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Codification des échanges

Dynamiques de la circulation des richesses

DE L’ORGANISATION SOCIALE

2. Codification des échanges

Sans doute ne peut-on pas uniformiser la dynamique collective qui se développe lors des fêtes de mérite, des rites de passage ou des rituels aux esprits. Ceux-ci sanctionnaient, renforçaient et codifiaient le rapport à l’autre quelle qu’en soit la nature : rapport de force (chasse aux têtes, esclavage), rapport d’entraide (avec ou sans réciprocité) ou encore rapport d’alliance instaurant une hiérarchie entre groupes donneurs et groupes preneurs de femmes. Dans un système où l’organisation en patrilignages exogames est la clé de voûte du lien communautaire et de la construction identitaire, la circulation des femmes et des biens n’engage pas des individus mais des groupes sociaux. Ce ne sont pas seulement un homme et une femme qui s’épousent, ce sont des ensembles claniques et leurs composantes lignagères qui contractent une alliance et qui, à cette occasion, s’échangent des biens : dot côté de la femme et prix de la fiancée côté de l’homme, dont le montant varie selon le statut des intéressés, la distance généalogique et l’origine géographique (à l’intérieur ou à l’extérieur du village). Les membres des groupes donneurs et des groupes preneurs précisément identifiés sont engagés dans des droits et des devoirs très précisément définis qui institutionnalisent la dimension collective des échanges. Nous limitant ici aux seuls rituels observés sur le terrain, à savoir cérémonies de mariage (Sai- zang et Sakta), rituels d’hommage d’un cadet à un aîné (Mualbeem) ou encore témoignages de solidarité à la suite d’un décès (Saizang), dans tous les cas des échanges de viande et de bière de maïs sont venus sanctionner et renforcer un lien de solidarité clanique. Ces événements donnent lieu à une répartition des richesses où construction identitaire et réseaux d’échanges sont interactifs.

Hier comme aujourd’hui la chair des animaux est redistribuée de manière à ce que chaque membre d’un patrilignage ainsi que les alliés, les amis et les relations reçoivent une pièce spé- cifique de l’animal sacrifié. De Head (1955) à Bareigts (1981 : 229 sq), les témoignages ne manquent pas qui décrivent une telle répartition codifiée de nourriture. Un entretien effectué à Hakha avec la première épouse de l’un des trois signataires Chin du traité de Panglong – à la

suite duquel fut créée la Chin Special Division qui elle-même préluda à la création d’un État Chin en 1974 – montre tout à la fois l’étendue des ramifications au sein d’un même clan et la précision qui définit et régule les relations sociales. Sans doute plus qu’ailleurs dans l’État Chin, ce système est encore très prégnant dans la région de Tedim ; dans le seul village de Sai- zang, la distribution de bière de maïs et de viande de porc fut observée à deux reprises : lors de funérailles et lors d’un mariage. La distribution des différentes parties du porc sacrifié au cours de cette cérémonie de mariage est reproduite dans le schéma suivant :

Schéma 1 : Distribution des différentes parties du porc sacrifié au cours d’une cérémonie de mariage

Selon ce principe, plusieurs catégories de groupes sociaux bénéficient d’une part de la viande sacrifiée :

• les membres d’un même clan vivant dans le même village (chiffres 1, 4, 5, 6, et 11 sur le sché- ma) ;

• les membres d’un clan allié originaires du même village (2, 7, 9 et 12 sur le schéma) ; • les membres d’un clan allié originaires de villages voisins (8 sur le schéma) ;

• les amis et relations reçoivent également une portion de viande (3 et 13 sur le schéma). La tendance actuelle est de limiter la distribution de viande à deux ou trois catégories au lieu des treize prescrites. Au village de Sakta (région de Hakha) par exemple, seulement trois sortes de dons furent distribués à l’occasion d’un mariage : le inn pi fut offert aux parents de l’épouse, le pu man à l’oncle maternel (frère de la mère de l’épouse) et le ni man à la sœur aîné de l’épouse ; seules trois catégories de parents – tous alliés – furent donc concernés sur les douze prescrits. Dans la plupart des cas, l’animal « offert » – les chrétiens ne disent plus « sa-

crifié » – est préparé en un pot commun destiné à toute l’assistance : ce fut en particulier le cas lors de funérailles observées à Falam et c’est sur ce principe que se déroulent désormais, selon nos informateurs, la plupart des cérémonies dans la région de Hakha.

Quelles que soient les variantes locales, c’est toute la communauté villageoise qui bénéficie de ce circuit d’échange. Car il faut bien comprendre que dans un système unilinéaire, un don n’est pas le fait d’un individu en faveur d’un autre individu, mais d’un groupe social vers un autre groupe social et que, si le système évolue, ses implications n’en sont pas moins sensibles au- jourd’hui qu’autrefois. La tendance actuelle à une réduction des groupes sociaux bénéficiaires du partage de nourriture ou impliqués dans les groupes d’entraide est compensée par le regrou- pement entre membres de telle ou telle congrégation chrétienne, celle-ci se superposant au demeurant, plus qu’elle ne s’oppose, à la solidarité clanique.

Vecteur du lien communautaire, cette forme de partenariat intègre une part de hiérarchie entre aînés et cadets pour les questions d’héritage, entre groupes donneurs et preneurs de femmes dans un système de patrilignages exogames, entre clans dont étaient issus les chefs et clans de gens ordinaires et, au-delà, dans le rapport de suzerain à vassal dont la chasse aux têtes et l’esclavage étaient le vecteur. La circulation des richesses (propriété foncière, taxes contre fêtes de mérite, distribution codifiée des portions de viande) sanctionnait les droits et les devoirs unis- sant les différents groupes sociaux en même temps qu’elle sanctionnait le lien communautaire autour d’une même chefferie.

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