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1. La perception déclarée et non déclarée de la voix dans la période scolaire

1.3 L’influence de la voix du professeur mémorisé

1.3.1 La voix de l’enseignant : source d’admiration ou de haine

Dans quelle mesure les enseignants cibles ont été sensibles à la voix de leur professeur ? La voix du professeur mémorisé est évoquée par trois enseignants cibles avec une réaction différente de chacun :

C elle avait une belle voix je ne la quittais pas des yeux quand elle lisait [entretien : 8]

J je me souviens de sa voix théâtrale avec des mimiques qui attirent l’attention et éveillent mon admiration [Q. (5 :1-2)]

E

la voix de mon prof au complémentaire était une voix qui me faisait horreur vraiment c’était c’était une voix tellement tellement AGRESSIVE je je la voyais

[entretien : 66-68]

Tableau 10 : la perception de la voix du professeur mémorisé dans la période scolaire.

Source d’admiration et d’attirance pour C (belle voix) et J (voix théâtrale), la voix du professeur mémorisé s’avère pour l’enseignant E une source d’ « horreur » (voix agressive).

Nous pouvons dire que la voix en tant que source d’influence positive a été déclarée par C et J alors que celle comme source d’influence négative a été déclarée par E.

Il est à noter que la voix de l’enseignant E tremblait en parlant de la voix de son professeur mémorisé, c’est comme s’il revit et ressent au présent de l’entretien l’ « horreur » de cette voix64. Le rythme de ses paroles et l’accentuation du mot « AGRESSIVE » dénotent l’influence psychique négative qu’il a reçue dans cette période.

64 Que la voix soit mentionnée comme source d’influence nous est un indice important à ne pas négliger.

B. Lahire (2001 :133) a réfléchi sur le « transfert analytique » au cours d’un entretien, où l’individu réactualise le passé et où la situation d’entretien est comme un cadre social particulier dans lequel « une partie de « la mémoire » de l’enquêté (de ses expériences, de ses pratiques […]) va pouvoir s’actualiser » :

On retrouve dans les réflexions psychanalytiques autour de la question du « transfert analytique » des remarques congruentes sur la manière dont la mémoire et l’action sont déclenchées, permettant aux situations passées (conflictuelles et souvent refoulées) de se reproduire, d’être rejouées (action) ou d’être ré-évoquées (mémoire), par transfert analogique, dans le cadre de la psychanalyste/patient (Laplanche et Pontalis, 1990, et Bakhtine, 1980). La structure spécifique de ce rapport constitue donc le cadre qui va provoquer le « réveil », la réactualisation des expériences passées, sédimentées […] l’on voit bien ici que le rapport passé-présent n’est pas simplement déductif, le présent « sortant » naturellement, purement et simplement du passé. (2001 :132)

Nous pouvons dire que l’enseignant E a réactualisé le passé, ce qu’il a ressenti à l’écoute de la voix de son enseignant dans la période scolaire à travers une voix perturbée, révélant la peur.

Mais ce qui est remarquable est le fait que la voix ait été un obstacle pour E qui n’a pas pu établir une « bonne » relation avec son professeur, d’une part il s’agit d’une voix

« agressive » et qui « fait horreur » et d’autre part, il s’agit d’un « mauvais prof » (entretien : 8). La voix du professeur a donné ainsi une image de lui : si elle est perçue comme une belle voix, le professeur sera considéré comme un « bon professeur » et vice-versa.

1.3.2 La voix professorale : un facteur influent non déclaré

Que seulement trois enseignants cibles C, J, E mettent en relief leur attitude vis-à-vis de la voix de leur professeur mémorisé nous permet de constater que la perception de la voix d’un enseignant quelconque ne passe pas généralement par la conscience des apprenants, ou bien qu’elle n’est pas saisie en tant que facteur influençant direct permettant l’attachement ou non au « personnage » du prof. Son influence s’avère plutôt indirecte ou minime sauf quand elle est remarquablement distinguée comme celle du professeur mémorisée de C : « elle avait une belle voix je la quittais pas des yeux quand elle lisait», ou celle de l’enseignant mémorisé par J : « une voix théâtrale » ou comme celle de l’enseignant mémorisé de E « faisait horreur, agressive ».

Si la voix de l’enseignant en classe fait partie de son « image » projetée, et si elle n’est pas saisie directement comme source d’influence sur les manières de parler de l’apprenant,

elle peut, par contre, être intégrée dans le répertoire tonal de dernier sous forme de « schèmes de manière de parler ».

C’est pour ce fait que B. Lahire (2001) souligne le fait que la théorie de l’habitus et de l’incorporation de schèmes de perception ou d’action n’a pas été prouvée empiriquement puisqu’il reste au niveau de l’inconscient.

Cependant, si l’apprenant garde inconsciemment des représentations de la manière de parler en tant qu’enseignant de français, il ne va pas nécessairement savoir utiliser sa voix au début de la pratique son métier.

En se rappelant des facteurs influents du professeur mémorisé sur leur rapport à la langue étrangère, les enseignants ont évoqué plutôt des éléments généraux en rapport avec l’attitude et le comportement et la manière d’expliquer.

La voix de leur professeur peut être considérée comme une source d’influence indirecte car non déclarée.

L’apprenant ne saisit pas consciemment les phénomènes de la variation de l’intonation, et de la hauteur de la voix – que ce soit en classe ou en dehors de la classe en tant que facteurs susceptibles d’agir sur son comportement vocal quand il sera enseignant de la langue. Il perçoit plutôt l’effet affectif de la voix, ce qu’il ressent à l’écoute de la voix : une tendresse, un amour, une haine, une agressivité, une pitié, un pouvoir, un idéal etc.

Selon E. Lhote, la matière sonore que revêt la parole émise, constituée par le timbre et le ton de la voix, les accents et le rythme, semble intimement liée à la sensation auditive qu’elle provoque, au sentiment qu’elle suscite et à la conception qu’elle permet de former.

D’une manière générale, « la parole change de nature en quittant son auteur » et devient «un signal acoustique » (E. Lhote 1990 : 22).

Dans le cas où c’est le professeur qui parle le plus en langue étrangère en classe, c'est-à-dire quand les outils audiovisuels, comme les bandes sonores, les émissions télévisées, les chansons françaises etc., ne sont pas exploités par le prof, ou bien ne sont pas à sa disposition, la perception auditive de la langue étrangère dans la période scolaire se restreint à celle de la voix de son professeur. A ce stade, ce dernier devient la source unique de la production orale de la langue étrangère en classe. Sa manière de parler le français sera jugée et évaluée par l’apprenant et contribuera à former le « répertoire tonal » de ce dernier - répertoire tonal propre au métier d’enseignement de la langue en question - et plus encore elle participera en quelque sorte à constituer le « modèle tonal » sur lequel il s’appuiera dans ses positions ultérieures quand il va choisir son métier et quand il va pratiquer son métier.

L’influence du personnage du prof, de son image et de sa présence en classe (soit par son physique, soit par sa voix, soit par son attitude et comportement, soit par son style d’enseignement, soit par sa tenue) paraît très importante (seize enseignants l’ont mentionnée).

Ceci nous amène à réfléchir sur la manière dont un enseignant doit se présenter en classe, comment il se présentera lui-même à ses apprenants en classe de langue étrangère sur tous ces plans déjà cités, de même sur le fait que l’image du futur enseignant devra être étudiée et prise en compte dans la formation des enseignants.

Ainsi nous pouvons dire qu’il s’agit, pour les enseignants cibles, en même temps d’expérience personnelle puisque chacun a subi différemment l’influence de son enseignant mémorisé et d’une expérience collective dans la mesure où presque tous (16/17) ont été influencés dans la période scolaire par le personnage d’un enseignant particulier, certains par son attitude et comportement, d’autres par sa manière d’enseigner, et d’autres encore par sa voix. Le nombre (16/17) des enseignants dénote que leur plus grand contact avec la langue française était à l’intérieur de la classe (à travers le professeur). Le contexte de la classe et le professeur s’avèrent deux éléments du passé susceptibles de former des représentations et des attitudes vis-à-vis des manières d’être enseignant de français langue étrangère.

En guise d’ouverture…

Les représentations des enseignants des facteurs influents dans la période scolaire qui sont en rapport avec la langue française ont fait découvrir que la perception de la voix n’est pas conscientisée en tant que facteur influent. Cependant, elles ont souligné la perception des voix distinguées qui restent en mémoire, et ce qui est mis en valeur c’est l’effet affectif de ces voix distinguées. Par conséquent tout enseignant pourra agir en classe par sa voix sur le plan affectif et psychique et donner une image de lui qui peut rester dans la mémoire des apprenants au cours du temps.

L’écoute de la langue étrangère dépend de sa présence dans le contexte fréquenté par chacun. Cette remarque a mis en relief le rôle de certaines écoles préconisant la parole en langue étrangère dans la cour, ainsi que celui de certaines familles dont un parent par exemple parle la langue :

[…] l’enfant (ou l’adulte) est amené à construire des habitudes, des dispositions, des savoirs et des savoir-faire dans des cadres socialement organisés, sans qu’il y ait eu véritablement « transmission » express (volontaire, intentionnelle) d’un savoir. (Bernard Lahire, 2001 : 307-308).

L’enseignant N fréquentant des frères et des sœurs dont la langue maternelle est le français semble conscient de cette influence indirecte de l’acquisition des savoirs parler en langue étrangère :

La vie à l’internat avec des frères français a facilité la communication et l’aisance de l’expression [Q. (4 : 10-11)].

Mais la classe de langue est le contexte où l’apprenant écoute la langue française de façon systématique à partir de la voix de son professeur. Il est fort probable que l’apprenant acquiert des manières de parler ou des schèmes de manière de parler en tant qu’enseignant dans le lieu classe. Un enseignant ne parle pas en langue étrangère de la même manière que le fait un présentateur à la télévision par exemple. Les allongements des syllabes, les durées instables, les insistances multiples sont des savoir-parler en tant qu’enseignant et qui ne peuvent pas être acquis en dehors du contexte appelé (classe : enseignant/apprenants).

L’attitude positive envers la langue apprise est en quelque sorte en rapport avec la manière dont le professeur mémorisé la parle en classe. La perception de la voix n’était pas évoquée de manière consciente par les enseignants, donc nous ne pouvons pas prouver théoriquement que la voix d’un professeur mémorisé influe sur l’attachement à la langue et sur la manière de la parler en tant qu’enseignant.

Comme les enseignants ont remémoré des caractéristiques propres aux attitudes et aux comportements de leur professeur mémorisé, nous pouvons dire que le fait d’écouter la langue étrangère dans le lieu-classe est susceptible de construire des représentations, des répertoires, des modèles de référence concernant la manière d’être enseignant de la langue cible et agir sur le choix d’enseigner la langue ultérieurement.

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