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3. Définitions des notions en rapport avec les facteurs du passé

3.2 Les autres notions corrélatives à la notion de représentation

3.2.1 La notion d’habitus

P. Bourdieu a développé la notion pour rendre compte de l’intégration des codes sociaux par les individus, il le définit comme étant le produit des conditionnements qui tend à reproduire « la logique objective » des conditionnements mais en lui faisant subir une transformation :

" C’est une espèce de machine transformatrice qui fait que nous "reproduisons" les conditions sociales de notre propre production, mais d'une façon relativement imprévisible, d'une façon telle qu'on ne peut pas passer simplement et mécaniquement de la connaissance des conditions de production à la connaissance des produits » (1980 : 134).

Le caractère non conscient de l'habitus est donc un des traits fondamentaux du concept,

et permet par suite de comprendre les raisons pour lesquelles l’individu se comporte d’une certaine manière. Les définitions successives de la notion d’habitus données par P. Bourdieu éclaircissent ce point de vue :

- « […] un système de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c'est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs des pratiques et des représentations » (1980 :88)

- « […] un système de schèmes acquis fonctionnant à l’état pratique comme catégories de perception et d’appréciation ou comme principes de classement en même temps que comme principes organisateurs de l’action » (1987 :24) - « […] des systèmes durables et transposables de schèmes24 de perception,

d’appréciation et d’action qui résultent de l’institution du social dans le corps (ou dans les individus biologiques » (1992 :102)

24 Comme le rappelle Ph. Perrenoud (1994), un schème est « […] la structure de l’action - mentale ou matérielle -, l’invariant, le canevas qui se conserve d’une situation singulière à une autre, et s’investit, avec plus ou moins d’ajustement, dans des situations analogues. » (p.46)

Par ces définitions nous pouvons comprendre que l'habitus a pour caractéristiques d'être "durable", "transposable" et "exhaustif": « durable » en tant que la structure structurée de l'habitus produit des effets structurants à long terme dans les actes, les pensées, les sentiments et les perceptions du sujet. « Transposable » au sens où l'habitus va agir dans toute structure sociale qui présente une certaine homologie avec les structures originaires qui ont conduit à la formation inconsciente de l'habitus. « Exhaustif » dans la mesure où l’habitus ne saurait laisser un « résidu » qui n’entrerait pas dans sa logique interne.

L. Porcher (1995 :39) considère que l’identité sociale et personnelle de l’individu est caractérisée par l’habitus « pour une part hérité, et pour une autre part, appuyé sur l’héritage, acquis par lui-même ». Son usage est non conscient. En d’autres termes, l’habitus, sur lequel tout individu s’appuie de manière non consciente, est une sorte de programme inscrit dans chacun, construit à partir de son éducation et par son expérience biographique. Ainsi, nous pouvons dire que l’habitus participe dans une certaine mesure à tous les choix et les actes de la vie de chacun, il intervient aussi dans l’apprentissage de la langue étrangère dans le choix du métier d’enseignement de la langue, et dans les comportements et les interactions verbales en classe de langue. L’habitus intervient donc dans le processus d’enseignement et d’apprentissage25 de la langue étrangère. Ce qui laisse une interrogation sur le degré d’intervention de l’habitus dans la constitution des manières d’être d’un enseignant quelconque. La question des comportements et des attitudes peut-elle trouver sa réponse dans la notion d’habitus ? B. Lahire qui considère l’individu dans sa pluralité selon les contextes qu’il fréquente au cours de sa vie estime qu’

[…] on ne peut réduire les acteurs à leur habitus de champ dans la mesure où leurs expériences sociales débordent celles qu’ils peuvent vivre dans le cadre d’un champ (surtout lorsqu’ils sont hors champ). (2001 : 58)

Cette conception nous oriente dans l’analyse vers la prise en compte de ce qu’un enseignant/apprenant peut incorporer en dehors de la classe de langue (dans la cours de l’école, dans la famille, à partir des chansons, des médias, des rencontres etc.) à propos des manières de parler des représentations de la langue.

Mais puisque l’habitus est présent de manière inconsciente chez tout individu, ce que les discours des enseignants peuvent laisser apparaître se situe au niveau de la mémoire, du souvenir conscient. Nous pouvons analyser plus les modèles et les répertoires connus par les enseignants cibles que l’habitus incorporé.

25 Voir également sur ce point L. Porcher, (1995 :39) ou encore J.-P. Cuq (dir.) (2003 :121).

3.2.2 La notion de répertoire didactique et de répertoire tonal

Répertoire désigne généralement et concrètement des outils servant à classer et organiser des informations ou n’importe quels éléments. Par là, la notion requiert plusieurs synonymes : « barème, bordereau, carnet, index, registre, sommaire »26 etc. Cependant il peut être aussi conçu comme un outil abstrait (comme « la mémoire »27 d’un individu par exemple) où peuvent se classer ou se garder des informations ou des « savoirs » et des « savoir-faire » différents, et desquels l’individu se sert, (en se souvenant) de ces informations, dans une situation donnée.

Le souvenir semble un élément essentiel dans la définition de la notion et lui donne un caractère conscient dans la mesure où le souvenir est une activité consciente de la mémoire de l’individu. Cependant connaître comment et quels facteurs ont fait que des éléments du

« passé » sont gardés dans la mémoire de l’individu demandera une recherche plus profonde surtout quand il s’agit de parler du répertoire didactique de l’enseignant de français langue étrangère.

Avec F. Cicurel (2002 :157) la notion de répertoire acquiert des caractéristiques plus précises dans le domaine de la didactique :

« On fait l’hypothèse que l’enseignant, pour accomplir sa tâche dispose d’un certain répertoire, qui se constitue progressivement. Le répertoire didactique serait un ensemble hétéroclite de modèles, de savoirs, des situations sur lesquels un enseignant s’appuie. Ce répertoire se constitue au fil des rencontres avec divers modèles (un professeur que l’on a connu, par exemple), par la formation académique et pédagogique, par l’expérience d’enseignement, qui elle-même modifie le répertoire. Lorsqu’il s’agit de l’apprentissage d’une langue, c’est le répertoire verbal tout entier qui peut constituer une des ressources didactiques ».

La constitution progressive du répertoire didactique, comme l’a évoquée F. Cicurel, en inférant qu’au cours des périodes et en interaction avec la manière d’enseigner dans les espaces (la classe et l’extérieur de la classe), le répertoire didactique progresse « en volume » répertoire didactique de l’enseignant « effectif » dans la période de la pratique du métier est plus étendu que celui qu’il avait dans les périodes précédentes.

L. Cadet (2004) considère que le répertoire didactique « renvoie à l’ensemble des savoirs et des savoir-faire pédagogiques dont dispose l’enseignant pour transmettre la langue

26 http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/repertoire/.

27 http://www.cnrtl.fr/synonymie/répertoire.

cible à un public donné » lesquels savoirs et savoir-faire sont forgés à partir de « modèles de références socioculturelles […] et scolaires intériorisés acquis par expérience, observation et/ou par imitation […] ».

L’importance que nous accordons à la notion de répertoire didactique revient à son rôle qu’il peut jouer dans la constitution de la trajectoire professionnelle de l’enseignant de FLE.

C. Germain (1990) parle d’un ensemble d’activités qui fait partie du répertoire didactique de l’enseignant:

« Un des concepts clés de l’analyse de l’enseignement pourrait bien être le concept de répertoire (par exemple : le débat, la discussion, la résolution de problèmes). Il semble bien que les activités didactiques utilisées par un enseignant fassent partie d’un répertoire dont l’étendue varie en fonction de sa formation et de son expérience. (pp.77-78)

Il s’agit d’un stock d’activités pédagogiques dans laquelle l’enseignant puise afin d’élaborer son cours ou pour l’adapter en fonction des imprévus de la classe. C. Germain introduit en outre la notion de répertoires- au pluriel - qui constituent l’ensemble du répertoire didactique de l’enseignant.

« […] il semble permis de croire que l’enseignant ne dispose pas seulement d’un répertoire d’activité, mais aussi de tout un ensemble de répertoires : par exemple, un répertoire de techniques de correction de l’erreur, un répertoire de modes d’organisation de la classe, un répertoire de techniques ou d’auxiliaires didactiques, et cætera. (ibidem)

Nous nous demandons à ce stade si un enseignant pratiquant le métier ne dispose pas d’un répertoire de style vocal (manière vocale de s’adresser aux apprenants : intonation, rythme etc.), acquis par contact avec des modèles d’enseignants de français durant sa vie scolaire et académique antérieure. L’usage de l’intensité de la voix par exemple (comme l’on a évoqué dans la première partie) est intégré dans les habitudes de manières de parler selon les contextes.

Cet usage peut être intégré dans le répertoire tonal de l’enseignant sous forme de

« schèmes de manière de parler » :

De même que l’on parle de « répertoire verbal » (Gumperz 1972, 1982)28 d’un acteur social, de même peut-on constater qu’il possède un répertoire tonal » qui lui permet de signaler ses différents rôles en jouant sur tous ses registres et styles de voix lors d’une rencontre. (G.-D. De Salins, 2000 : 272).

28 J. Gumperz, (1982), Language and social identity, Cambrige, CUP.

Que l’enseignant construise son répertoire tonal au fur et à mesure de son contact avec des modèles scolaires et/ou socioculturels divers, cela revient à dire qu’en étudiant le répertoire didactique, nous pouvons distinguer des traits « partagés-spécifiques » d’une communauté - et des « traits spécifiques » 29 qui tiennent essentiellement au profil individuel de chaque enseignant (expérience personnelle, représentations socioculturelles, facteurs affectifs et psychologiques…).

3.2.3 La notion de modèle

La définition générale de la notion de modèle telle qu’elle apparaît dans le petit Robert (juin 2000) est : « ce qui sert ou doit servir d’objet d’imitation pour faire ou reproduire quelque chose ». Elle est aussi définie sous une entrée « psychopédagogique » dans le dictionnaire du Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines (L.-M. Morfaux, 1980) comme étant une :

« Référence par rapport à laquelle le Moi dans son processus de développement se rend inconsciemment semblable à elle, ce développement se faisant par identifications successives à des modèles, dont chacun est dépassé par le stade ultérieur (personne de l’entourage, héros historiques ou héros imaginaires de récits, de films, de bandes dessinées, etc.) au terme de ce processus, le Moi se forge un modèle ou idéal à réaliser dans l’avenir par rapport auquel il se situe et se juge dans le présent. » (p. 220)

Ces deux définitions permettent de caractériser comment la notion de « modèle » entre dans la construction de la représentation sur la langue étrangère et son enseignement chez les enseignants.

Ainsi, nous pensons que l’enseignant qui choisit son métier et celui qui le pratique se basent dans leurs choix d’actions et de comportements en classe et en dehors de la classe, sur des modèles de références socioculturels et scolaires intériorisés au cours du temps. En effet, parmi ces modèles, il y a ceux qui nous intéressent et qui sont en rapport avec la langue étrangère perçue comme langue parlée et comme langue enseignée au cours du temps. De telle façon, ces modèles intériorisés dépendent dans une certaine mesure du rôle et de la considération qu’une société donnée assigne à une langue étrangère et à la profession d’enseigner à un moment donné. A ce stade, nous nous demandons quel statut le cadre socioculturel des enseignants cibles et celui de la classe de langue accordent-ils à la langue française dans des périodes cruciales de la vie des enseignants cibles ?

29 Les notions sont empruntées à J. Gumperz (1971 :152 et 1989 :116).

Si les modèles de références scolaires (en classe) sont construits « individuellement », ils sont par contre issus du fonctionnement du système scolaire, des personnes et des pédagogies auxquelles l’enseignant a été exposé durant sa vie d’apprenant.

Si, dans le domaine de l’enseignement et d’apprentissage des langues, l’apprenant est le plus exposé à la langue étrangère - comme matière enseignée et comme langue perçue - dans le lieu classe, comment subit-il les influences de ce cadre ? Dans quelle mesure les enseignants cibles (interrogés dans le corpus) avaient-ils comme « modèle type » à imiter en exerçant leur métier, le style d’enseigner d’un enseignant de français langue étrangère qui les a marqués dans une période de leur vie scolaire et académique?

Outre l’acquisition de la manière de parler dans les situations sociales différentes30, la voix écoutée participe à la formation des représentations particulières, elle « revêt l’impact du groupe de référence, du « modèle-idéal » auquel on souhaite s’identifier consciemment ou non. »31 .

Le fait qu’un contexte social extérieur à la classe de langue ne provoque pas la diffusion de la manière d’enseigner au même degré que le fait la classe de langue. Cette double position dans l’espace semble être le point de départ à l’élaboration de représentations sur la langue, sur le métier et sur la manière d’enseigner la langue, lesquelles représentations sont ainsi susceptibles de générer des modèles socioculturels et scolaires particuliers.

3.2.4 La notion d’attitude

La relation qui relie l’attitude aux représentations sociales est soulignée par J.-M. Seca évoquant l’existence d’une relation « allant de l’instable au permanent […] entre les opinions, les attitudes, les stéréotypes et les représentations sociales ». (2001 : 28). Nous allons revoir quelques définitions de la notion d’attitude afin de déterminer l’essence de cette relation.

La définition donnée par le dictionnaire permet de comprendre le sens de la notion selon deux façons: d’une part, l’attitude c’est la « situation, la position du corps […] et l’attitude qui exprime des sentiments ou des passions ».32 D’autre part, dans la 6ème édition du même dictionnaire, l’attitude veut dire « la situation dans laquelle on se trouve, on se maintient à l'égard de quelqu'un, des résolutions, des dispositions où l'on paraît être. » (p. 1 :127). De là l’existence de deux aspects déterminant les positions attitudinales d’un individu en général :

30 Comment parler, quelle tonalité, débit, rythme, intonation prendre quand on parle, à un proche, à un supérieur hiérarchique, à un ami, etc.

31 Voir G.-D. de Salins (2000), p. 270.

32 Dictionnaire de l’Académie française 5ème édition p. 97.

un aspect situationnel interactionnel (position selon la situation où l’individu se trouve), et un autre affectif (les sentiments que l’individu éprouve).

D’ailleurs en sciences sociales la notion est développée et acquiert d’autres dimensions.

J.-M. Seca rapproche la notion d’attitude de celles de caractère, de personnalité et de soi quand l’attitude est stable et reliée avec les valeurs et les croyances. Alors qu’elle s’en écarte par ce qu’il appelle « ses possibles évolutions et par les influences qu’elle subit (provenant du contexte, des acteurs, de facteurs liés à la source d’une activité persuasive, aux conditions d’élaboration et de transmission des messages et aux interactions diverses) » (2001 : 29).

Trois composantes la décrivent : l’affectivité, la cognition et l’action (conduite potentielle ou intention).

Selon Rosenberg (1960) – ayant un point de vue psychosocial – dans toute attitude réside un aspect évaluatif central. Toute attitude comporte trois composantes : la première est cognitive décrivant l’opinion du sujet sur l'objet d'attitude, évoquant des associations d'idées que cet objet provoque, rapport que le sujet perçoit entre l'objet et ses valeurs personnelles. La deuxième est affective comprenant des affects, des sentiments, des états d'humeurs que l'objet suscite. La troisième est conative, elle consiste en une disposition à agir de façon favorable ou défavorable vis-à-vis de l'objet.

Ainsi nous pouvons comprendre l'attitude comme étant une disposition interne durable qui sous-tend les réponses favorables ou défavorables de l'individu à un objet dans l’espace social qui l’entoure.

L’apprentissage d’une langue comme activité cognitive, ne pourra s’effectuer qu’à partir d’un certain rapport et d’une certaine attitude à la langue et aux facteurs qui la produisent, bref en interaction avec le milieu socioculturel.

On ne peut pas diviser entre la cognition, l’attitude et les rapports sociaux. Selon J.-M.

Seca (2001 : 33) : « opposer l’individu (psychologie) et la société (sociologie) n’a pas de sens théorique pertinent. ».

Ainsi, pour étudier l’attitude de l’enseignant face à la langue – comme langue et comme matière enseignée, nous devons tenir compte du cadre socioculturel où il se trouve. En d’autres termes, une connaissance de « la place » ou du statut de la langue dans une société donnée (dans notre cas c’est le Liban-Sud), et aussi une connaissance de « la place » et du statut de l’enseignant de FLE en général dans la même société, permettra de mieux voir les raisons de la genèse d’une telle ou telle attitude face à la langue.

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