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1. L’intention de motiver : d’une vision générale vers l’étude de cas

1.3 La « modestie » : un mouvement de l’enseignant N vers ses apprenants

1.3.2 L’enseignant N décrit ses propres actions pour accrocher les apprenants

C’est parce que ses apprenants (en 2003) étaient faibles en langue française, et, indifférents à l’apprentissage de la langue, qu’il se servait de plusieurs outils afin de les accrocher :

- « le tableau

- marcher entre les rangées

- baisser la voix et (parfois) hausser la voix

- poser des questions, les faire participer à l’idée qui est en question. »

Plus encore, faire intervenir les apprenants se faisait : - en posant des questions

- en laissant une pause de silence après chaque idée

- selon leur regard et leur attitude (Annexe 3 : question n°14)

Cette situation d’insatisfaction et de fatigue dues essentiellement au fait que l’enseignant N se trouvait seul pour faire face à des facteurs extérieurs à lui (comme les apprenants mal formés et non motivés, le manuel non adapté), l’emmenait – à lancer à la fin des solutions qui pourraient motiver les apprenants :

- faire sentir l’apprenant à un âge donné du profit qu’il pourrait tirer d’une langue étrangère

- une bonne formation c’est créer tout d’abord des objectifs lesquels puissent motiver l’apprenant

- pour une bonne formation, il faut avant tout un bon formateur (Annexe 3 : question n° 17)

D’après l’enseignant N, il faut en même temps travailler sur les représentations des apprenants de sorte que la langue étrangère qu’ils étudient à l’école soit importante à leurs yeux, et sur les programmes du manuel en créant des objectifs motivants, et enfin sur la qualité du formateur c'est-à-dire de l’enseignant lui-même.

En 2005, les propos de l’enseignant N révélaient les mêmes stratégies et les mêmes angoisses mais avec plus de détails concernant les apprenants de moins en moins motivés et de plus en plus faibles en français : selon lui, le programme est toujours l’une des causes qui ont affecté le niveau et la motivation des apprenants : « les gens à qui l’on a confié le changement du programme n’ont pas respecté le fond mais la forme. […] sans créer aucune harmonie entre les différentes classes ou respecter ce que peut acquérir un apprenant libanais ». [Q. (9 : 8-20)]. De plus, la période technologique et la langue anglaise attirent l’attention des apprenants adolescentsdans leur milieu socioculturel en dehors de l’a classe :

« L’anglais, l’ordinateur, la vie devenue plus rapide créent cet écart entre l’enseignant et l’apprenant libanais ». [Q. (9 : 30-32)]

Notons que la méthodologie d’enseignement des enseignants cibles a changé avec l’arrivage du Nouveau Programme qui a prôné la participation de l’apprenant à son propre apprentissage (en interagissant verbalement en classe), et qui a imposé par là une coupure avec l’ancienne méthodologie où c’était l’enseignant qui « donnait » les informations et les

connaissances à l’apprenant. Il a introduit aussi des notions nouvelles comme les objectifs et les compétences.

Les influences des événements qui ont eu lieu depuis l’an 1995 (le changement de programme, l’anglais, la technologie, l’Internet etc.) ont divisé l’expérience de l’enseignant N (trente ans) en deux phases où chacune s’est traduite par un sentiment, une attitude particulière : être inutile.

Mais socialement, le même corps passe par des états différents et est fatalement porteur de schèmes d’action ou d’habitudes hétérogènes et même contradictoires. B. Lahire (2001 : 34)

L’enseignant N a enfin réalisé qu’il est censé agir pour motiver ses apprenants :

- Je n’acceptais jamais d’être en classe avant d’être prêt à tout savoir sinon j’avais beaucoup peur que je sois dans une situation difficile devant mes élèves qui pourraient parfois me poser des questions auxquelles peut-être j’avais des réponses imprécises ou indécises

[Q. (7 : 9-14 )]

Outre que ce qu’il a dit en détail en 2003, sa manière d’agir se fait essentiellement sur le plan vocal en vue d’accrocher l’attention. A la question : pour quelles raisons vous vous trouvez entraîné à parler beaucoup plus vite ou plus lentement que d’habitude ?, l’enseignant N a répondu de la manière suivante : La seule raison est que les élèves d’aujourd’hui ont perdu l’habitude de s’occuper à une langue étrangère surtout quand ils n’ont que six périodes par semaine […] (Annexe 3 question n° 7).

En 2005, il était conscient du rôle motivant de sa voix :

« C’est à la voix d’être douce, de porter le message et de le transmettre. Elle peut de même changer pour parfois attirer l’attention soit pour aider les élèves à rester en contact avec l’enseignant. [Q. (7 : 20-26)] », mais aussi en vue de maîtriser la classe : « par sa voix, par le regard on peut aisément être maître de sa classe. [Q. (7 : 5-7)]. C’est ensuite un agir non verbal (regard, déplacement, gestes), verbal et attitudinal90.

Le mouvement de l’enseignant N vers ses apprenants s’est traduit ainsi par un changement de conduites verbales (parler moins ou plus que d’habitudes), vocal (parler plus lentement, ou plus rapidement, plus haut ou plus bas, accentuer, focaliser), adopter des stratégies qui ont pour objectif primordial celui de ramener les apprenants vers lui-même, les

90 Revoir la partie précédente pp. 271-280.

- J’ai commencé alors à travailler sur ce que je dois être en classe et à l’extérieur aussi [Q. (7 : 7-9)]

attirer vers ce qu’il dit. C’est donc un agir contraint mais conscient qui a un but didactique essentiel celui de motiver, c’est « un agir provoqué » pour « agir sur ».

De cette manière le rapport maître/disciple a changé dans la mesure où le « Maître » avec un grand « M » comme position hiérarchique devient plus un « maître » avec un petit

« m » par un mouvement de l’enseignant vers l’apprenant, donc par une « modestie » de position imposée par le champ. Ainsi, le rapport maître/disciple dans la forme, devient dans le fond, une relation d’aide, une adaptation à chaque situation d’enseignement, un regard tourné vers soi en tant qu’enseignant (au niveau de rôle social), en tant que sauveur (au niveau de l’aide à offrir aux apprenants « faibles du point de vu linguistique) et en tant que séducteur-affectif (au niveau de l’affection et de l’attirance que l’enseignant tient à montrer aux apprenants). Il a réalisé l’importance du travail sur lui-même, sur son profil d’enseignant, sur l’image de soi qu’il devrait montrer à ses apprenants afin de faire face aux influences extérieures Il s’agit donc d’une conscience « imposée » par le champ de la classe), par une situation donnée (programme inadapté et public non motivé), par une position non souhaitée (être non respecté, non écouté), une conscience qui demande de lui – pour maintenir sa position de dominant - de « faire plus » qu’il le faisait auparavant..

C’est cette « modestie » imposée par le contexte de la classe (public, programme, manuel) qui, enfin, rend la mission didactique plus exigeante du côté de l’enseignant qui se voit contraint de s’adapter à chaque situation, et beaucoup moins exigeante du côté de l’apprenant. Dès lors, « lutter » pour garder la position de « dominant » ne se comprend pas selon l’exercice du pouvoir « sans tolérance » (le pouvoir d’être enseignant), mais selon un agir particulier ayant pour but celui de parvenir à motiver ses apprenants. Agir pour motiver est le seul moyen qui allait « sauver » la position de l’enseignant N en tant qu’enseignant de français plus aimé que respecté ou plutôt en tant qu’enseignant de français respecté plus parce qu’il est aimé que parce qu’il est « enseignant ».

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