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2 Porosité de l'effet relatif des contrats au sein des chaînes de contrats

93.L'effet relatif, décalque contractuel de l'autonomie de la volonté. Théoriquement, un contrat ne lie que les parties qui l'ont signé, en vertu de l'article 1199 du code civil : « le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l'exécution du contrat ni se voir contraints de l'exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV ». Le principe est ainsi que chaque contrat est un système clos qui se suffit à lui- même, qu'il est indifférent aux contrats qui peuvent être conclus parallèlement à lui, fût-ce en même temps et entre les mêmes personnes612. Les tiers ne sont donc pas concernés par les effets de cet acte

juridique, comme nous l'indique l'adage « Res inter alios acta alliis neque prodesse neque nocere potest »613. Le principe de l'effet relatif des contrats se situe dans le droit fil du principe de

l'autonomie de la volonté. Les parties sont souveraines, mais ne le sont que sur elles-mêmes. Respectueux de la liberté individuelle, le code civil considère que chacun doit s'occuper de ses propres affaires, non de celles d'autrui614. L'effet relatif615 qu'exprime l'article 1199 du code civil est,

avec la liberté contractuelle et la force obligatoire du contrat, le troisième corollaire du principe

610 CJCE, 17 juin 1992, aff. C-26/91, Jakob Handte .

CJUE, 7 févr. 2013, aff. C-543/10, Refcomp Spa / Axa Corporate Solutions Assurances SA et Axa France IARD et

Emerson Network et Climaveneta SpA.

611 MOUSSERON (J.-M.), RAYNARD (J.), SEUBE (J.-B.), Technique contractuelle, Broché, 2010, p.687. 612 CARBONNIER (J), Droit civil, les biens, les obligations, op cit, p. 2107.

613 Ce qui a été fait entre certaines personnes ne nuit ni ne profite aux autres 614 BOY (L.), L'effet relatif des conventions, 2006.

V. www.laurenceboy.blogspot.fr

615 GOUNOT (E.), Le principe de l'autonomie de la volonté en droit privé : contribution à l'étude critique de

d'autonomie de la volonté616. Le principe d'autonomie de la volonté est une théorie de philosophie

juridique, suivant laquelle la volonté humaine est à elle-même sa propre loi, se crée sa propre obligation. Ainsi, si l'homme est obligé par un acte juridique, spécialement par un contrat, c'est parce qu'il l'a voulu. La vie juridique a pour principe le contrat, qui a lui-même pour principe la volonté individuelle617. La version européenne du principe de l'autonomie de la volonté est le

principe d'autonomie contractuelle, qui est consacré à l'article 2 du code européen des contrats, qui dispose que « les parties peuvent librement déterminer le contenu du contrat, dans les limites imposées par les règles impératives, les bonnes mœurs et l'ordre public, comme elles sont fixées dans le droit européen ou dans les lois nationales des États-membres de l'Union européenne, pourvu que par là même les parties pas uniquement le but de nuire à autrui ». De la philosophie de l'autonomie de la volonté découle le principe de liberté contractuelle. Les sujets de droit sont libres de déterminer leurs obligations, et donc de ne pas être liés par le contenu de contrats qu'ils n'auraient pas choisi. La doctrine invoque également l'injustice comme justification à l'application de l'effet relatif des contrats. Chacun ne pouvant contracter que pour soi, les obligations ne doivent avoir d'effet que dans le cercle des parties contractantes et de ceux qui les représentent. Il serait injuste qu'un acte auquel une tierce personne n'a point concouru pût lui être opposé618. Au delà, la

jurisprudence estime que les conventions n'engagent point ceux qui n'y ont pas stipulé, et ne peuvent leur nuire. Les créanciers peuvent même attaquer les actes de leur débiteur qui se trouveraient faits en fraude de leurs droits619. Plus globalement, les contrats sont opposables aux

tiers, et sont alors considérés comme des faits, dont il faut tenir compte. Les contrats peuvent également être invoqués par les tiers. La Cour de cassation réunie en assemblée plénière a néanmoins remis en cause le caractère apparemment immuable de l'effet relatif des contrats en permettant à un tiers à un contrat d'invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel qui lui aurait causé un dommage, provoquant par la suite la résistance620

d'autres chambres de la cour régulatrice621.

616 GHESTIN (J.), JAMIN (C.), BILLIAU (M.), Traité de droit civil, LGDJ, 2001, p. 715. 617 CARBONNIER (J.), Droit civil, les biens, les obligations, op cit, p. 1945.

618 LOCRÉ (J.-G.), Législation civile, commerciale ou criminelle, Tome sixième, 1836, p.157. 619 Cass. Ass. Plén., 6 oct. 2006, 05-13.255, Bulletin 2006, Ass. Plén. N°9, p.23.

V. www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/avis_9475.html

620 MAZEAUD (D.), Le régime de l'action en responsabilité extracontractuelle du tiers victime : la résistance se

précise, Gaz. Pal. n°24, Lextenso, 2017, p.14 et s/.

Dans un arrêt de principe rendu en 2006, l'assemblée plénière de la Cour de cassation affirme qu'un tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce dernier lui a causé un dommage, ce qui entraîna l'opposition d'une majorité de la doctrine, voyant cela comme une atteinte à l'effet relatif du contrat. Selon les opposants à cette brèche dans l'effet relatif des contrats, permettre à un tiers de se fonder sur le manquement contractuel du débiteur lui permet d'obtenir par équivalent l'exécution d'un contrat auquel il n'est pas partie, dans des conditions plus favorables qu'un créancier contractuel, puisque le débiteur devra intégralement réparer son préjudice et qu'il ne pourra pas opposer au tiers les clauses de son contrat .

94.L'effet translatif, limite contractuelle à l'effet relatif. Le contrat est donc un vecteur de liberté. D'autres courants doctrinaux le considèrent au contraire comme un facteur d'isolement dans une société ouverte qui ne correspondrait pas aux réalités de nos sociétés modernes, fourmillant d'interactions diverses et variées622. La répartition moderne des opérations économiques de

production, de transformation ou de distribution multiplie, notamment au sein des chaînes alimentaires, les intervenants et donc le nombre de contrats. Le principe de la relativité des contrats conduit alors à traiter ces différents intervenants, qu'il s'agisse de responsabilité ou de paiement du prix, comme des tiers les uns par rapport aux autres, alors qu'il est cependant difficile de faire complètement abstraction de ce que l'ensemble des contrats conclus l'a été en vue de la réalisation d'une même opération économique et qu'une certaine solidarité ne peut manquer d'exister entre les divers participants623. La jurisprudence et le législateur ont procédé à des aménagements. Au plan

des exceptions d'origine légale, les cas de maintien d'un contrat au profit ou à la charge d'un acquéreur à titre particulier sont fréquents624. Ainsi, l'article L 122-12 du code du travail impose à

l'acquéreur d'une société de respecter les contrats de travail en cours625. Dans le cadre de la vente

d'un immeuble, ses acquéreurs successifs peuvent agir contre le constructeur, sur le fondement de la garantie décennale, qui suit l'immeuble considéré comme accessoire626. De la même manière, en

matière agricole, l'article 10 de la loi du 16 juillet 1964 sur le régime contractuel en agriculture indique que l'acquéreur d'une entreprise agricole doit respecter l'accord interprofessionnel et les contrats conclus en vertu de cet accord, auquel était partie le vendeur. La loi octroie plus globalement au contractant une action directe à l'ayant cause de son contractant, avec lequel elle n'a pas contracté. L'article 1798 du code civil627 met par ailleurs en place une action directe au bénéfice

des ouvriers employés à la construction d'un bâtiment pour recouvrir leurs salaires vis à vis du

Hydraxium.

La Cour régulatrice estime qu'un simple manquement contractuel d'un débiteur n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité contractuelle à l'égard d'un tiers.

622 LALOU (H.), 1382 contre 1165 ou la responsabilité délictuelle des tiers à l’égard d’un contractant ou d’un

contractant à l’égard des tiers, D.H. 1928, chron., P 69.

623 GHESTIN (J.), JAMIN (C.), BILLIAU (M.), Traité de droit civil, LGDJ, 2001, p.720. 624 Il s'agit des contrats intuiti rei, c'est à dire des contrats qui suivent la chose.

625 C. trav. Art. L.122-12.

La cessation de l'entreprise, sauf cas de force majeure, ne libère pas l'employeur de l'obligation de respecter le délai- congé et de verser, s'il y a lieu, l'indemnité prévue à l'article L.122-9.

S'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

626 C. civ., Art. 1615.

L'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.

627 C. civ., Art. 1798.

Les maçons, charpentiers et autres ouvriers qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise, n'ont d'action contre celui pour lequel les ouvrages ont été faits, que jusqu'à concurrence de ce dont il se trouve débiteur envers l'entrepreneur, au moment où leur action est intentée.

maître de l'ouvrage dans l'hypothèse où leur employeur ne les paierait pas. L'action en garantie des vices cachés de l'article 1641 du code civil628 permet à un sous-acquéreur de faire remonter son

action contre le vendeur initial. Cette jurisprudence, régulièrement confirmée629, néanmoins bornée

par le contenu du contrat initial630, lie donc entre eux, et malgré eux, l'ensemble des contractants

successifs d'une chaîne de contrats translative de propriété, un sous-acquéreur pouvant enclencher l'action en garantie des vices cachés contre le vendeur initial, et contre n'importe lequel des vendeurs intermédiaires631. Le principe est donc ici que la garantie se transmet avec la chose. Cette

transmission crée une unité entre les différents contrats concernés, lien qui se retrouve dans la nature de la responsabilité qui lie les différents partenaires contractuels successifs. Après avoir laissé le choix entre responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle au sous-acquéreur pour agir contre le vendeur initial, les tribunaux ont fait évoluer les possibilités en matière de responsabilité ouvertes aux co-contractants d'une chaîne de contrats homogène en estimant que la responsabilité du vendeur originaire était forcément contractuelle632. Cette solution est retenue

depuis 1979 par la Cour de cassation au sein de l'arrêt Lamborghini, dans lequel la Haute juridiction dispose que « l'action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice caché affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle »633. Les contractants successifs d'une chaîne de contrats

bénéficient d'une action contractuelle directe que peuvent exercer l'un contre l'autre les extrêmes, pourtant tiers au sens étroit de l'article 1199 du code civil634. Un créancier reçoit ainsi le pouvoir

d'agir contre le débiteur de son débiteur, non plus par représentation de celui-ci, mais en son nom personnel. L'action directe est par certains côtés dépendante de celle qui appartenait au premier débiteur contre le second, puisque le créancier ne pourra réclamer au second débiteur plus que 628 C. civ., Art. 1641.

Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

629 Cass. 1ere civ., 6 févr. 2013, 11-25.864, non publié.

630 Cass. 1ere civ., 3 nov. 2016, 15-18.340, non publié, M. Et Mme X c/ Sté Elektroclima.

631 HOUTCIEFF (D.), Panorama de jurisprudence de droit des contrats, L'action en garantie transmise par la chaîne

de contrats, Gaz. Pal. n°15, Lextenso, 2017, p.41-42.

Selon la Cour de cassation, la clause d'exclusion de garantie des vices cachés est opposable au sous-acquéreur qui exerce l'action qui appartient au vendeur intermédiaire. La protection du sous-acquéreur profane est ici opposée à la prévision contractuelle du vendeur initial.

Autrement dit, la clause d'exclusion de garantie du contrat initial suit la chose sur laquelle il porte, la garantie étant ici une obligation propter rem, liée à la chose.

Cass. 3e civ., 16 nov. 2005, 04-10.824, Bulletin 2005, III n°222, p.204, Cass. com., 22 mai 2002, 99-11.113., Bulletin 2002, I n°108, p.84

C'est le contrat initial qui est discriminant. Ainsi, une clause de non garantie opposable par un vendeur intermédiaire à l'acquéreur final ne s'oppose par à l'action directe de ce dernier contre le vendeur initial, comme a pu le préciser la Cour de cassation.

632 Cass. Ass. Plénière, 7 févr. 1986, 84-15.189, Bulletin 1986, A.p. N°2, p.2.

633 Cass. 3e civ., 9 oct. 1979, 78-12.502, Bulletin des arrêts Cour de cassation Chambre civile 1, n°241, Lamborgini. 634 AYNÈS (L.), MALAURIE (P.), STOFFEL-MUNCK (P.), Les obligations, Lextenso, 2011, p.438.

celui-ci ne devait au premier. Elle en est, à d'autres égards, indépendante car les exceptions qui auraient paralysé l'action du premier débiteur contre le second ne sont pas opposables au créancier635. Initialement retenue en matière d'action en garantie des vices cachés de l'acheteur,

l'action contractuelle directe s'est par la suite élargie à l'action fondée sur le manquement du vendeur à son obligation de délivrance636. Les chaînes de contrats agroalimentaires étant par nature

homogènes, car rassemblant une succession de contrats de vente, l'action directe y trouverait application. Au sein d'une chaîne de contrats dite hétérogène, l'action directe ne se transmet pas, comme l'a précisé la Cour de cassation avec l'arrêt Besse637, rendant étanches les maillons de la

chaîne suivant la fin de la translation de la propriété. Le maître de l'ouvrage dans cette configuration devient propriétaire de la chose transformée non par l'effet du contrat originaire mais par celui de l'accession. Il acquiert alors un droit nouveau, pur de toute charge, mais aussi dépouillé de toute prérogative accessoire car la chose initiale vecteur de l'action contractuelle a disparu avec le changement de nature contractuelle638. L'aliment circulant au sein d'une chaîne de contrats

homogène et translative de propriété a donc un effet d'unification des opérateurs économiques présents sur la food supply chain. A l'effet relatif succède ici l'effet translatif, et il convient d'analyser les effets de cette translation en termes de responsabilité.

B L'insuffisante adaptation des mécanismes classiques de responsabilité à

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