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2. Les facteurs du passé qui influencent la production vocale

2.4 Les attitudes « inconscientes » refoulées dans le style vocal

Le rapport qui relie la production physique (motrice) de la voix à la source émotive inconsciente qui la fait générer est mise en relief par I. Fonagy (1983 1991) et par J. Lacan (1971). En effet, les émotions inconscientes refoulées dans « l’inconscient » ou plutôt dans le

« préconscient » interviennent dans le style vocal particulier de chaque individu.

2.4.1 La perception de l’attitude et du caractère dans le style vocal

Le style vocal est conçu par I. Fonagy comme une « […] façon de parler, manière de s’exprimer » et il fait connaître que « Les termes de manière de parler, façon de s’exprimer nous sont devenus si familiers que nous ne ressentons plus le besoin de chercher des précisions quant à leur signification exacte ». (1991 : 10). Nous pouvons avoir deux sens différents pour une même phrase quand elle est prononcée de deux manières différentes, donc selon deux styles différents. Ce qui est à la base de la différence de styles vocaux pour une même personne, relève essentiellement de l’affectivité du locuteur, de son attitude à un moment donné qu’elle soit au niveau du conscient, du préconscient ou totalement de l’inconscient.

Le style vocal se caractérise par les composantes prosodiques de la parole comme l’accent d’une syllabe ou d’un phonème, la durée d’une syllabe, le débit, le timbre adopté dans l’articulation etc. Nous pouvons parler aussi – s’il s’agit de la parole – de l’intonation et du rythme de la voix. Ces deux éléments constituent la base du comportement vocal dans la parole.

I. Fonagy analyse « la projection » sonore des attitudes agressives (comme la colère, la haine, l’ironie etc.) d’une part, et celle des attitudes non agressives (comme la tendresse, le désir, la joie etc.) d’autre part. Selon lui, les émotions tendres « favorisent l’allongement des voyelles », par contre, la haine, la colère, et, à un degré moindre, l’ironie, « augmentent la durée des consonnes, et allongent surtout la durée des occlusives sourdes, et réduisent la durée relative des voyelles ». (ibid. : 154).

Le rapport reliant le style vocal aux attitudes et aux émotions dont l’individu ne s’en rend pas compte est évoqué par I. Fonagy (1991) parlant du « préverbal » et du

« préconscient » dans l’expression vocale, mais aussi par J. Lacan pour qui, l’inconscient est

« structuré comme un langage » (1971 : 123). Il existe des gens qui ont des habitudes de

manières de parler, un style vocal formé au cours du temps et qui reflète leur caractère et leur attitude. Nous dirons par exemple d’un individu qu’il a l’air doux ou qu’il a l’air agressif en parlant. C’est que les sentiments refoulés peuvent apparaître à l’insu de l’individu, sans qu’il s’en rende compte quand il parle :

L’attitude « inconsciente » révélée par la voix de celui qui parle de façon permanente sera perçue comme étant le caractère de la personne elle-même, où « les gestes vocaux » qui constituent son style vocal disparaissent en tant que « gestes phonatoires porteurs de messages » pour réapparaître comme « manière de parler individuelle ». (I. Fonagy, 1991 : 155). De telle sorte « les gestes vocaux » seront rattachés à la personne même du locuteur pour « faire partie de son signalement, au même titre que la couleur de ses cheveux, sa taille, son nom ».

Ce phénomène est plus fréquent quand il s’agit de parler dans une langue étrangère non connue par ceux qui l’écoutent. Pour éclaircir ce point, I. Fonagy a donné l’exemple d’une expérience d’écoute d’un conférencier parlant une langue inconnue des auditeurs. Ce que ces derniers ont perçu se situe au niveau affectif et non pas au niveau sémantique14 de ce que le conférencier disait. Ils ont perçu un « homme […] (qui) s’efforçait de dominer sa colère, de se dominer, sans arriver à la masquer, ni son mépris ni son dégoût ». I. Fonagy explique plus clairement que :

Le style vocal permanent du conférencier a été interprété comme l’expression d’une attitude par ceux qui entendaient la voix pour la première fois et qui, ne comprenant pas le texte hongrois, ne voyaient pas l’incompatibilité entre ce texte et la colère rentrée. (ibid. p.

155).

De telle sorte que nous pouvons affirmer qu’au moyen de son style vocal, l’enseignant d’une langue étrangère, risquera de « projeter » sans le vouloir, ou sans qu’il s’en rende compte, une attitude ou un caractère15 qui sera perçu par ses apprenants, beaucoup plus que l’information linguistique ou le message voulu par l’enseignant :

Les messages stylistiques communiqués à l’aide de la « manière de parler », de la

« façon de s’exprimer » ont un caractère préverbal, malgré le fait qu’ils sont parfaitement intégrés à l’acte verbal proprement dit. (I. Fonagy, 1991 : 21).

14 I. Fonagy précise que le conférencier analyse, « en toute objectivité », quelques aspects de la théorie esthétique de George Lukas.

15Nous pouvons observer l’attitude ou le caractère de l’enseignant tel qu’il est perçu par ses apprenants en interrogeant ces derniers sur leurs attitudes vis-à-vis de leur enseignant et de la séance du français. Cette méthode fera l’objet de la quatrième partie où nous aborderons l’étude d’un cas particulier.

Une certaine indépendance existe donc entre le verbal et le vocal. Ce dernier peut signifier autres que les mots utilisés par l’enseignant, et même communiquer des messages involontaires que les apprenants auditeurs perçoivent. La langue étrangère parlée par l’enseignant favorise la communication de ce type de messages involontaires et inconscients, refoulés.

D’autre part, il existe des usages prosodiques qui communiquent des attitudes non souhaitées par l’enseignant comme l’accentuation. I. Fonagy fait remarquer l’aspect agressif de l’accent fréquent, il précise que « l’accent vigoureux, multiple, est une des principales marques de la colère, de la haine, ou dans les commandements militaires qui supposent une attitude martiale agressive. » (ibid. : 111).

A ce stade, à l’intérieur de la classe la voix d’un enseignant qui a accentue de manière quotidienne et permanente les syllabes de ses phrases prononcées en classe risque d’être mal interprétée par les apprenants. Sa voix sera jugée comme une « agression » à leur égard.

Notons que cet « usage » accentuel répétitif de l’accent est - selon cette perspective - non conscientisé par lui dans la mesure où il est considéré comme habitude vocale acquise ou

« habitus », et, une fois perçu par les apprenants, il risque d’être mêlé au caractère même de l’enseignant. L’ «image de soi » qu’il voulait projeter à ses apprenants risque d’être mal

« reçue ». Les apprenants auront une représentation et une attitude négative à son égard mais aussi face à la langue étrangère qu’ils écoutent à travers l’ « usage » vocal « inconscient » de leur enseignant.

2.4.2 La manifestation du désir dans le style vocal

Les sentiments refoulés inconscients et révélés par la voix sont aussi évoqués par J.

Lacan (1971). Selon lui, outre les rêves, les trébuchements de la parole tels que les lapsus, les mots oubliés, inversés, confondus ou déformés, l’inconscient a encore un autre mode de manifestation dans le discours d’un locuteur. Il le fait par « le style vocal ». La réflexion sur la structure de la phrase parlée est facilitée par le schéma que nous empruntons au séminaire de J.

Lacan sur les formations de l’inconscient (1998 : 14-15), où il explique que « les lois » qui régissent l’inconscient sont à mettre en parallèle avec celles qui déterminent le langage16. Le

16 S’inspirant des travaux du linguiste De Saussure, Lacan s’est intéressé à la langue, objet même de la linguistique. Partant du signe linguistique, qui est décrit par De Saussure comme un rapport signifiant / signifié (image acoustique / concept), Lacan va mettre l’accent sur le signifiant en insistant sur l’autonomie de ce dernier et sur sa capacité de se combiner au delà de la signification originelle, pour créer d’autres « effets de sens » ou de

« non sens ». C’est ce qui lui permet de montrer que le langage est enraciné dans l’être humain indépendamment de toute intention de signifier et pourtant il peut avoir des effets.

schéma, le « graphe de désir », dans sa forme la plus simple manifeste ce qui se passe lorsqu’un sujet parle, lorsqu’il prononce une phrase, et comment se manifeste le désir du sujet parlant dans son énonciation :

Figure 1 : schéma du désir qui apparaît dans le style vocal introduit par J. Lacan

Dans ce schéma, Lacan postule l’existence de deux axes, qui se développent dans deux directions opposées et se regroupent en deux points (A) et (B). (A) renferme tous les signifiants que nous pourrons imaginer alors que (B) figure la ponctuation de la phrase, moment d’inscription du désir du sujet dans le discours. Notons que les signifiants dans (A) peuvent se réduire aux phonèmes ; le choix entre les phonèmes de l’un ou de l’autre influe sur le sens de la phrase. (B) figure celui du registre de la voix, de l’intensité, de la durée etc.

L’orientation des deux axes précise cette dynamique entre le choix de signifiants et le désir.

Le premier, le (A) se déploie logiquement de gauche à droite, comme une phrase écrite, alors qu’en revanche, le second le (B) celui qui inscrit et indique par la phrase le désir du sujet dans son discours, procède rétroactivement, de droite à gauche, figurant ainsi l’effet d’après coup dont se nourrit le sens.

Ainsi «le graphe du désir » créé par Lacan a éclairé l’interdépendance existante entre le langage verbalisé et le désir du locuteur et a mis l’accent sur la manifestation du désir dans le style vocal. C’est cette interdépendance qui va permettre la création de « l’effet de sens » chez l’auditeur. Le même phénomène et schéma pourrait s’appliquer à la parole de l’enseignant en classe.

C’est le type de la langue verbalisée qui influencera donc le comportement d’écoute et qui fait créer les divergences de situations et de positions de l’enseignant selon qu’il se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de la classe de langue. Parlant en langue étrangère en classe, son caractère et ses attitudes seront beaucoup plus perçus par ses apprenants que le sens linguistique ou informationnel de ce son discours, alors qu’ils seront beaucoup moins perçus en dehors de la classe où il parle dans sa langue maternelle qui est partagée avec ses auditeurs.

(B) (A)

Les attitudes inconscientes refoulées au cours du temps sont donc susceptibles de se manifester librement dans la voix de l’enseignant de langue étrangère.

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