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138.L'importance de l'interprétation. L'articulation entre le droit de la concurrence et la PAC n'est du reste pas des plus aisées870. Un ensemble de dérogations spécifiques à certains produits crée

une approche parcellaire des règles de concurrence aux différentes filières agroalimentaires871, à

rebours de ce que semblent demander les pouvoirs publics français aux pouvoirs publics européens872. La réglementation est de plus sujette à interprétation, comme l'indique une importante

divergence d'interprétation entre l'AC et la cour d'appel de Paris, qui a intégralement réformé la décision n°12-D-08 du 6 mars 2012 dans laquelle avaient été sanctionnés des producteurs et organisations professionnelles du secteur des endives, pour entente tombant sous le coup des articles 101 paragraphe 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce873. Pour l'AC874, les règles du

droit de la concurrence s'appliquent au secteur agricole, sous réserve des dérogations qui sont d'interprétation stricte, prévues par le R. OCM. Pour la cour d'appel875, « les règles de concurrence relatives notamment aux accords, décisions et pratiques visés à l'article 101 du TFUE ainsi que les règles de concurrence prévues par l'article L 420-1 du code de commerce ne s'appliquent à la 869 TPICE, 13 déc. 2006, T-217/03, confirmé par CJCE, 18 déc. 2008, aff. C-101/07.

TPICE, 13 déc. 2006, T-245/03, confirmé par CJCE, 18 déc. 2008, aff. C-110/07.

Selon une jurisprudence constante, la notion d'entreprise comprend, dans le contexte du droit de la concurrence, toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Or, l'activité des producteurs agricoles présente certainement un caractère économique. Les exploitants agricoles constituent, par conséquent, des entreprises au sens de l'article 81 [devenu 101], paragraphe 1, CE.

870 SERSIRON (L.), TRAVADE (R.), Fixation des prix dans les filières agricoles : le droit de la concurrence en

campagne, RLC n°62, 2017, p.36 et s/.

871 SERSIRON (L.), TRAVADE (R.), Fixation des prix dans les filières agricoles : le droit de la concurrence en

campagne, ibid, p.38.

Ainsi, concernant l'huile d'olive, la viande bovine et les produits de grande culture, les ventes conjointes sont possibles pour les producteurs agricoles, en deçà de certaines volumes. Certaines appellations, dans la filière du fromage, peuvent s'accorder sur les quantités, ce qui est aussi possible pour les producteurs de jambon ou encore pour les producteurs de sucre concernant certains éléments de la formation du prix.

872 Réponse de la représentation Permanente de la France, 10 avril 2015, à la consultation sur le projet de lignes

directrices relatives à la vente conjointe d'huile d'olive, de produits de l'élevage bovin et de certaines grandes cultures.

Les autorités françaises demandent à la Commission de prolonger ce travail par des lignes directrices générales sur l'application des règles de concurrence à l'agriculture (...). De façon générale, les opérateurs interrogent régulièrement les autorités françaises sur les pratiques qu'ils peuvent mettre en œuvre sans porter atteinte au respect du droit de la concurrence. Ils se demandent notamment ce que recouvrent les notions de ”pratiquer un prix déterminé” et de ”concurrence exclue” mentionnées à l'article 209, paragraphe 1, 3eme alinéa de l'OCM.

873 Lettre d'information distribution - concurrence n° 85, Cabinet Fidal, 2014.

874 AC, 6 mars 2012, 12-D-08, Décision relative à des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le secteur

des produits de la commercialisation des endives.

production et au commerce des produits agricoles, secteur dont la spécificité est expressément reconnue, que dans la mesure où leur application ne met pas en péril la réalisation des objectifs de la PAC et n'entrave pas le fonctionnement des organisations nationales des marchés agricoles dont les mécanismes de régulations sont (...) dérogatoires au droit commun de la concurrence ». En l'espèce, des producteurs d'endives s'étaient regroupés, notamment pour maintenir un prix à la vente commun pour l'ensemble des variétés d'endives concernées et pour mettre en place un système d'échanges d'informations. À ce même cas d'espèce, l'AC et la cour d'appel de Paris ont appliqué deux visions opposées des rapports entre le droit de la concurrence et l'agriculture. Si l'AC a pu condamner ce regroupement de producteurs d'endives, la cour d'appel de Paris a estimé que le grief d'entente complexe et continue imputée aux producteurs d'endives et à plusieurs de leurs organisations professionnelles ne pouvait être retenu876. La CJUE a ensuite tranché la question, sur

questions préjudicielles de la Cour de cassation877. L'AC intervient de plus en plus fréquemment

dans le secteur agricole878. Ainsi des avis ont été rendus sur le fonctionnement de la filières fruits et

légumes et de la filière lait en 2008879 et en 2009880. Plus récemment en 2011 l'Autorité s'est

exprimée quant aux modalités de négociation des contrats dans les filières de l'élevage881. Dans cet

avis, l'Autorité a précisé que pour qu'une clause de lissage de prix évite la qualification d'entente horizontale, chaque entreprise doit fixer ses prix librement en tenant compte chacune de son coût de revient et de sa situation individuelle sur le marché. Les organisations professionnelles ne doivent diffuser aucun prix ni aucune variable de référence, ni aucune grille tarifaire fixant des indices de prix de vente relatifs par rapport à un produit de base. L'AC se prononce également dans le secteur de la dinde882 au sujet de contrats-cadre fixant les relations entre organisations de production et

transformateurs, qui comportait ici une clause sur le prix d'achat des volailles à l'organisation de production. La même politique est rappelée et les clauses de révision de prix sont licites à la condition qu'elles ne soient pas le support de pratiques anticoncurrentielles. La fixation des prix ne doit pas être centralisée mais au contraire rester libre pour chaque producteur. L'AC est ainsi active dans le secteur agricole comme dans n'importe quel autre secteur d'activité. La sévérité de l'Autorité 876 V. GRALL (J.-C.), JOUVET (P.), Cartel des endives : la Cour d'appel annule la décision de l'Autorité du 6 mars

2012 !, Droit des marchés et des stratégies commerciales, 2014.

V. www.droitdesmarches.com/Cartel-des-endives-la-Cour-d-appel-annule-la-decision-de-l-Autorite-du-6-mars- 2012-_a88.html

877 CJUE, 14 nov. 2017, aff. C-671/15, Assoc. Producteurs vendeurs d'endives (APVE) et al.

878 V. BUISSON (J.-R.), CHAMPALAUNE (C.), GRALL (J.-C.), les cadres juridiques : loi de modernisation de

l'agriculture et de la pêche, organisation commune des marchés, pratiques anticoncurrentielles, Ateliers DGCCRF

Ateliers de la DGCCRF, Agriculture et concurrence, 26 septembre 2011 au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

879 Conseil de la concurrence, 7 mai 2008, 08-A-07, Avis relatif à l'organisation économique de la filière fruits et

légumes.

880 AC, 2 oct. 2009, 09-A-48 , Avis relatif au fonctionnement du secteur laitier.

881 AC, 12 juill. 2011, 11-A-11, Avis relatif aux modalités de négociation des contrats dans les filières de l'élevage. 882 AC, 27 juill. 2011, 11-A-12, Avis relatif à un accord interprofessionnel dans le secteur de la dinde.

est marquée883 et peut faire regretter qu'elle ne fasse pas preuve de plus de mansuétude en recourant

à des injonctions de structure, ou en s'écartant de l'application stricte du droit de la concurrence pour des circonstances particulières ou des raisons d'intérêt général. Si la volonté de l'AC d'exclure tout pratique illicite du monde agricole est légitime, en tant qu'autorité de régulation, la manière dont elle s'y prend peut apparaître critiquable. On peut regretter une application aussi stricte du droit de la concurrence à un secteur en grande difficulté et on peut également regretter un manque de pédagogie à l'égard des producteurs agricoles et de leur coopératives884.

139.Fragilisation du droit alimentaire. Ces dernières années, les pouvoirs publics se sont désengagés des marchés agricoles, mais rien n'a été installé à la place. Ce secteur est ainsi entré dans le droit général de la concurrence885. L'AC précise que le droit de la concurrence est un droit

souple qui permet ainsi de prendre en compte les spécificités du secteur agricole, caractérisé par le fait que les produits agricoles sont peu stockables et périssables, qu'ils sont soumis aux aléas climatiques et aux cycles de production, que la production est atomisée entre une multitude de producteurs agricoles et que les prix des matières premières sont volatils886. Cette lecture de l'AC

n'est pas unanimement partagée, loin s'en faut. Loin d'une primauté de la PAC sur le droit de la concurrence, c'est ce dernier qui bat la mesure de la confrontation de l'agriculture et du marché887,

les objectifs de la PAC s'arrêtent devant l'application pure et simple des article 101 TFUE888 et les

entorses de la PAC à la politique de concurrence sont de plus en plus rares et de plus en plus contrôlées. Le mouvement jurisprudentiel est clair, la concurrence prend le dessus889. Le règlement

n° 1184/2006, en énonçant l'application de principe de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles, transforme l'agriculture en une activité économique quelconque, soumise à la même loi de l'offre et de la demande que les autres890. En ne

prenant pas assez en compte les spécificités du secteur agricole, le droit de la concurrence fragilise 883 V. GIVRY (L.) GUILBERT (P.), Billet d'humeur : le secteur agricole à l'épreuve du droit de la concurrence, un

sujet de campagne ?, Lamy droit des affaires n° 71, 2012.

884 V. GRALL (J.-C.), DUCROS (C.), Agriculture et concurrence : alignement, adaptation, confrontation ou

consensus : un débat permanent !, Grall & Associés, la lettre du cabinet, 2013.

885 GIVRY (L.), GUIBERT (P.), Billet d'humeur : le secteur agricole à l'épreuve du droit de la concurrence, un sujet de

campagne ?, op cit, p.7.

886 AC, Fiche 1 : Comment concilier les spécificités du monde agricole avec le droit de la concurrence ?, 2012.

V. www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/fiche1_agri.pdf

887 RIEM (F.), La confrontation de l'agriculture et du marché : les aspects contractuels, In La production et la

commercialisation des denrées alimentaires et le droit du marché, Lamy, 2009, p.2.

888 V. COURIVAUD (H.), La PAC est-elle soluble dans la concurrence ? lecture critique de la décision 'Viande bovine

française', Contrats Concurrence Consommation, 2005, étude n°1.

889 Sénat, Rapport n°214 sur la politique agricole commune et le droit de la concurrence, 2013, p.17.

890 V. COLLART DUTILLEUL (F.), Vers une révolution juridique de l'agriculture ?, Publication du groupe de

recherche Lascaux, 2006. V. www.programmelascaux.eu

la réalisation du droit à l'alimentation891. Ainsi dans la décision Viande bovine française892, Il a été

considéré, au niveau européen, que les mesures prises par le ministère de l'agriculture, notamment la suspension temporaire d'importations et l'application d'une grille de prix d'achat minima de la viande bovine par les abatteurs,une violation des principes de libre circulation des marchandises et de liberté des prix alors même que le secteur traversait une grave crise sanitaire et économique893.

Les règles du droit de la concurrence connaissent donc une application de plus en plus stricte dans le secteur agricole, maillon amont de la food supply chain, qui présente des phénomènes de déséquilibre structurel.

891 V. DEL CONT (C.), Une nouvelle articulation entre concurrence et agriculture pour renforcer la sécurité

alimentaire et le droit à l'alimentation en Europe, In COLLART DUTILLEUL (F.). Penser une démocratie alimentaire, Volume I, Inida, 2013.

892 Commission européenne, Communication n°101/06 du 13 décembre 2006.

TPI, 2 avril 2003, Aff. Jointes T-217/03 & T-245/03.

893 V. DEBROUX (M.), Politique agricole et droit de la concurrence : une moisson à risque. Les raisons d'une

Paragraphe 2 Déséquilibre structurel des filières agroalimentaires

140.Les contractants avérés et potentiels des chaînes de contrats agroalimentaires ne sont pas dans les faits répartis de manière relativement équilibrée de l'amont à l'aval. Leur agencement est inégal (A). La prééminence des règles de la politique de la concurrence synthétise cet état de fait, en produisant des effets remarquables (B).

A Répartition inégale des opérateurs économiques sur les filières

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