’impartialité est considérée comme un des fondements de l’appareil pénal, représentée dans la mythologie grecque par la déesse Thémis, personnification allégorique de la justice et du droit, qui est généralement dépeinte sous les traits d’une femme aux yeux bandés, symbolisant une justice impartiale et objective, prétendument « aveugle » à l’identité, la puissance ou la faiblesse du justiciable. Or, loin d’être impartiale, il est avéré, selon plusieurs recherches, que le processus de criminalisation et le processus judiciaire peuvent s’avérer plutôt partiaux et, par voie de conséquence, la justice pénale punirait plus régulièrement et plus fortement les groupes sociaux marginalisés et défavorisés48 (Wacquant, 2004; Reiman, 2007; Alexander, 2010). De ce fait, l’étude du volontarisme

47 Le terme « criminel » n’est pas le mien, il n’est employé, ici, que pour refléter la pensée collective à l’égard

des personnes accusées ou déclarées coupables d’une infraction. À cet égard, son utilisation vient renforcer l’idée avancée dans ce paragraphe.

48 À titre d’exemple, dans son ouvrage The rich get richer and the poor get prison, Reiman (2007) illustre que

la probabilité que l’appareil pénal soit sollicité est beaucoup plus grande à l’égard des personnes provenant de classes sociales défavorisées que de celles issues de classes moyennes et supérieures. Les personnes provenant de groupes sociaux vulnérabilisés sont ainsi beaucoup plus enclines à être arrêtées à la suite d’une surveillance accrue de la part des policiers dans l’espace public. Lorsqu’elles sont arrêtées, les personnes défavorisées sont également plus susceptibles d’être mises en accusation. Non seulement la probabilité

punitif généralement associé aux idéaux populistes s’avère essentielle, puisque les politiques qui en découlent risquent d’accentuer l’oppression et la discrimination de ces groupes.

2.8.2 La pertinence d’étudier le populisme pénal dans le contexte politique actuel

Transcendant la question pénale, les récents succès de politiciens populistes sur la scène internationale justifient à eux seuls la tenue de recherches touchant de près ou de loin les « phénomènes » populistes qui frappent actuellement une myriade de démocraties occidentales. Une réalité plutôt problématique se dessine actuellement, soit l’accroissement notable de la popularité des discours protectionnistes, du nationalisme identitaire, de l’obsession sécuritaire et des débats démagogiques (Inglehart et Norris, 2016). Ces phénomènes populistes ont galvanisé la popularité de politiciens autoritaires et démagogues tels que Donald Trump, Marine Le Pen, Nigel Farage, Geert Wilders et Doug Ford,générant des résultats d’élection plutôt inopinés. Bien plus qu’un simple événement isolé, telle l’élection surprise de Jesse Ventura en 199849, l’actuel essor du populisme a même incité le dictionnaire Oxford à désigner le mot post-truth (post-vérité) comme le mot de l’année 2016. Cet adjectif fait référence à des conjonctures et des circonstances dans lesquelles les « faits objectifs » ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles (Flood, 2016). La politique semble donc aujourd’hui considérablement traversée par le spectre du populisme. Or, dans une ère de consumérisme médiatique, les diverses facettes caractérisant les politiciens populistes, telles que les déclarations dramatiques, les promesses excentriques et des résultats électoraux inopinés, sont bien souvent analysées et décrites dans des reportages médiatiques simplistes, tranchés et lapidaires (Inglehart et Norris, 2016). Ainsi, une recherche qui se distancie de telles conclusions rudimentaires permettra de mieux apprécier le renouveau du populisme.

Sur le plan canadien, bien que le pays n’ait pas été, jusqu’à aujourd’hui, un terreau fertile pour des formes de populisme aussi radicales que celles qui ont cours présentement aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe, l’historique du pays n’est pas non plus exempte de toute apparition du populisme. Plusieurs manifestations limitées laissent supposer le Canada n’est pas immunisé contre les vagues populistes qui frappent une quantité de sociétés occidentales en ce début du 21e siècle. La récupération politique de la crise des accommodements raisonnables au Québec, qui a atteint son

qu’elles soient reconnues coupables est aussi plus grande, mais, lorsque déclarées coupables, ces personnes se voient octroyer des sanctions statistiquement plus sévères que les personnes des classes moyennes et supérieures (Reiman, 2007).

49 Jesse Ventura est un acteur et lutteur professionnel qui siégea à titre de gouverneur du Minnesota de 1999 à

2003. Il est le seul membre du Reform Party à avoir occupé le plus haut poste hiérarchique dans la politique américaine.

paroxysme en 2006, et l’ampleur du débat sur le port du niqab dans l’élection fédérale de 2015 en sont des exemples intéressants. Qui plus est, plusieurs auteurs ont qualifié de populiste et d’électoraliste la montée d’une mentalité chauviniste et d’un nationalisme conservateur dans certains partis politiques dans la mesure où ces partis semblent avoir utilisé l’indignation populaire – et l’anxiété sociale suscitée par ces questions – pour accumuler du capital politique (Mercier, 2013; Laycock et Weldon, 2017). Il n’est donc pas fallacieux d’avancer l’hypothèse selon laquelle ces manifestations circonscrites du populisme seraient des signes avant-coureurs d’une propension à succomber à la tentation populiste chez plusieurs politiciens canadiens et chez une frange de l’électorat. D’ailleurs, bien qu’il ne s’agisse pas d’une recherche dite scientifique, un sondage de la firme CORP mené en septembre 2017 indique que 59 % des Canadiens et 66 % des Québécois voteraient de manière « assez probable » ou « très probable » pour un leader populiste (Schmouker, 2017). Lors de la finalisation de ce mémoire, Doug Ford, populiste auto-déclaré (Jones, 2018), venait également d’être plébiscité à titre de Premier ministre de l’Ontario, manifestant, par le fait même, d’une propension chez les Canadiens à succomber aux tentations populistes.

2.8.3 La pertinence d’étudier le populisme pénal conservateur

Bien que le gouvernement Harper fut défait en 2015, l’étude des idéaux populistes qui ont sous-tendu l’articulation de ses politiques pénales n’est pas superflue puisque, dans une société du savoir, l’étude du « passé » n’est pas un luxe, mais la condition même du progrès social. Il est également intéressant de se demander quels sont les reliquats, en matière pénale, qu’a laissés l’ère Harper au Parti Conservateur. Spécifiquement, il est de circonstance de se demander si la formation conservatrice, nouvellement dirigée par Andrew Scheer, semble toujours animée par des idéaux populistes Tough on Crime. Bien que lors de l’écriture de ce mémoire, en 2017 et 2018, les nouvelles directions du Parti conservateur n’étaient pas définitivement établies, certains indices laissent présager que la philosophie pénale du gouvernement Harper n’est pas surannée et qu’elle pourrait être une des pierres angulaires de la prochaine campagne électorale du Parti. À titre d’exemple, sur le site internet anglophone du Parti conservateur du Canada, une page complète50 demande de soutenir, par l’entremise d’une pétition, le programme politique Tough on Crime du Parti pour contrecarrer « l’élimination, par les Libéraux, des peines minimales pour les contrevenants violents récidivistes ». De surcroît, le nouveau chef, Andrew Scheer, se qualifie lui-même de candidat Tough on Crime, comme en témoignent les propos suivants qu’il avait tenus à la Chambre des communes lorsqu’il agissait à titre de député : « Nombre de mes collègues me diront que l’emprisonnement d’un plus grand nombre de criminels entraînera des coûts financiers. C’est vrai. Toutefois, je le répète, c’est de

l’argent bien dépensé [...] J’estime que, trop souvent, c’est cette retenue de la part des juges quant au recours à l’emprisonnement qui entraîne une augmentation de l’activité criminelle » (Lalande, 2007 : 82).

Bien que le présent mémoire s’avère, somme toute, critique à l’endroit du Parti conservateur de Stephen Harper, il importe de comprendre qu’il s’agit d’analyser le message et non le messager. Ainsi, l’analyse de la documentation recueillie pourrait tout aussi bien s’appliquer à des gouvernements subséquents, d’autres allégeances, qui imbriqueraient leurs philosophies pénales dans des idéaux populistes. L’analyse de la relation entre le populisme et la philosophie pénale harperienne qui est proposée dans ce mémoire s’avère non seulement pertinente pour étudier les politiques pénales qui ont façonné la justice pénale actuelle, mais également utile pour préparer le futur.

2.9 Remarques conclusives

À titre de remarques conclusives, il importe de rappeler que l’étude des tendances pénales canadiennes précédemment réalisée dans ce chapitre semble suggérer que le gouvernement conservateur de Stephen Harper a dirigé le Canada vers un virage punitif plus assumé. À la suite de cette démonstration, il a été également illustré que cette vague punitive était en partie tributaire des idéaux populistes en matière pénale de ce gouvernement. Ainsi, pour préparer les analyses centrales de ce mémoire, qui ont comme objectif d’analyser la manière dont s’articule l’ancrage populiste dans les politiques pénales ratifiées par le gouvernement Harper, les deux prochains chapitres décrivent successivement le cadre théorique et le cadre conceptuel qui seront priorisés.

Chapitre 3 – Posture épistémologique, cadre théorique et notions corrélatives

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