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Le Mizoram indien, moteur des migrations transfrontalières

Dynamiques agraires et économiques

II. LOCATION DE MAIN-D’ŒUVRE : SOURCE DE REVENUS ET MOTEUR DE LA MIGRATION

3. Le Mizoram indien, moteur des migrations transfrontalières

Le Mizoram s’étend à l’Ouest de l’État Chin, de l’autre côté de la frontière indienne. Les Mizo et les Chin sont issus des mêmes courants migratoires Lai qui ont façonné la région il y a plus de 500 ans. Sous la colonisation, puis avec les indépendances, les deux territoires seront sépa- rés administrativement et chacun relié à un pays différent (Inde et Myanmar). Les destinées de ces peuples frères, rattachées à celles de pays n’ayant pas connu la même évolution politique et économique depuis les indépendances, vont prendre des chemins bien différents. Des liens commerciaux ont toujours été maintenus et se développent aujourd’hui à grande vitesse. À partir des années 1970, les divergences de croissance économique des deux nations se répercu- tant sur celles de ces deux États vont créer les conditions d’une migration saisonnière ou per- manente de main-d’œuvre croissante des travailleurs Chin vers le Mizoram indien.

3.1 Un différentiel de croissance important

Le Mizoram est dans les années 1950 et 1960 une région misérable, comme l’atteste la famine qui l’atteint au cours des années 1960/1961. En 1961, se crée le Mizo National Front qui va, par les armes, exiger du gouvernement central indien l’indépendance du Mizoram. Cette dissi- dence armée, particulièrement active et ce, même du côté birman de la frontière puisqu’elle viendra en 1968 jusqu’à Tedim dévaliser une réserve d’armes et dérober l’argent de la banque de Falam, va pendant longtemps dissuader les Chin de se rendre au Mizoram. À l’époque de la construction des axes routiers entre les capitales du département (années 1960), certains villa- geois évoquent d’ailleurs la présence de travailleurs Mizo venus dans le Chin à la recherche de revenus financiers.

1975 marque un tournant important : le gouvernement indien accorde en 1972 un début d’autonomie en créant l’Union Territory of Mizoram. La dissidence armée réduit ses interven- tions tout en continuant à négocier pour obtenir le statut d’État de la fédération indienne qui lui sera accordé en 1986, date à laquelle les dissidents déposent les armes. Les aides fédérales affluent vers le Mizoram au fur et à mesure que l’État indien s’enrichit. En 1975, le taux de change roupie/kyat se stabilise à une roupie pour 2 MKK, révélateur d’une croissance écono- mique plus soutenue du côté indien de la frontière. Participant aux nombreux grands travaux d’aménagement des infrastructures lancés dans ce nouvel État fédéral (construction de routes, de ponts, développement de Aizawl comme capitale régionale, qui aujourd’hui compte 400 000 habitants), des agriculteurs Chin pionniers vont propager dans les montagnes Chin la bonne nouvelle : les opportunités de travail au Mizoram sont de plus en plus nombreuses et sont de mieux en mieux rémunérées avec la valorisation année après année de la devise in- dienne et l’effondrement de la monnaie birmane.

3.2 Des opportunités de travail nombreuses et mieux rémunérées

D’abord dopées par les investissements fédéraux et la croissance de la ville, les opportunités de travail vont ensuite se développer dans les zones rurales du Mizoram, où les villages, quelque peu vidés par l’exode rural, manquent de main-d’œuvre pour les travaux agricoles et la coupe de bois dont la demande est exponentielle. Heureux de pouvoir compter sur une main-d’œuvre bon marché, les agriculteurs ou les propriétaires de bois sont demandeurs de travailleurs Chin. La croissance de la ville d’Aizawl fait aussi naître de nouvelles opportunités de travail à long terme : ainsi la migration saisonnière de main-d’œuvre n’est plus réservée aux hommes, mais concerne aussi les femmes qui trouvent des emplois à domicile et, pour certaines, même dans l’industrie textile.

En général, les impératifs de la saison de culture obligent les travailleurs à revenir au village. L’obligation est d’autant plus forte que le nombre de personnes pouvant travailler dans le foyer est limité. L’alternance janvier/avril passés au Mizoram, mai/décembre au village, est ainsi le plus courant. Les hommes s’y rendent néanmoins de plus en plus jeunes ; certains d’entres eux encore scolarisés profitent de leurs congés d’été (deux mois : avril et mai) pour accompagner leur père avec qui ils travaillent à deux sur des contrats de coupe de bois (le couple est payé au volume abattu). L’amélioration de l’axe routier entre Tedim et Aizawl raccourcit le parcours et incite les fermiers à multiplier les séjours. Dès le maïs récolté (août/octobre selon villages et lopil), on retourne au Mizoram jusqu’à Noël qui, quoi qu’il arrive, sera passé en famille. Autre exemple d’intensification, certains villageois se rendent au Mizoram avec leurs chevaux afin d’améliorer leur productivité et augmenter leurs revenus. Les villageois de Sunthla en ont fait une spécialité, moteur du développement de leurs élevages de chevaux et ressource financière croissante. Un cheval utilisé pendant un mois dans le travail au champ peut permettre à son propriétaire de toucher près de 50 dollars. À ce revenu, il convient de rajouter celui généré par le transport de marchandises sur le chemin de l’aller. Il nous sera difficile d’avoir des informa- tions précises sur ce point.

3.3 Vers des migrations de plus en plus longues

L’augmentation des séjours au Mizoram, usants par l’intensité d’un travail rémunéré au vo- lume et souvent risqués au niveau santé ( risque accru d’attraper la malaria), n’est plus seule- ment une solution pour des familles qui font face à une crise passagère (mauvaise récolte, ma- ladie particulière) ; ces séjours deviennent un choix d’activité économique à part entière. En effet, au vu du taux de change particulièrement avantageux (en décembre 2005, une roupie valait 25 MKK, un mois de travail rapporte ainsi 100 dollars) et des opportunités de travail plus nombreuses, les fermiers sont amenés à s’interroger sur le coût d’opportunités que repré-

sentent six mois de labeur au village pour une production de nourriture souvent insuffisante pour la famille, ou en tout cas insatisfaisante (quand la famille ne dispose pas de rizière et ne produit que du maïs). Le travail au Mizoram offre aux familles un niveau de rémunération dif- ficile à atteindre avec d’autres activités sur place, et permet de surcroît de faire face à l’inflation galopante que subit le Myanmar, la rémunération se faisant en devise étrangère. Qu’elles soient de courte ou de moyenne durée, ces migrations vers le Mizoram constituent pour un grand nombre de familles rencontrées une source privilégiée de revenus : sur 122 fa- milles interrogées, 58 avaient au cours de l’année envoyé au moins un de leurs membres tra- vailler au Mizoram, soit un peu moins de 50 %. Pour 25 d’entre elles, les revenus issus du la- beur au Mizoram constituaient pour la famille la principale ressource financière.

Le Mizoram comme source de revenus d’un village : L’exemple de Baila Baila est un petit village situé à trois kilomètres de la ville de Falam. Peuplé seule- ment de 21 familles, il fait partie de la commune formée avec les villages de Tahniar, Laizo, et Zalai. Dans ce village, tous les hommes actifs se rendent au Mizoram et seu- les deux familles ne peuvent y envoyer aucun de leurs membres. Alors que longtemps les hommes ne s’y rendaient qu’un trimestre par an, se consacrant le reste du temps à leur parcelle de brûlis, il nous a été fait part d’une évolution récente assez forte, il- lustrée par le parcours d’une des personnes que nous avons interrogées.

Cet homme de 35 ans, marié et père de deux enfants, revenait tout juste du Mizo- ram lorsque nous l’avons rencontré. « Cette année, entre janvier et avril, j’ai réussi à ramener 8 000 roupies (200 000 MKK, 170 dollars). Le taux de change étant favorable et comme ma femme ne peut pas trop travailler, nous avons décidé de ne pas culti- ver notre parcelle de brûlis cette année et, après avoir coupé du bois à brûler pour ma famille, je suis reparti début mai à Aizawl. Là-bas, je suis allé proposer mes services de maisons en maisons. Je voyais ce que les familles me proposaient. Les habitants du Mizoram sont parfois méprisants avec nous, pourtant ils ne sont en rien responsa- bles de leur développement : tout vient du gouvernement indien ! Certains villageois Chin se font escroquer, mais moi j’ai l’habitude et je prends le temps avant d’accepter un contrat. Après deux semaines j’ai commencé à travailler dans le bois d’une famille. Je dormais dans leur salon et ils me nourrissaient. Avec mon partenaire (pour couper le bois il faut toujours être deux !) nous étions payés au volume abattu. En travaillant bien on abattait l’équivalent de 400 roupies par jour (10 000 MKK). Nous avons abattu l’ensemble du bois, ça nous a pris deux mois.

Après, j’ai dû rester deux mois auprès de cette famille pour attendre que le pro- priétaire vende le bois afin d’être payé. Je sais que si je pars sans avoir reçu l’argent il me sera difficile de l’obtenir par la suite. J’ai fait deux contrats en 6 mois. Entre les deux je suis passé par des commerçants pour envoyer un peu d’argent à ma femme. En tout j’ai pu ramener 15 000 roupies (375 000 MKK, 315 dollars).

Avant de partir au Mizoram, j’ai laissé un peu d’argent à ma femme, mais ça n’a pas suffit : elle a du acheter à crédit de la nourriture dans les magasins de Falam et a fait appel à nos proches pour certaines dépenses de santé. J’ai pu lui envoyer un peu d’argent. En rentrant j’ai dû rembourser près de 100 000 MKK de dettes. Au- jourd’hui j’investis dans les arbres fruitiers, j’ai planté 100 manguiers l’année dernière, mais 50 sont morts. Les crédits VCS sont pour ma femme une façon d’avoir une ré- serve de trésorerie avant que je ne revienne du Mizoram. Cette année, elle a acheté 25 poules au moment du déblocage et est parvenue à en garder certaines qui au- jourd’hui pondent des œufs. En avril prochain, à mon retour du Mizoram, on rembour- sera le crédit ».

À l’image de cet homme, les villageois croisés en décembre dans le village de Bai- la revenaient tout juste du Mizoram ; ils avaient en moyenne empoché 75 dollars par mois d’expatriation dans l’année 2005.

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