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1 Amenuisement progressif de l'exception agricole

136.Premières remises en cause de la singularité agricole et rigueur de la jurisprudence. Si la PAC vise à considérer les caractéristiques propres au secteur agricole, il est tout de même apparu nécessaire dès 1962 de préciser l'applicabilité des règles de concurrence aux activités de production et de commercialisation de produits agricoles830. Le régime particulier de l'agriculture se limitait

alors à quelques exceptions en matière d'ententes pour écarter l'application de l'article 101 du TFUE. Trois grandes catégories d'accords sont concernées. Il s'agit des accords qui s'intègrent à une organisation nationale de marché, des accords nécessaires à la réalisation des objectifs de la PAC et des accords conclus entre associations de producteurs et les associations de producteurs qui s'intègrent à une organisation commune de marché831. A partir des années 1990 et du retrait de

l'intervention des pouvoirs publics, le rapport entre la PAC et la politique de la concurrence change. Comme le rappelle la CJCE dans l'arrêt Milk Marque and National Farmers Union832, « le maintien d'une concurrence effective sur les marchés des produits agricoles fait partie des objectifs de la politique agricole commune et de l'organisation commune des marchés en cause ». La Cour rappelle dans cet arrêt que les organisations communes de marché ne sont pas un espace sans concurrence, et qu'il convient de faire prévaloir les règles de concurrence autant que possible et qu'il convenait de faire prévaloir l'application des règles de concurrence dans le secteur agricole chaque fois que possible833. Plus loin l'existence d'une OCM ne prive pas les autorités nationales de

concurrence du pouvoir d'appliquer leur droit national. Cette ligne de conduite est relativement constante. Ainsi le TUE a pu rappeler par la suite que le maintien d'une concurrence effective dans 830 GRANSARD (N.), LE THIEIS (E.), Régulation concurrentielle du secteur agricole : entre surveillance et

bienveillance de l'Autorité de la concurrence, la vigilance indispensable des acteurs du secteur, RDR, Lexis Nexis

n°432, 2015, p.8.

831 Ou OCM.

832 CJCE, 9 sept. 2003, aff. C-137/00.

le secteur agricole faisait partie des objectifs de la PAC834. En apparence, les produits agricoles font

l'objet d'un traitement particulier au regard du droit de la concurrence, conformément à l'article 42 du TFUE. Or, le règlement d'application prévoit précisément dans son article 1er que le droit de la concurrence s'applique en matière agricole avec des exceptions strictement encadrées835. L'article

42 du TFUE836 annonce que les règles de concurrence ne sont applicables à la production et au

commerce de produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Parlement européen et le Conseil compte tenu des objectifs de l'article 39 TFUE selon la procédure législative ordinaire prévue par l'article 43 du TFUE. Les dispositions relatives à la concurrence présentes dans les OCM exemptent ces activités de l'application du droit de la concurrence dans des conditions strictes. Les mesures aboutissant à la fixation des prix, les distorsions de concurrence non nécessaires à la satisfaction des objectifs de la PAC ou encore les accords de cloisonnement des marchés sont interdits. La jurisprudence de la CJUE rappelle ces principes. Ainsi en 1974 dans l'affaire Frubo837,

la Cour approuve la Commission pour avoir sanctionné un accord d’exclusivité d'approvisionnement en fruits et légumes aux Pays Bas. Estimant que cet accord n'était pas indispensable pour assurer la productivité de l'agriculture ou pour assurer un niveau de vie équitable pour la population agricole, et que la dérogation ne pouvait être appliquée que si tous les objectifs de la PAC étaient favorisés, la Cour a approuvé la sanction de la Commission838. Cette obligation de

respecter des conditions cumulatives, mais parfois conflictuelles839 apparaît étonnante. Plus

récemment en 2005840, le Conseil de la concurrence a pu rappeler que la mise en place de clauses de

fixation de prix, de répartition des débouchés et de restriction de l'accès au marché ne pouvaient satisfaire les objectifs de concentration et d'organisation de l'offre de l'OCM du secteur des fruits et légumes. Tous les observateurs relèvent que le primat concurrentiel s'est imposé. Le débat sur l'éventuelle primauté d'une politique sur une autre a clairement tourné à l'avantage de la politique de concurrence841. Ainsi, si initialement le droit de la concurrence n'était qu'un banal système de règles 834 TUE, 3 févr. 2011, T 33/05, Compania espanola de tabaco en rama, SA (Cetarsa) contre Commission européenne. 835 V. BAILLY (G.) EMORINE (J.-P.), Filière laitière : à la recherche d'une nouvelle régulation, rapport d'information

n°73 (2009-2010) - 30 octobre 2009.

836 TFUE, art. 42.

Les dispositions du chapitre relatif aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Parlement européen et le Conseil dans le cadre des dispositions et conformément à la procédure prévues à l'article 43, paragraphe 2, compte tenu des objectifs énoncés à l'article 39.

837 CJCE, 15 mai 1975, aff.71/74, Frubo c/ Commission.

838 V. RIEM (F.), La confrontation de l'agriculture et du marché : les aspects contractuels, In La production et la

commercialisation des denrées alimentaires et le droit du marché, éditions Lamy, 2009.

839 V. DEBROUX (M.), Politique agricole et droit de la concurrence : une moisson à risque. Les raisons d'une

cohabitation orageuse, Concurrences n°4, Agriculture et concurrence, 2008.

840 Conseil de la concurrence, 15 mars 2005, 05-D-10, Décision relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché

du chou fleur de Bretagne.

permettant un contrôle des prix, de la concurrence déloyale ou encore des pratiques restrictives de concurrence organisé en vue de la régulation des marchés842, il a fini par irriguer l'ensemble de

l'économie et de la société et l'esprit de concurrence843, voire la culture de la concurrence, sont

devenus omniprésents et ont profondément évolué844.

137.Le règlement (UE) n° 1308/2013 Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne

du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et les exceptions en matière d'ententes845. Le R. OCM actualise les règles en matière d'exception

agricole. Avant cela, l'application de la PAC remettait en cause l'exception agricole. Le règlement n° 26/62 portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles a renversé la philosophie de l'article 42846, et les textes ultérieurs, le règlement

(CE) n° 1184/2006 et le règlement (CE) n° 1234/2007847, ont maintenu cette logique à

l'identique848. Le règlement n° 1184/2006849, qui succède en 2006 au règlement n° 26/62, ne connaît

pas de changement de sa disposition principale. Le processus de réforme de la PAC entrepris depuis 2003 et qui a conduit à l'adoption du règlement n° 1234/2007 portant organisation commune des marchés unique ne laisse plus guère subsister que des systèmes d'intervention légers850. L'article

176 de ce règlement prévoit trois exceptions agricoles spécifiques851, qui concernent exclusivement 842 DEPINCÉ (M.), MAINGUY (D.), RESPAUD (J.-L.), Droit de la concurrence, Lexis Nexis, 2010, p.40.

843 SERSIRON (L.), TRAVADE (R.), Fixation des prix dans les filières agricoles : le droit de la concurrence en

campagne, RLC n°62, 2017, p.34 et s/.

844 DEPINCÉ (M.), MAINGUY (D.), RESPAUD (J.-L.), Droit de la concurrence, ibid, p.40. 845 Ou R. OCM.

846 DEL CONT (C.), Une nouvelle articulation entre concurrence et agriculture pour renforcer la sécurité alimentaire

et le droit à l'alimentation en Europe, In COLLART DUTILLEUL (F.). Penser une démocratie alimentaire, Volume

I, Inida, 2013, p.337.

847 R. (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune de marché dans le secteur

agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur, JOCE n° L 299 du 16 novembre 2007, p. 1.

848 DEL CONT (C.), Une nouvelle articulation entre concurrence et agriculture pour renforcer la sécurité alimentaire

et le droit à l’alimentation en Europe. op cit, p.338.

849 R. (CE) n° 1184/2006 du Conseil du 24 juillet 2006 portant application de certaines règles de concurrence à la

production et au commerce des produits agricoles, JOCE n° L 214 du 4 août 2006, p. 7-9.

850 GADBIN (D.), La confrontation de l'agriculture et du marché : les aspects concurrentiels, La production et la

commercialisation des denrées alimentaires et le droit du marché, Lamy, 2009, p.105.

Autrement dénommés filets de sécurité.

851 Trois exceptions agricoles transversales existent alors, complétées par une exception agricole sectorielle. La

première exception agricole transversale porte sur les organisations nationales de marché, auxquelles se sont substituées les organisations communes de marché. La deuxième exception agricole transversale concerne les accords qui sont nécessaires à l'application des objectifs de la PAC, définis à TFUE, art. 39. La troisième exception agricole transversale s'applique à certains accords conclus entre exploitants agricoles, et tend à favoriser le développement des coopératives agricoles, notamment en autorisant des clauses statutaires qui prima facie seraient restrictives de concurrence, comme par exemple des clauses d'obligations d'approvisionnement ou d'achat exclusif. La quatrième exception agricole, sectorielle, a été ajoutée, par le R. (CE) n°361/2008 du Conseil du 14 avril 2008 modifiant le règlement (CE) n°1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur, JOCE n° L 121 du 7 mai 2008, p.1, qui a inséré l'article 176 au R. (CE) n°1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune de marché

l'article 101 du TFUE, et aucunement les comportements relevant de l'article 102 du TFUE. Ces critères confirment que l'essentiel du droit de la concurrence est préservé dans les régimes dérogatoires spécifiques au secteur agricole852. Le R. OCM abroge plusieurs règlements853 et

réaffirme alors l'application du droit de la concurrence aux produits agricoles et notamment des règles relatives au contrôle de ententes854, tout en créant encore un champ d'exceptions. Les règles

de concurrence ne trouvent effectivement pas à s'appliquer aux accords, décisions et pratiques nécessaires à la réalisation des objectifs de la PAC de l'article 39 du TFUE, aux accords, décisions et pratiques concertées des exploitants agricoles, associations d'exploitants agricoles ou associations de ces associations ou des OP reconnues ou des AOP dans la mesure où ils concernent le production ou la vente de produits agricoles ou l'utilisation d'installations communes de stockage, de traitement ou de transformation de produits agricoles855, et enfin aux accords, décisions et pratiques concertées

des organisations856 interprofessionnelles857 reconnues ayant pour objet l'exercice de certaines

activités858. Néanmoins les conditions de cette exception agricole sont drastiques859, puisqu'il est

alors nécessaire, concernant les OP, que les accords en question ne mettent pas en péril les dispositions de l'article 39 du TFUE860, qu'ils ne comportent pas une obligation de pratiquer un prix

dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur, JOUE n° L 299 du 16 novembre 2007, p.1., une exception concernant le secteur des fruits et légumes, dans lequel sont ainsi exemptées les accords et décisions qui permettent une meilleure coordination de la mise sur le marché des productions, l'élaboration de contrats type et la valorisation des produits en termes de qualité et de protection de l'environnement.

852 RIEM (F.), La confrontation de l'agriculture et du marché : les aspects contractuels, In La production et la

commercialisation des denrées alimentaires et le droit du marché, Lamy, 2009, p.97.

853 Précisément :

R. (CEE) n° 922/72 du Conseil du 2 mai 1972 fixant, pour la campagne d'élevage 1972/1973, les règles générales d'octroi de l'aide pour les vers à soie, JOCE n° L 100 du 27 avril 1972, p.1 ;

R. (CEE) n° 234/79 du Conseil du 5 février 1979, relatif à la procédure d'adaptation de la nomenclature du tarif douanier commun utilisé pour les produits agricoles, JOCE n° L 034 du 8 février 1979, p.2-3 ;

R. CE) n° 1037/2001 du Conseil du 22 mai 2001 autorisant l'offre et la livraison à la consommation humaine directe de certains vins importés susceptibles d'avoir fait l'objet de pratiques œnologiques non prévues par le R. (CE) n° 1493/1999, JOCE n° L 347 du 20 décembre 2013, p.608-670 ;

R.(CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune de marché dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur, JOCE n° L 299 du 16 novembre 2007, p.1.

854 R. OCM, art. 206. 855 R. OCM, art. 209. 856 Dites OI . 857 R. OCM, art. 210. 858 R. OCM, art. 157 par. 1 c.

Notamment l'amélioration des connaissances et de la transparence de la production et du marché, y compris en publiant des données statistiques agrégées relatives aux coûts de production, aux prix, accompagnés le cas échéant d'indicateurs de prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus, et en réalisant des analyses sur les perspectives d'évolution du marché au niveau régional, national ou international, la prévision du potentiel de production et la consignation des prix publics sur le marché, la contribution à une meilleure coordination de la mise sur le marché des produits, l'élaboration de certains contrats types et la fourniture d'informations et la réalisation de recherches.

859 SERSIRON (L.), TRAVADE (R.), Fixation des prix dans les filières agricoles : le droit de la concurrence en

campagne, RLC n°62, 2017, p.37.

déterminé et qu'ils n'excluent pas la concurrence861. Concernant les OI, les accords, décisions et

pratiques concertées doivent avoir été notifiés à la Commission européenne, par un mécanisme de stand still, obligeant l'OI à attendre la décision de la Commission européenne, et déclarés par celle- ci compatibles avec les règles de concurrence862. Les pouvoirs publics européens peuvent également

intervenir directement863 en autorisant, pour une période de 6 mois, renouvelable, notamment, le

retrait de marché ou la distribution gratuite de produits, l'action de promotions conjointes ou encore la planification temporaire de la production864. Réciproquement, certaines pratiques sont

directement prohibées, car considérées comme nuisant par nature au bon fonctionnement du marché865. En France précisément, l'AC contrôle les comportements des opérateurs économiques du

secteur agricole. Ainsi en a-t-il été concernant un cartel de meuniers français et allemands866

occasionnant une répartition des clients, des volumes et avec un accord sur les prix, pratiques sanctionnées par des sanctions dont l'amende la plus importante dépassait soixante millions d'euros. La diminution coordonnée des volumes d'abattage dans le but de faire baisser les prix sur le marché du porc, la diffusion de consignes de prix et la détermination d'un prix de vente minimum ont également été sanctionnées867. L'ensemble non exhaustif de ces éléments démontre que

l'encadrement de l'exception agricole est très strict868, et que l'activité agricole dans son rapport au

Le standard imposé par la jurisprudence est très élevé, puisque l'exception agricole n'est activée qu'en cas d'accomplissement cumulé de l'ensemble des objectifs de TFUE, art. 39.

861 SERSIRON (L.), TRAVADE (R.), Fixation des prix dans les filières agricoles : le droit de la concurrence en

campagne, op cit, p.38.

En droit interne de la concurrence, C. Com., art. L.420-4 dispose que certains accords ne sont pas soumis aux dispositions des C. Com., art. L.420-1 et L.420-2, après avis conforme de l'AC, sous la condition de réalisation d'un progrès technique.

Néanmoins, comme à l'échelon européen, cette disposition est d'interprétation stricte.

862 R. OCM, art. 210 para. 2.

Ces accords et pratiques concertées doivent faire l'objet d'une notification à la Commission européenne qui pourra déterminer leur compatibilité éventuelle avec la réglementation.

863 R. OCM, art. 222.

864 SERSIRON (L.), TRAVADE (R.), Fixation des prix dans les filières agricoles : le droit de la concurrence en

campagne, op cit, p.38.

Ce mécanisme n'a par exemple jamais été mis en œuvre, dans la filière laitière, en dépit de nombreuses crises.

865 R. OCM, art. 210 para. 4.

En ce qui concerne les accords et pratiques des organisations interprofessionnelles reconnues, le règlement « OCM unique » prévoit que ceux-ci sont incompatibles avec la réglementation de l'Union s'ils : - peuvent entraîner toute forme de cloisonnement des marchés à l'intérieur de l'Union ;

- peuvent nuire au bon fonctionnement de l'organisation des marchés ;

- peuvent créer des distorsions de concurrence qui ne sont pas indispensables pour atteindre les objectifs de la PAC poursuivis par l'organisation interprofessionnelle ;

- comportent la fixation de prix ou de quotas ;

- peuvent créer des discriminations ou éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits concernés.

866 AC, 13 mars 2012, 12-D-09, décision relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines

alimentaires.

867 AC, 13 févr. 2013, 13-D-03, décision relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du porc charcutier. 868 GRANSARD (N.), LE THIEIS (E.), Régulation concurrentielle du secteur agricole : entre surveillance et

bienveillance de l'Autorité de la concurrence, la vigilance indispensable des acteurs du secteur, RDR, Lexis Nexis

droit de la concurrence tend à se normaliser, comme invite à le penser la jurisprudence européenne869.

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