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1. L’intention de motiver : d’une vision générale vers l’étude de cas

1.2 La position de l’enseignant N à l’intérieur de sa classe

L’enseignant N est l’un des enseignants qui ont rempli le questionnaire en 200586. Il a été choisi parce qu’il a été enregistré en 200387 en donnant son cours en classe. Nous avons repris le même enregistrement dans la présente recherche afin d’analyser son comportement vocal en situation (dans la dernière partie du mémoire). Il a de même répondu à nos questions en 2003 (sous forme de questionnaire), et ses réponses constituent dans la présente recherche une matière de comparaison avec ses propos déclarées en 2005. Les questions prises en compte sont celles qui portaient sur sa position en tant qu’enseignant de langue française dans le lieu-classe, et sur les stratégies qu’il adoptait en vue de motiver ses apprenants. La position de l’enseignant N à l’intérieur de sa classe est déterminée par la qualité du public d’apprenants à qui il communique la langue étrangère.

1.2.1 L’âge et la qualité des apprenants : un facteur déterminant la relation enseignant/apprenants

L’enseignant N est beaucoup plus âgé que ses apprenants, et parle beaucoup mieux qu’eux le français. Ceux-ci sont des adolescents.

Les apprenants cibles sont des adolescents âgés de 15 à 18 ans. Ce sont les apprenants de l’enseignant N interrogés en 2003 puis en 2005. Il s’agit du même niveau académique mais dans deux périodes différentes. Donc ce ne sont pas les mêmes apprenants. Ceci permet de déceler le degré de leur motivation pour l’apprentissage du français, comment ils considèrent leur enseignant de français, leurs représentations sur la langue française.

Apprendre une langue, peu ou non connue à l’âge adolescent, pourrait engendrer des problèmes affectifs que nous tenterons d’expliciter à travers la psychanalyse.

86 Période de notre préparation du doctorat.

87 Période de notre préparation du DEA.

Le psychanalyste R. Cahn (1998 :186) a fait remarquer les caractéristiques propres à la période de l’adolescence : « d’une part d’être particulièrement sensible aux influences de l’environnement, et d’autre part de correspondre à un certain moment conclusif du processus de subjectivation » C’est bien cette sensibilité, évoquée par R. Cahn, que les apprenants en 2003 ont manifesté face à l’influence du comportement affectif de l’enseignant, rendue par sa voix, sa manière d’expliquer et de se soucier d’eux.

En outre, cette période (l’adolescence) se présente comme une phase de

« transformations, de mutation, de passage » (1998 :10) aussi bien au niveau psychique que physiologique. C’est une phase « d’équilibre instable » qui fait déclencher « les angoisses identitaires » (1998 :193). L’adolescent cherche donc à se réaliser, à se mettre en valeur.

Parler, donner son point de vue, agir par sa voix sont pour lui des besoins pour réaliser son identité et sa « subjectivation ». R. Cahn a souligné ce point en affirmant la nécessité de l’existence « des moyens de communication, notamment verbale, à la fois efficaces et socialement acceptables pour exprimer, pour soi et pour les autres, ses sentiments, ses désirs, ses conflits, ses pensées […] ».

Le manque de ces moyens rendait difficile le processus de subjectivation au niveau du mouvement vers l’indépendance. » (1998 :190). Il ressort que le risque de ne pas accéder à ces moyens verbaux - risque probable dans une classe de langue étrangère - pourrait bien faire surgir le sentiment de l’impasse dans ses capacités d’autonomisation et de créativité, à savoir les « angoisses identitaires » pour reprendre l’expression de R. Cahn.

Le décalage au niveau de l’âge et de la parole en langue étrangère reflète un décalage sur le plan des manières communicationnelles et sur le plan des besoins chez les deux partenaires de l’interaction (l’enseignant d’une part, et les apprenants de l’autre part).

Pour éclaircir ce point, nous prenons un trait présent chez l’enseignant N, sa voix. Le comportement vocal de l’enseignant N a été étudié en 2003 (dans notre mémoire de DEA) en tant que facteur influent les attitudes et la motivation des apprenants adolescents en classe.

Nous reprenons cette étude ici pour mettre en valeur le risque de perdre la position de dominant à travers un usage de la voix non adapté aux besoins des apprenants adolescents.

En effet, avec l’âge, la voix devient de plus en plus grave (le cas de l’enseignant N), et ce fait pourra lui conférer une certaine autorité sans qu’il y pense nécessairement.

Prendre en compte l’impact de sa voix sur son public l’amènera à ajuster sa manière de projeter sa voix. D’autre part, l’âge des apprenants, leurs besoins au niveau cognitif (lexique français, parler en français etc.) et affectif (sentir que l’enseignant se soucie d’eux,

écouter une voix « non agressive » par exemple), est un facteur qui influe, si l’enseignant en prend compte, sur ses manières d’agir en classe.

1.2.2 Les apprenants adolescents face à leur enseignant

Dans une classe de langue étrangère, l’expression verbale de l’apprenant adolescent serait beaucoup plus « étouffée » que « libérée » par le comportement vocal de l’enseignant quand ce dernier tente consciemment ou non, de manifester son « emprise » sur la classe.

Désiré ou voulu, le « pouvoir » de l’enseignant N est incarné par le ton grave de sa voix (puisqu’il est âgé), le rythme rapide avec lequel il prend et donne la parole (comme nous l’avons remarqué dans l’analyse des séquences enregistrées et transcrites), l’intensité et la durée selon lesquelles il procède dans son discours.

C. Kramsch (1984 :60) a souligné la relation entre prédominance d’un tour de parole et comportement vocal, précisément « intensité et timbre de voix », « durée du tour » et

« moment de l’intervention ».

Ne pas connaître le code linguistique de la langue cible, alors que l’enseignant le connaît, est un obstacle chez l’apprenant à la réalisation de son identité. De plus, être confronté au « poids » de la voix de l’enseignant pourrait être un autre obstacle, associé à la sensibilité excessive de l’apprenant dans la période de l’adolescence et à la tendance de montrer, dans le cas où il s’agit d’un garçon, le changement qui a eu lieu dans sa voix. Ce changement physiologique propre à cette phase de développement accroît cette aspiration de l’adolescent à se réaliser vocalement ; aspiration à laquelle une voix plus « forte », plus

« touchante » de l’enseignant ferait obstacle.

A. Freud (citée par V. François 1994 :237) a souligné que l’agressivité d’un adolescent est un mécanisme de défense pour maîtriser son angoisse. Cependant, face à la «force » rendue par la voix de son enseignant, l’apprenant adolescent pourrait avoir d’autres réactions : garder le silence et se taire.

Le silence « dit » beaucoup sur l’attitude d’un apprenant adolescent mais en même temps ne nous rassure pas sur sa vraie « révélation ». Sur le plan affectif, nous ne pourrons pas être sûr, s’il écoute attentivement, s’il est satisfait de ce qu’il entend, s’il a peur de participer et répondre à une question pour ne pas commettre des fautes et par la suite faire apparaître sa faiblesse linguistique, ou plus encore s’il a peur de l’intonation que va prendre l’enseignant s’il commet des fautes. « Je n’aime pas être grondé devant mes camarades » était une des réponses que nous avons eue à plusieurs reprises à la question posée en 2003 et

qui est la suivante : « Dites pourquoi il arrive que vous ne répondiez pas aux questions posées par votre enseignant. » « Etre grondé » reflète, à la fois, l’intonation « blessante » que l’enseignant prend à la suite d’une réponse fausse d’un apprenant et la sensibilité de l’apprenant soucieux dans cette période d’adolescence à montrer qu’il est « capable »

Des rapports de force s’établissent donc entre l’enseignant et les apprenants adolescents au niveau verbal et vocal. Réussir la communication verbale en langue étrangère nécessite une négociation des rapports de forces au niveau vocal.

L’âge des apprenants auxquels l’enseignant N enseigne le français, influe ainsi sur sa position en classe, car l’adolescence est une période de besoin de s’affirmer, de montrer qu’on est capable. De telle manière l’enseignant N risque d’être dominé par la « force » réagissant influente de la nature et de la qualité de son public d’apprenants.

L’aptitude à manipuler ces rapports de forces semble prendre priorité sur l’aptitude à négocier le sens du thème même de son discours en classe. Mais qui est censé négocier ces rapports, l’enseignant ou l’apprenant? Si nous prenons en compte la pédagogie moderne qui prône un mouvement de l’enseignant vers l’apprenant par opposition à la pédagogie traditionnelle où il s’agissait d’un mouvement de l’apprenant vers l’enseignant, c’est à l’enseignant de savoir manipuler sa voix, utiliser son « diapason » afin d’établir un équilibre, un certain « accordage affectif » dans son interaction vocale en classe […] Mais dans quelle mesure l’enseignant N voulait agir et dans quelle mesure serait il capable de négocier ces rapports de forces ?

1.3 La « modestie » : un mouvement de l’enseignant N vers ses

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