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La Malaisie, une destination nouvelle pour les travailleurs Chin

Dynamiques agraires et économiques

II. LOCATION DE MAIN-D’ŒUVRE : SOURCE DE REVENUS ET MOTEUR DE LA MIGRATION

5. La Malaisie, une destination nouvelle pour les travailleurs Chin

5.1 Une nouvelle destination pour la migration de main-d’œuvre

Depuis la fin des années 1990, non contents de l’augmentation de la migration saisonnière de main-d’œuvre vers le Mizoram, les villages Chin ont vu se développer une nouvelle forme de migration de main-d’œuvre, plus durable celle-ci puisque sa durée moyenne est estimée à cinq ans. Parallèlement à la multiplication des demandes d’asile politique de Chin qui, pour cer- tains, parviennent à rejoindre les États-Unis, la Norvège, l’Allemagne ou le Japon, et en com- plément des réseaux religieux qui permettent aux jeunes étudiants en théologie d’être formés en Inde, en Corée ou aux États-Unis, se sont étendus des réseaux d’exportation de main- d’œuvre en direction de pays du Sud-Est asiatique plus développés, au premier rang desquels on retrouve Singapour et surtout la Malaisie.

La Malaisie, on le sait, dépend depuis longtemps des travailleurs étrangers qui sont employés dans les plantations, dans la construction ou, de plus en plus du fait du développement urbain, dans les services (restauration et emplois à domicile). Cette exportation fut dans un premier temps alimentée par les jeunes adultes issus de familles aisées du Myanmar, auxquels se sont rajoutés ceux des familles de Tedim (encore une fois précurseurs en la matière), de Hakha et de Falam. L’exportation de main-d’œuvre est une activité commerciale et financière autant qu’elle est une activité intense en capital humain. Les jeunes qui partent en Malaisie souvent illégale- ment doivent travailler dans des conditions de précarité extrême pour la plupart, tout en vivant constamment en cachette, fuyant les polices qui, depuis toujours – mais surtout depuis 2004, après les instructions du nouveau Premier ministre –, font la chasse aux travailleurs clandes- tins.

5.2 Une source de revenus déterminante

Le phénomène prend de l’ampleur. Dans un village comme Chunchung, 80 jeunes adultes, principalement des hommes mais aussi des femmes (là aussi la migration de main-d’œuvre se féminise et les femmes trouvent de plus en plus d’emplois dans le secteur des services, princi- palement comme employée de maison) sont actuellement en Malaisie. Le village compte 370 familles. Plus édifiant encore, le village d’Aive (Hakha) : 50 jeunes adultes pour les 50 foyers que compte ce petit village, bénéficiant de sa proximité avec Hakha et des réseaux tissés avec les anciens villageois y ayant migré pour trouver les ressources nécessaires au départ en Malai- sie.

L’envoi d’un enfant en Malaisie constitue le projet de nombreuses personnes interrogées, quand cela n’est pas déjà fait. 25 % des familles interrogées recevaient régulièrement de l’argent de l’étranger et pour 15 % cet argent constituait la source principale de revenus. Cer- tains villages comme Mualbeem affirment que les devises envoyées par le contingent de villa- geois en Malaisie constituent dorénavant la première ressource financière du village.

En dépit des conditions de travail souvent déplorables et du risque que constitue ce type d’émigration, les revenus générés sont énormes.

Mualbeem : Entretien avec un villageois fraîchement rentré de Malaisie

Mualbeem est un village au bord d’une route ouverte pendant la saison sèche, qui met Tedim à quelque 20 km. Constitué de 250 maisons, Mualbeem semble avoir tou- jours tiré profit du dynamisme de sa population émigrée dans les plaines, à Mandalay voire à Yangon. À cette population émigrée avec laquelle les villageois ont maintenu des liens étroits, s’est ajouté depuis 1995 environ un contingent croissant de jeunes adultes, enfants des familles du village qui se sont rendus en Malaisie. Là-bas un ré-

seau villageois s’est recrée, permettant à ceux qui partent de bénéficier de l’expérience de ceux qui rentrent. Nous avons rencontré un de ces villageois qui ve- nait de rentrer au village.

« Je suis parti en Malaisie au début de l’année 2000. Je devais payer à un passeur de Yangon l’équivalent de 400 dollars. Mon père est chauffeur de camion entre Kale et le Chin, il avait pu mettre un peu de côté mais nous avons surtout sollicité l’aide de nos proches. Chacun a cotisé un peu et nous les avons remboursés au double. Je leur ai également donné des cadeaux à mon retour, vêtements ou argent liquide. Je suis passé illégalement, sans passeport ni visa, passant la frontière thaïlandaise dans le coffre d’une petite voiture, traversant la Thaïlande en bus, puis à nouveau la frontière malaise dans le coffre d’un mini-van. J’avais l’adresse d’un homme originaire de Mualbeem, au début j’ai du rester caché dans la forêt, mais finalement j’ai repris son travail dans un petit restaurant chinois.

J’ai eu beaucoup de chance, je me suis bien entendu avec mon employeur qui me laissait dormir dans le restaurant, je n’ai quasiment jamais eu à me cacher. J’ai pu envoyer en moyenne 2 000 dollars par an (100 lakhs en cinq ans), que mes parents ont utilisé pour reconstruire notre maison, ouvrir une boutique, acheter trois parcelles de terre dans le village, acheter une maison et quelques terres dans la région de Kale. Enfin, j’ai pu financer le départ de mon frère, qui lui, est entré légalement en Malaisie. Les démarches pour le visa, toujours assistées par des passeurs, nous ont coûté quasiment 1 000 dollars. Nous n’avons pas eu à emprunter. Aujourd’hui la bou- tique est mon activité principale, mais je compte retourner en Malaisie une nouvelle fois et, avec ma femme, nous installer ensuite dans les plaines. De plus en plus de jeu- nes du village se rendent en Malaisie. Les gens de Mualbeem réussissent à envoyer beaucoup d’argent et nous pouvons bénéficier de l’expérience des anciens pour trouver des bonnes opportunités de travail. Certains anciens, avant de revenir au vil- lage, financent la venue d’autres villageois. C’est une façon efficace d’aider le vil- lage et financièrement ça rapporte 100 % ».

5.3 L’émigration en Malaisie est un investissement important

À la lumière de l’expérience heureuse de ce villageois de Mualbeem et de sa famille, on com- prend que la Malaisie soit souvent perçue comme le miracle qui permettra aux foyers de chan- ger de statut social. Pour 11 % des familles interrogées, l’envoi d’une personne en Malaisie était la priorité à court terme du foyer. Cette proportion atteint 15 % dans le département de Hakha. Il faut également rappeler que beaucoup de situations sont moins heureuses, et trois familles nous ont déclaré n’avoir rien reçu après plus d’un an. Il nous est difficile de clairement déterminer l’espérance des revenus ainsi générés. Une moyenne annuelle située autour de 1 000 dollars ressort néanmoins de nos entretiens.

Aujourd’hui l’envoi d’un membre du foyer en Malaisie est considéré comme un réel investis- sement financier. Les sommes nécessaires sont très importantes, on l’a dit, et font de cette forme de travail un enjeu tout autre que ne le sont les migrations saisonnières au Mizoram. Les familles savent que le risque d’un échec existe et les mettrait dans une situation très compro- mettante. Néanmoins, l’espérance de gains est telle que de plus en plus de familles se décident à sauter le pas. Les villageois ou les citadins Chin, habitués à prêter de l’argent, ont aussi trou- vé dans la Malaisie une nouvelle forme de placements bien plus attractive que les crédits aux commerçants transfrontaliers. À Chunchung, la propriétaire d’une boutique nous résume rapi- dement les calculs qui l’ont poussée à arrêter de prêter de l’argent aux commerçants de bétail, pour ne plus prêter qu’aux familles désireuses d’envoyer un des leurs en Malaisie. Ces derniè- res, qui elles aussi ont fait leurs calculs, acceptent d’emprunter avec un taux d’intérêt de 100 % sans impératif de durée. Le travailleur part en Malaisie, et il est entendu que ses premiers ver-

sements seront consacrés au remboursement de sa dette plus intérêts. Ce remboursement prend en général moins d’un an. Les commerçants transfrontaliers qui ne peuvent se permettre d’emprunter à plus de 5 % par mois, s’ils veulent conserver des marges légitimant le risque important qu’ils prennent, deviennent alors des clients bien moins intéressants pour les prê- teurs.

Mais alors qu’une partie importante des familles voit dans la Malaisie le passage obligé de la capitalisation familiale, n’y a-t-il pas une volonté des membres d’utiliser en cohérence leurs crédits ? À première vue, les montants proposés par l’IMF ne sauraient répondre directement aux besoins liés à une expatriation en Malaisie. Les montants nécessaires, rappelons-le, varient entre 250 dollars et 1 000 dollars en fonction de la légalité du processus. Certaines entreprises malaises acceptent cependant de prendre en charge les frais liés aux permis de travail, qui se- ront alors déduits de la rémunération des nouveaux salariés. Ainsi, certains jeunes parviennent à partir légalement en Malaisie en ne mobilisant que 250 dollars. Somme qui correspond ac- tuellement à quatre “Special Loan”, et une dizaine de “Normal Loan”. Il est apparu à plusieurs reprises que certains villageois parvenaient à organiser des faux groupes pour financer intégra- lement ou partiellement l’expatriation d’un des leurs. La forme la mieux organisée que nous avons pu suspecter, et qu’un leader du village nous a par la suite confirmée, intervient à Zok- hua (département de Hakha). Là-bas, certaines familles ont mis en place une forme de tontine dédiée au financement des départs de leurs enfants en Malaisie. Tous receveurs du “Special Loan”, quatre familles constituées en un groupe solidaire ont, au cours des deux dernières an- nées, chacune envoyé un de leurs enfants en Malaisie.

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