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PERTE DE LA PROVISION VILLAGEOISE

Dynamiques de la circulation des richesses

DE L’ORGANISATION SOCIALE

III. PERTE DE LA PROVISION VILLAGEOISE

1. Centralisation du pouvoir

Le centralisme politique issu de la politique « de la Voie Birmane vers le Socialisme » eut des répercussions sur les circuits monétaires et l’idéal communautaire, association surprenante à première vue sauf à tenir pour acquis que la combinaison des deux était structurelle au système de chefferies. Rappelons que plusieurs facteurs ont peu à peu contribué à mettre un terme à la légitimité et à l’autorité des chefs : politique coloniale interdisant l’esclavage et instaurant une administration indirecte sur les territoires enclavés (concurrence des religions monothéistes interdisant les sacrifices sur lesquels reposaient pour beaucoup la redistribution des richesses vers la collectivité, indépendance signée en 1947 et développement concomitant de mouve- ments nationalistes et d’un centralisme politique) qui mit un terme définitif aux instances poli- tiques traditionnelles.

Depuis 1962, les responsables de villages sont choisis parmi les villageois, quels que puissent être leur statut social et/ou leur appartenance clanique. Ces représentants villageois auprès de la hiérarchie birmane sont de nos jours désignés par l’acronyme « Yayaka ». La position de ces derniers est pour le moins inconfortable : d’un côté c’est vers eux que se tournent en dernier ressort les villageois pour régler les litiges, de l’autre ils sont placés sous l’autorité directe des représentants du pouvoir central envers qui ils sont comptables de la situation villageoise. En l’état, toutes les raisons conduisent à éviter l’impasse à laquelle conduit cette responsabilité et c’est bien souvent par tirage au sort que sont choisis les élus locaux. Le « Président » – c’est ainsi que se fait de préférence appeler le Yayaka quels que soient son âge ou son niveau social – acquiert un prestige qui perdure ; de manière générale, il est perçu comme un membre res- pecté du village plus qu’un représentant du pouvoir central. Leur mandat est de deux ans mais beaucoup démissionnent et c’est le plus souvent par défaut, faute de candidats, que certains sont plus ou moins contraints d’en prolonger la durée.

Du seul fait qu’il soit le représentant du pouvoir central, l’autorité du Yayaka est importante. À la question, maintes fois posée, « quelles sont les personnes qui exercent dans le village le plus de pouvoir, d’influence ou d’autorité ? », il est systématiquement répondu : « le Président ». Cherchant à identifier les autres personnes exerçant une quelconque influence au niveau villa- geois, les réponses se font plus évasives. Dans le cas de villages de migrants, tel que Lungpi, les familles les plus anciennement implantées sont investies du prestige attribué aux notables et c’est d’ailleurs parmi ces familles fondatrices que sont choisis les responsables des quartiers qui exer- cent de réelles responsabilités.

Comme nous nous étonnions que les leaders religieux ne soient jamais mis en avant parmi les personnalités influentes, la réponse fut invariablement la même : « mais toute autorité est déte- nue par les responsables religieux ! ». Le non-dit comme corollaire de l’évidence. L’autorité des prêtres, révérends ou pasteurs dépasse la sphère morale : à la condition qu’elle n’empiète pas sur les prérogatives du Yayaka – et dans le contexte de forte centralisation du pouvoir, personne ne s’y risquerait – les uns et les autres sont dans un rapport d’assistance mutuelle

dans la mesure où un recours à la justice peut être évité. De l’avis général, tous s’accordent pour dire que le rapport entre les deux instances politiques – « administratives » serait plus adapté – et spirituelles n’est pas à proprement parler conflictuel tant la frontière dressée entre les deux est maintenue ; politique et religion sont des sujets d’autant plus tabous qu’ils sont hau- tement sensibles et que les intérêts, notamment dans le flux des richesses, sont contraires. Le respect de cette ligne de démarcation des pouvoirs est sans doute le seul champ consensuel. Toute entreprise collective est nécessairement transcatégorielle et, là encore, l’IMF répond à une attente, en particulier, on le verra, dans la constitution des groupes de garants. Restons pour l’instant dans les changements apportés au flux des richesses et à leur implication au ni- veau villageois.

2. Implications au niveau de la gestion villageoise

Dans le même temps où l’impôt de Dieu – c’est-à-dire le 1/10e prélevé par les Églises – se substituait aux taxes perçues par les chefs, les retombées pour les villageois passèrent du maté- riel au symbolique ; le manque à gagner ne fut pas compensé par une politique budgétaire de l’État vers les collectivités. En l’absence de tout système d’imposition, les Yayaka ne disposent d’aucun budget. La réalisation des travaux publics tels que le percement d’une route ou la construction d’une école sont en grande partie aux frais des villageois. Ces infrastructures d’intérêt général sont largement dépendantes des collectes ponctuelles et du « travail volon- taire » en vertu duquel la main-d’œuvre locale est non rémunérée. Non seulement l’absence d’impôt ne vint pas compenser le flux monétaire que régulaient l’interdépendance clanique et le rapport des chefs aux villageois, mais la généralisation du denier du culte ne fit qu’accentuer la tendance au dépouillement des richesses villageoises : désormais d’ordre symbolique, la contrepartie n’a plus de retombée dans le domaine économique. Les Églises contribuèrent ainsi à la marginalisation des réseaux d’entraide et de solidarité au profit de la proximité religieuse, avec pour conséquence notable une appropriation des richesses au nom de Dieu.

Afin de compenser l’absence de budget villageois, des regroupements se sont formés : le vil- lage de Surkhua a ainsi rejoint un collectif de cinq villages en vue de développer à terme un projet hydroélectrique commun. Dans le même village, l’État participa à hauteur de 80 lakhs pour la construction d’une nouvelle école, somme à laquelle s’additionnèrent une collecte vil- lageoise et le recours à la main-d’œuvre locale gratuite. Le cas n’est pas unique, l’éducation étant devenu l’un des pôles prioritaires des ménages. Le Yayaka de Tek-Lui a tenu à nous montrer les fondations d’un bâtiment public aux dimensions modestes, mais qu’il envisage pourtant de compartimenter en trois locaux : l’un pour héberger le comité du Yayaka (sorte de mairie), le second pour accueillir une ONG (appel du pied à notre intention), le troisième pour y installer une bibliothèque (il est demandeur de livres). Le Yayaka de Mangkheng explique comment les villageois abattirent les arbres et scièrent les planches nécessaires à la construc- tion d’une école, comment la contribution de chacun – à l’exception des familles chargées des enfants et des vieillards – permit l’achat des tôles ondulées et comment le Pnud participa à l’extension du bâtiment en 1998. Il détailla par ailleurs le montage financier et l’organisation ayant permis la construction de la maison de l’instituteur à partir de 2004 : une première col- lecte auprès de 84 ou 85 maisons sur les 120 que compte le village permit de réunir en trois mois près de 2 lakhs ; une seconde collecte fut effectuée pour les tôles ondulées : 1 lakh sup- plémentaire fut réuni ; une contribution en force de travail fut demandée aux adultes en fonc- tion de leurs capacités (charpentiers, main-d’œuvre, scieurs de long) et en demandant à chacun de fournir des clous. Le cas n’est pas isolé tant la nécessité d’investir dans le domaine éducatif est une récurrence dans le discours des villageois.

C’est dans ce contexte qu’émergea un troisième pôle d’influence que sont les membres d’un comité central, l’instance décisionnelle au niveau villageois de l’IMF. De manière significa- tive, les parcours des trois membres du comité central montrent qu’ils ont pour la plupart exer- cé par le passé des responsabilités politiques et/ou religieuses. Face à la carence de budget vil- lageois à laquelle elle n’a pas fonction de remédier, l’IMF est parfois associée à une banque et les représentants de l’IMF auréolés d’un pouvoir qui dépasse leurs responsabilités effectives. Cette situation est largement entretenue par l’absence de budget villageois, dont l’une des conséquences directes est de voir la demande se détourner des représentants locaux du pouvoir central birman, les « Yayaka », pour se concentrer sur l’IMF et ses représentants.

IV. ACCES AU CREDIT VIA L’IMF ET RESTRUCTURATION DU FLUX

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