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L’extension de la culture marchande

Dynamiques agraires et économiques

III. DE L’AUTARCIE VIVRIERE A L’ECONOMIE MARCHANDE

1. L’extension de la culture marchande

1.1 Cultiver pour vendre, une petite révolution

Les petits vergers à proximité des maisons à usage purement privé, appelés « dum » dans les langues Lai autour de Hakha et de Falam, existent depuis longtemps dans les montagnes Chin. À l’origine, ce terme dum renvoie aux petits terrains situés à proximité immédiate des maisons. Les légumineuses, mais aussi les quelques plants de maïs ou arbres fruitiers qui y sont cultivés, le sont principalement à des fins de consommation personnelle. Ces jardins profitent générale- ment du terrain relativement plat ou à faible déclivité sur lequel est bâtie la maison ; contraire- ment aux brûlis et aux terrasses, les jardins sont parfois enclos, à la fois par souci de protéger ces terres arables des herbivores mais également pour délimiter la propriété individuelle. Grâce à eux, les familles peuvent agrémenter la soupe de maïs ou de riz avec divers choux, feuilles de moutarde, haricots, oignons et gingembre. L’extension des cultures maraîchères et la commer- cialisation de celles-ci sont en revanche un phénomène récent qui gagne de l’ampleur dans la plupart des villages que nous avons visités, et plus particulièrement dans ceux qui n’ont pas réussi à développer les terrasses rizicoles.

Si l’on en croit l’historique des villages visités, les activités maraîchères commerciales appa- raissent au début des années 1950 dans certains villages de Tedim (Saizang, Mualbeem) ; à l’instar des terrasses rizicoles, ces activités furent introduites par des fonctionnaires ou des religieux. Les premières exploitations furent des légumes, dont le coût des intrants est quasi

négligeable. Les produits ainsi cultivés servent de monnaie d’échange contre les sacs de riz de Kale.

Dans la région de Falam, région où ces activités sont les plus développées, la propagation des cultures maraîchères est à mettre sur le compte de la réduction des rendements de la culture sur essarts, non compensée comme ailleurs à Hakha par la riziculture. L’idée de cultiver non plus pour manger mais pour vendre, petite révolution en soit, fait ainsi son chemin et avec elle la mise en valeur de parcelles permanentes nécessitant la construction de petites terrasses, en général situées à proximité des habitations. Les cultures maraîchères vont s’intensifier progres- sivement et concerner des cultures à coûts d’intrants de plus en plus élevés (dans l’ordre : lé- gumes verts, pommes de terre qui deviennent par là même aliments de base, oignons, ail, gin- gembre, etc.). Ce changement de perception de la culture, qui devient source de revenus et non seulement source d’aliments, entraîne avec lui la multiplication de cultures commerciales sur brûlis (haricots divers, petits pois, oléagineux comme le colza et le tournesol, piments, etc.), là où l’on ne trouvait précédemment que le pois d’angole.

1.2 Les activités maraîchères comme apprentissage à l’économie de marché

Les activités maraîchères constituent sans doute le meilleur apprentissage possible de l’économie de marché pour des agriculteurs très attachés aux activités de culture, mais habitués à leur fonction uniquement vivrière. Puisque cultiver reste l’activité essentielle des villageois Chin, le passage à la culture commerciale suppose des choix stratégiques impliquant des inves- tissements progressifs (acquisition de terre, aménagement, graines, distribution de l’eau, en- grais…). Réinvestissant une part des revenus générés par la terre dans la valorisation de celle- ci (engrais chimiques et pesticides qui font leur chemin sous l’impulsion notable du Pnud, irri- gation, etc.) les fermiers en intensifient la culture. De plus, la commercialisation des récoltes peut laisser place à différentes stratégies de spéculation avec comme variable la saisonnalité des ventes et le stockage ou non des quantités nécessaires pour la culture suivante. Enfin, la variation des cours chaque année, qui oblige certains fermiers à modifier les quantités produi- tes, est une manifestation concrète de ce que peut être l’économie de marché.

Cette logique nouvelle déteint peu à peu sur le reste des activités conduites par le foyer. Les parcelles d’essarts deviennent eux aussi les terrains de la culture marchande, avec la mise en culture d’oléagineux, d’espèces de pois prisées dans les plaines (la culture du petit pois se ré- pand depuis quelques années dans les montagnes de Falam), de piments. Si cultures vivrières et cultures marchandes cohabitent encore dans tous les villages, ce sont les cultures marchan- des qui ont de plus en plus la faveur des arbitrages des familles. De même, les activités de pe- tits élevages, qui se développent dans les villages tournés vers l’agriculture marchande, y sont en général conduites avec beaucoup plus de détermination et de succès que dans des villages où le potentiel de l’entité familiale comme entreprise ne semble pas encore avoir été intégré.

1.3 L’horticulture se généralise comme activité annexe

Sur l’ensemble des familles interrogées, 95 foyers avaient vendu des légumes, des fruits ou des céréales au cours de l’année. Toutes ces productions ne nécessitent pas la même quantité d’intrants et parmi ces 95 familles, encore nombreuses sont celles qui ne vendent que les sur- plus occasionnels de cultures avant tout destinées à la subsistance familiale. On remarque néanmoins la progression de la logique marchande. Une forme de manifestation de celle-ci se trouve dans le développement de l’horticulture et le fait que de plus en plus de familles déci- dent de planter des arbres fruitiers. Comme toutes les autres activités ici décrites, l’intensification varie énormément et il est encore rare de trouver des familles dont le revenu principal proviendrait de la vente des fruits. Nous n’en avons rencontré que deux qui, notam-

ment grâce aux avocats et aux agrumes, parvenaient à engranger des revenus importants. Reste que l’investissement dans les arbres fruitiers est en croissance. La moitié des familles ren- contrées possédait des arbres fruitiers, en général depuis peu de temps. Cette forme de culture pérenne est de plus en plus répandue dans les familles qui privilégient par ailleurs travail sala- rié et culture vivrière. On remarque également que les personnes ayant atteint un certain âge tendent à privilégier cette forme d’investissement, espérant en récolter les fruits au moment où leur santé et leur âge ne leur permettront plus d’exploiter leurs rizières ou leurs essarts.

1.4 Crédits et intensification des activités maraîchères

Investissement productif : Les investissements liés aux cultures commerciales sont une utilisa- tion croissante des crédits de l’IMF. L’investissement dans de telles activités se révèle particu- lièrement profitable pour les membres (en général achat de graines et d’engrais). Les familles parviennent plus facilement à diversifier leurs activités (autant de revenus que de plantes), ré- duisant les risques liés aux variations des prix sur les marchés. Avec la mise en culture succes- sive des oignons, des pommes de terre et du maïs, les familles répartissent sur l’année leurs besoins en investissements ainsi que leurs entrées d’argent. À chaque entrée d’argent, une par- tie peut être consacrée aux besoins familiaux pendant que l’autre trouve tout de suite une op- portunité d’investissement productif avec l’achat d’intrants nécessaires à la culture du moment. Donnée importante, il s’agit d’une activité où des crédits successifs et progressifs sont adaptés et permettent aux membres d’étendre et de diversifier leurs cultures.

Gestion trésorerie et spéculation : Cette diversification est importante puisque les cours varient fortement d’une année sur l’autre, mais également d’un mois sur l’autre. Dans le cas de famil- les ayant déjà, grâce à l’emprunt, réussi à développer une activité maraîchère contribuant effi- cacement à leurs revenus, un nouvel emprunt peut s’avérer très bénéfique lorsqu’il s’agit de conserver les récoltes en attendant que les prix n’augmentent. Les cours de l’oignon, du gin- gembre, des pommes de terre augmentent chaque année à la période de la mise en culture : dans l’esprit d’un petit crédit stockage, certaines familles utilisent le crédit pour pouvoir tenir jusqu’à la période idéale de revente.

Diversification des activités : Plus que l’introduction d’une nouvelle activité, le crédit semble avoir contribué à l’apparition d’une logique entrepreneuriale chez les personnes investissant dans la culture maraîchère. Les stratégies économiques de ces familles privilégient presque systématiquement augmentation et diversification des activités. Ainsi on remarque que ces familles, même lorsqu’elles investissent dans le petit élevage ou une activité commerciale ponctuelle, le font avec plus de détermination, de réussite et cherchent à stabiliser cette activité nouvelle en réinvestissant une part de leurs profits dans la consolidation de celle-ci.

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