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b Augmentation de la concentration de l'amont à l'aval des chaînes de contrats agroalimentaires

145.Atomisation de l'amont agricole des chaînes de contrats agroalimentaires. Les producteurs agricoles sont atomisés et de dimension économique généralement modeste905, les transformateurs

moins nombreux et le marché de la grande distribution est très concentré906. En France, 450 000

exploitants agricoles et 10 000 sociétés du secteur de l'agroalimentaire font face à seulement six centrales d'achat, ce qui atteste de la formation d'un oligopole bilatéral entre l'amont et l'aval du canal907. La fragilisation des producteurs peut avoir pour conséquence une réduction de l'offre, donc

une hausse des prix dommageable pour les consommateurs, et la captation de valeur créée dans les 901 RASTOIN (J.-L.), Vers de nouveaux modèles d'organisation du système agroalimentaire ? Approches stratégiques,

INRA, 2006, p.4.

902 Dont les 4 premières concentrent près de 90 % des parts de marchés. 903 MAINGUY (D.), Dictionnaire de droit du marché, Ellipses, 2008, p.62.

904 V. CGAAER, Rapport n°11104, Mission sur l'organisation économique de la production agricole, 2012,

905 BONNY (S.), Les systèmes de production agricole dans la chaîne agroalimentaire : position et évolution, op cit,

p.97.

906 AC, 7 déc. 2010, 14-A-29, Avis relatif aux contrats d'affiliation de magasins indépendants et les modalités

d’acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire.

A titre d'exemple, la filière fruits et légumes comporterait environ 53 000 exploitations de fruits et légumes en 2010, qui écoulerait une grande part de leur production (près de 75 %) auprès des grandes et moyennes surfaces, qui sont très concentrées. En 2009, les six premiers groupes de grande distribution détenaient 85 % des parts de marché.

907 V. MEVEL (O.), Les relations entre le production et la distribution : le cas du partage de la valeur ajoutée dans la

filières par l'aval peut entraîner un déficit d'investissement dans la partie amont des filières908. Dans

cette configuration, les producteurs agricoles sont donc des prices takers ne disposant pas d'une capacité de négociation permettant de rééquilibrer la relation commerciale et de contrebalancer la puissance des acheteurs909. Confrontés à la puissance d'achat de l'industrie de transformation et de la

grande distribution, les agriculteur sont devenus les éléments faibles de la chaîne de contrats agroalimentaire910, autrement dit de simples fournisseurs de matières premières à bas prix, et ils ont

vu leur part régresser dans la food supply chain tandis que se développaient les secteurs aval de la transformation, de la commercialisation, du marketing et de la distribution911. Les producteurs

agricoles en France ont longtemps été isolés des mouvements de fonds de concentration en cours au sein d'autres pans de l'économie. Depuis des décennies, voire des siècles, les producteurs agricoles ont été tenus, écartés des marchés foncier, de l'emploi, de capitaux et des produits en profitant du statut du fermage, de l'action des sociétés d'aménagement foncier, et d'un droit de préemption. On s'est, par ailleurs, efforcé de toujours veiller à ce que leur dépendance relative économique à l'égard des industriels agroalimentaires ou des grosses coopératives en deviennent pas également juridique, à l'image du lien de subordination des salariés face à leur employeur. Les producteurs agricoles n'ont par ailleurs longtemps pas pu accéder aux marchés de capitaux, faute de disposer d'outils juridiques912 adaptés913. Une ouverture brutale de l'agriculture est opérée sur plusieurs plans,

puisque le marché foncier a été libéré avec l'assouplissement du statut du fermage914, le marché de

l'emploi a été ouvert en permettant aux producteurs agricoles de nouer des relations contractuelles 908 Séminaire Philippe Nasse, Concurrence et Agriculture, 4 septembre 2014, Ministère des finances et des comptes

publics.

909 DEL CONT (C.), Filières agroalimentaires et contrat : l'expérience française de contractualisation des relations

commerciales agricoles, Rivista di diritto alimentaire n° 4, 2012, p.2.

Les producteurs agricoles sont considérés comme étant des price takers, c'est-à-dire des partenaires contractuels ne pouvant qu'accepter un prix, et pas le négocier. En ce sens les producteurs agricoles sont les maillons faibles des chaînes de contrats agroalimentaires.

910 DEL CONT (C.),Une nouvelle articulation entre concurrence et agriculture pour renforcer la sécurité alimentaire

et le droit à l'alimentation en Europe, In COLLART DUTILLEUL (F.), Penser une démocratie alimentaire, Volume

1, Inida, 2013, p.340.

Les producteurs agricoles sont alors des price takers, ils prennent le prix proposé par leurs partenaires contractuels, sans pouvoir véritablement négocier, situation qui se cristallise de par la prohibition per se des accords sur les prix, et notamment l'interdiction des clauses de détermination des prix de cession communs.

911 BONNY (S.), Les systèmes de production agricole dans la chaîne agroalimentaire : position et évolution, op cit,

p.95.

912 BOSSE-PLATIÈRE (H.), COLLARD (F.), GRIMONPREZ (B.), TAURAN (T.), TRAVELY (B.), Droit rural, Lexis

Nexis, 2013, p.39 et s/.

Comme le fonds agricole, bien meuble incorporel créé par la L. d'orientation agricole du 5 janvier 2006, qui permet aux producteurs agricoles, à l'image du fonds de commerce pour les commerçants, de bénéficier d'une entité permettant de soumettre à un régime juridique homogène une partie importante des biens qui composent leur exploitation.

913 COLLART DUTILLEUL (F.), Propos liminaires In La production et la commercialisation des denrées alimentaires

et le droit du marché, Journées Louis Lorvellec, 3 et 4 décembre 2009,In Revue Lamy du droit de la concurrence n°

25, 2010, p.96-97.

nouvelles915, avec les distributeurs notamment, et par la confrontation brutale des produits agricoles

aux produits agroalimentaires et par la réduction progressive des subventions agricoles, le marché des produits a été ouvert. Cette révolution de l'environnement juridique agricole, brutale et globale, n'a donc pas été sans provoquer des dommages collatéraux916, d'autant que les règles de concurrence

peuvent poursuivre d'autres finalités telles que de pures visions darwiniennes néolibérales et ainsi pousser à la disparition des opérateurs économiques les plus faibles, notamment les petits producteurs agricoles917. En tous les cas, ce mouvement de normalisation d'une production agricole

atomisée coïncide avec une concentration croissante de son aval industriel et commercial.

146.Concentration de l'aval industriel et commercial des chaînes de contrats

agroalimentaires918. L'aval des filières agroalimentaires connaît depuis les années 1980 de

profondes mutations par le jeu de fusions-acquisitions et la création de centrales communes d'achat, entraînant une forte concentration de l'offre et faisant des entreprises de la grande distribution des intermédiaires incontournables de l'amont agroalimentaire, dont la part de marché n'a cessé de croître919. Un des objectifs du regroupement des distributeurs est d'assurer une négociation

commune avec les industriels agroalimentaires, leurs fournisseurs, qui se sont eux-mêmes progressivement concentrés depuis la fin du XIXe siècle920. La concentration est à présent très forte

puisqu'en France cinq centrales d'achat921 réalisent plus de 90 % du chiffre d'affaire de la grande

distribution. La grande distribution dispose d'une véritable puissance d'achat922, d'un véritable

pouvoir de marché qui, après avoir été détenu majoritairement par les industriels agroalimentaires, 915 BOSSE-PLATIÈRE (H.), COLLARD (F.), GRIMONPREZ (B.), TAURAN (T.), TRAVELY (B.), Droit rural, op cit,

p.707 et s/.

Au moyen des contrats d'intégration agricoles depuis la L. n°64-678 du 6 juillet 1964 relative au régime contractuel en agriculture.

916 COLLART DUTILLEUL (F.), Propos liminaires, op cit, p.96-97.

917 SOUTY (F.), Agriculture, industries agroalimentaires et règles de concurrence, In MULTON (J.-L.), TEMPLE (H.),

VIRUÉGA (J.-L.), Traité pratique de droit alimentaire français, européen et international, Lavoisier, 2013, p.136. Et ce malgré l'intervention des pouvoirs publics visant le regroupement des producteurs agricoles afin de rééquilibrer leurs relations contractuelles avec leurs partenaires industriels et commerciaux, et un meilleur partage de la valeur ajoutée au sein des chaînes de contrats agroalimentaires.

918 European Commission, CAP objectives explained Brief n°3, Farmer position in value chains, 2019.

There are clear bargaining power asymmetries with limited power for individual farmers. Primary producers are expanding downstream in the chain only to a limited extend and are under-using opportunities to increase their market power. There is a lack of vertical integration under the control of the primary sector. In parallel, there is also asymmetric price transmission along the chain, due inter alia but not only to imbalances of power.

919 MARETTE (S.) RAYNAUD (E.), Applications du droit de la concurrence au secteur agroalimentaire, Économie

rurale 277-278, 2003, p.12.

920 V. Direction générale du Trésor, Les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, Lettre Trésor Éco n°

3,Publications de la Direction générale du Trésor, novembre 2006.

921 Interdis pour Carrefour, Galec pour Leclerc, Lucie pour Leclerc et Système U, ITM pour Intermarché, Opéra pour

Cora et Casino et Auchan France pour Auchan.

922 V. CHAMBOLLE (C.), MUNIESA (C.), RAVON (M.-A.), Concentrations horizontales et puissance d'achat,

s'est déporté sur les distributeurs923, et tend à s'accroître.924 Et ce d'autant que la grande distribution

est devenue une étape économique incontournable entre la production de masse et la consommation de masse925 et il est très difficile pour les producteurs agricoles et les industriels agroalimentaires de

se passer de l'accès aux linéaires de la grande distribution926. Cette concentration croissante inquiète

tant les pouvoirs publics que les partenaires amont de la grande distribution. L'AC estime effectivement que le niveau de concentration de la grande distribution dans certaines zones de chalandise est élevé et préoccupant927. Ainsi, un fournisseur ne peut généralement se passer d'aucun

de ses clients distributeurs, car chacun d'eux peut représenter jusqu'à 10, 15 ou 20 % de ses débouchés, alors que pour le grand distributeur, chaque fournisseur ne représente généralement qu'un pourcentage marginal ou relativement faible de ses approvisionnements928. Présenter

schématiquement l'intensité en termes de nombre d'opérateurs économiques des chaînes de contrats agroalimentaires reviendrait à esquisser un sablier929 puisque les rapports entre les producteurs de

biens de consommation, soit les producteurs agricoles et les industriels agroalimentaires et les 60 millions de consommateurs passent par seulement cinq groupements de distributeurs faisant office de goulet d'étranglement et contrôlant la vente de plus de 90 % des PGC930931, ce qui octroie aux

distributeurs un pouvoir d'oligopsone932. Le pouvoir de la grande distribution est conséquent car une

part croissante des acteurs situés à leur amont doivent passer par leur intermédiaire pour pouvoir mettre leurs produits sur le marché933, précisément par les centrales d'achat qui ont des stratégies

agressives en termes d'expansion et d'approvisionnement auprès de leurs fournisseurs934. Autrement 923 V. ALLAIN (M.-L.) CHAMBOLLE (C.), Les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs, bilan et

limites de trente ans de régulation, Revue française d'économie, n°4, Vol XVII, 2003.

924 AC, 31 mars 2015, 15-A-06, Avis relatif au rapprochement des centrales d'achat et de référencement dans le secteur

de la grande distribution.

L'AC vise trois rapprochements de centrales d'achat de la grande distribution, synonymes de concentrations préjudiciables à l'équilibre des relations entre les industries agroalimentaires et la grande distribution.

925 REIS (P.), Marques de distributeurs et accès au marché des fournisseurs de la grande distribution, Newletter de

l'ADEMO, 2003, p.2.

926 AN, Rapport n°2072 sur l'évolution de la distribution, 11 janvier 2000.

927 AC, 7 déc. 2010, 10-A-26, Avis relatif aux contrats d'affiliation de magasins indépendants et les modalités

d'acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire.

Tant l'analyse économique que les études statistiques démontrent le rôle joué par le degré de concentration des zones de chalandise dans le niveau des prix aux consommateurs. Plusieurs rapports ont en outre souligné le degré de concentration élevé de certaines zones de chalandise dans le secteur de la grande distribution alimentaire

928 V. VOGEL (J.), Négociations tarifaires fournisseurs / grande distribution : Comment aborder les négociations 2012

?, Colloque Réseaux de distribution et droit de la concurrence, Concurrences n° 1 - 2012

929 AN, Rapport n°2072 sur l'évolution de la distribution, 11 janvier 2000. 930 Produits de Grande Consommation.

931 BONNET FERNANDEZ (D.), DANAND (C.), Relations industrie-commerce : le déréférencement au regard du

marketing et de la jurisprudence, 13èmes journées de Recherche en Marketing de Bourgogne, 2008, Texte de

l'intervention, p.1.

932 V. ATTUEL-MENDÈS (L.), NOTEBAERT (J.-F.), Les pratiques de négociation à l'épreuve du droit, Management

et avenir n° 44, 2011.

933 BONNY (S.), Les systèmes de production agricole dans la chaîne agroalimentaire : position et évolution, Économie

rurale 288, 2005, p.97.

dit, la concentration de la distribution par fusion ou par création de centrales communes d'achat, fait des entreprises de la grande distribution des intermédiaires incontournables pour l'amont agroalimentaire et dont la part de marché n'a cessé de croître935. Ce différentiel de pouvoir de

marché936 est à l'origine de tensions entre la grande distribution et ses fournisseurs, industriels

agroalimentaires et producteurs agricoles, qui estiment devoir se soumettre à ses conditions d'achat937. Les relations commerciales entre industrie agroalimentaire et grande distribution sont

marquées par des tensions récurrentes que rien ne semble pouvoir apaiser938.

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