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1. La communication en classe et la voix de l’enseignant de langue étrangère

1.2 La perception du contexte didactique et les intentions de communication

1.2.1 L’humeur de l’enseignant, ses intentions et le phénomène de l’accentuation

E. Lhote fait remarquer qu’un enseignant ému ou en colère aura tendance à « faire apparaître la proéminence99 accentuelle sur la syllabe initiale de chaque segment de la phrase qu’il prononce » (1987 :49). Elle donne l’exemple suivant :

Nous demanderons au directeur une augmentation.

A la perception de ces groupes rythmiques, l’apprenant pourrait donc croire qu’ils font partie du système rythmique de la langue française.

Ce qui reste à dire, c’est qu’une méconnaissance des invariantes rythmiques et intonatifs en français laisse apparaître dans le comportement vocal de l’enseignant des interférences rythmiques et intonatives propre à sa langue maternelle100.

La difficulté de profiter du système tonal de la langue étrangère dans l’échange verbal fait penser – si nous considérons que la communication verbale est essentiellement une communication sociale – à la présence d’autres indices en rapport avec le contexte, avec la situation même de l’échange et de l’interaction verbale à l’intérieur de la classe. De telle manière, les intentions communicatives de l’enseignant seront plus ou moins connues rituellement par ses interlocuteurs selon le contexte social où ils se trouvent à l’intérieur ou à l’extérieur de la classe.

99 Selon C. Astézano (2001), « les proéminences se réfèrent à tout élément mis en valeur dans son contexte par les moyens tonals, intensifs et temporels ». (p.23).

100 Ces interférences pourraient déterminer, voire identifier la nationalité de l'enseignant non natif qu’il s’agisse d’un espagnol, d'un anglais ou d'un libanais qui parle français, c’est dans ce sens que Goffmann (1975) présente la voix comme étant l’un des premiers signes porteurs d’informations sociales, un « porte d’identité sociale ».

Goffman, E. (1975), Stigmate, les usages sociaux des handicaps (trad), Paris : Minuit.

Mais le profil vocal de l’enseignant de FLE est en partie déterminé par la nature de l’intention communicative toute particulière qu’il a quand il se trouve en classe, et qui se révèle à travers le ton et le rythme se sa voix. La voix de l’enseignant fait partie des indices explicitant ses intentions communicatives.

Le rôle de l’enseignant le contraint à être la plupart des temps conscient du déroulement du cours, des réactions des apprenants, puisque c’est lui qui dirige la séance.

La communication verbale à l’intérieur de la classe sera, dans une certaine mesure, engagée selon cette perspective.

On ne peut certes pas conduire toute sa vie sur le mode du calcul rationnel ou de la visée intentionnelle, mais dans une vie (ou dans le cadre d’une trajectoire individuelle) jamais entièrement maîtrisable, prévisible, planifiable, etc., les acteurs peuvent parfois développer des intentions, des plans, des projets, des stratégies, des calculs plus ou moins rationnels, dans tel ou tel domaine, à l’occasion de telle ou telle pratique. Les remarques critiques sur l’intentionnalité et le calcul conscient valent donc pour un type particulier d’action, à une échelle particulière de construction des contextes d’action, à une échelle particulière de construction des contextes d’action, mais non de manière universelle. (B.

Lahire, 2001 : 267-268 )

Mais les intentions de communication dépendent de chaque enseignant, de sa volonté de s’investir ou non par sa voix, et de sa perception de la situation où il distingue la nécessité d’adopter tel ou tel indice vocal. L’enseignant entend ce qu’il dit (feed-back) et observe en même temps les réactions des apprenants, leur motivation à un moment du déroulement de l’activité ainsi que de l’enchaînement de l’interaction verbale avec ses apprenants. La volonté de l’enseignant de s’investir fait qu’il réagit vocalement afin de réaliser les objectifs didactiques. La production vocale de l’enseignant dépend ainsi de la manière dont il perçoit la situation et de ses intentions de communication (permanentes et instantanées).

La position de l’enseignant dans le contexte de la classe changera ses manières de parler qu’il adopte normalement quand il est en dehors de la classe. Sa perception de la fonction didactique qu’il a à accomplir est liée en partie à des facteurs appartenant au passé principalement l’héritage socioculturel et la formation à l’enseignement. Il suffit de l’écouter parler dans les deux milieux (à l’intérieur et à l’extérieur de la classe) pour saisir la différence de l’émission de sa voix.

Bien que l’espace de la classe soit considéré comme un espace social inclus dans le milieu socioculturel l’extérieur de la classe, il lui est particulier et distinct suite à plusieurs éléments appartenant essentiellement au type de la communication verbale engagée.

Outre que la différence de langue utilisée (maternelle en dehors de classe et étrangère en classe), et la différence de rôles et de position (enseignant-apprenant à l’intérieur de la classe/

(individus sociaux ordinaires à l’extérieur de la classe), c’est la nature de l’intention communicative en cours (faire apprendre) qui fera la principale différence et les tâches qui s’y associent : faire parler, faire comprendre, attirer l’attention etc. Les paramètres de l’intonation d’un individu varient selon le type de la communication verbale en cours.

Dans la mesure où les interactants d’une communication verbale partagent la même culture, et appartiennent au même contexte socio-culturel, l’accomplissement des tâches communicatives ne devra pas poser de problème car l’intention communicative sera connue et partagée par les interactants, à travers les trois types d’éléments cités ci-dessus et dont nous retenons pour le moment le troisième qui se rapporte aux « différentes façons de parler, comme l’intonation et le rythme de la parole. Partager une même culture, donc des mêmes habitudes vocales (socialement ritualisée) évitera les risques de malentendus qui pourront survenir entre les partenaires d’un échange verbal suite à un indice mal interprété.

En effet, « la portée de ces indices dans la communication » dépend selon J.-J. Gumperz de « la conscience tacite qu’en ont les participants […] ». Lorsqu’un interlocuteur ne réagit pas à un indice, ou ignore sa fonction, les interprétations peuvent différer et les malentendus surgir », et par suite un faux jugement sera porté à l’intention communicative de celui qui parle.

Cependant, l’intention de faire parler dépend de chaque enseignant et de son degré de souci envers ses apprenants. I. Fonagy explique aussi comment la prosodie des mots prononcés reflète une attitude particulière, un sentiment quelconque chez le locuteur. Il donne l’exemple du mot « enfin » :

Même séquence de phonèmes //101 sera prononcée de différentes manières pour exprimer différentes attitudes et suggérer des situations différentes […] ces précisions, qui font de la phrase « enfin » quatre énoncés concrets distincts sont surtout dues aux modulations prosodiques de la séquence // (ibid. p.11).

101 Il s’agit du mot « enfin » écrit en alphabet phonétique internationale (API).

Ainsi quand l’accent frappe la première syllabe / /, cette séquence exprime soit un soulagement, soit une réprobation énergique, mais quand l’accent frappe la deuxième syllabe / /, elle exprime soit une hésitation soit une réserve. Ainsi donc un même mot, une même séquence de phonèmes a différents sens selon l’intonation exprimant le sentiment ou l’intention du locuteur.102 Les sentiments de l’enseignant joueront donc un rôle dans la modulation de son rythme vocal et son intonation à l’intérieur de la classe suivant ce qu’il éprouve dans la classe. Cette modulation pourrait s’effectuer d’une manière volontaire, suivant son intention, étant conscient de l’effet de sa voix sur les apprenants ou au contraire d’une manière involontaire.

La perception du contexte inclue celle du nombre des apprenants, de leur qualité (niveau cognitif, motivation, âge, besoin etc.), et du degré de la difficulté de la leçon par rapport au niveau des apprenants. C’est cette perception première qui conduit un enseignant à avoir des intentions de communication particulières (faire entendre, faire apprendre, faire parler etc.) qui conduisent à adopter tel ou tel indice vocal, selon chaque situation.

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