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Absence de marchés et développement du petit commerce

Dynamiques agraires et économiques

IV. LA DIVERSIFICATION DES ACTIVITES COMMERCIALES

2. Absence de marchés et développement du petit commerce

2.1 Quasi absence des marchés

Une chose surprend lorsque l’on voyage dans les collines du Chin : l’absence de places de marchés. Absents des 25 villages que nous avons visités, les marchés ne sont présents que dans les capitales départementales, et là encore il s’agit d’une évolution récente. À Hakha, capitale de l’État Chin, le marché couvert ne date que de 2002, construit sur une place de marché non couvert établie en 1985 : avant cette date, seuls les boutiquiers disposaient de lieux de vente fixes. Les autres commerçants (principalement des commerçantes) s’alignaient le long des trottoirs afin de vendre les produits achetés le matin même aux paysans des villages alentours. Il en est de même pour Falam, pourtant capitale départementale située idéalement entre la ville de Kale et la capitale régionale Hakha. Là-bas, le marché fut créé en 1990 et couvert en 1992. Le bouche à oreille matinal permet de fixer les prix qui sont dictés, à part pour le riz de Kale, par le jeu de l’offre et de la demande entre des petits producteurs des villages alentours venus vendre leurs productions, et/ou parfois celles de leurs voisins, et de petites commerçantes, dont les fonds de commerce, alimentés quotidiennement, ne dépassent que rarement les 200 dollars.

Nous avons rencontré trois de ces commerçantes, toutes les trois immigrées d’un petit village du département, ayant un temps vendu sur le bord de la route leurs productions agricoles avant de s’installer à Falam et devenir commerçantes à temps plein. Elles aspirent toutes les trois à l’augmentation de leurs activités, augmentation qui passe, selon elles, par la possibilité de s’installer dans une boutique et de disposer ainsi d’un local propice à la diversification des marchandises vendues.

Tahniar-Falam : L’intensification des activités commerciales d’un membre de l’IMF Après avoir développé son jardin avec les premiers crédits contractés auprès de la caisse villageoise, cette femme, dont le mari poursuit aux États-Unis des études théo- logiques mais qui apparemment n’est pas en position de l’aider financièrement, commence en 2000 une petite activité commerciale, vendant à Falam les légumes des villageois de Tahniar. Après avoir accumulé un peu de capital, elle parvient en 2002 à s’installer une petite boutique dans une maison qu’elle décide de louer à Fa- lam afin notamment, nous dit-elle, d’y scolariser sa fille. Elle continue d’y vendre ses légumes et commence à faire des allers-retours à Kale où elle achète des produits de consommation courante. En 2004, elle obtient un emplacement au marché couvert de Falam, puis commence à y louer un dépôt qu’elle transforme tant bien que mal en Tea Shop. En 2005, avec le crédit du VCS (“Special Loan”, 80 dollars), elle démarre la vente de riz, étape fondamentale dans le développement de son activité. Au- jourd’hui, elle évalue son fonds de roulement à près de 350 dollars. Elle espère obtenir un crédit individuel auprès de la caisse villageoise et estime que de nombreuses femmes du marché seraient capables de gérer des crédits d’au moins 100 dollars.

Le développement des activités commerciales dans les villes se fait avec un dynamisme cer- tain, profitant à la fois de la multiplication de la demande dans des villes alimentées par « l’exode rural », et de celle de l’offre avec de plus en plus de commerçants se lançant dans des activités commerciales. Ainsi, des commerçantes interrogées à Falam et à Tedim nous décri- vent le même phénomène : si la demande se maintient, voire se développe comme l’atteste l’augmentation de leur chiffre d’affaires, l’augmentation du nombre de marchands et d’intermédiaires commerciaux (villageois collectant les productions de plusieurs fermiers) réduit les marges commerciales des vendeuses du marché.

2.2 Développement du commerce dans les villages

L’augmentation du nombre d’acteurs commerciaux est bien entendu liée à l’augmentation des productions marchandes évoquée précédemment. Il faut néanmoins en préciser l’évolution. Dans un premier temps, les fermiers producteurs, les cueilleurs, les chasseurs, les coupeurs de bois de chauffe, les producteurs de charbon, vont eux-mêmes se charger du transport de leur production vers la place de marché la plus proche. En effet chacun a besoin de se rendre à cette place de marché pour y acheter les produits dont sa famille a besoin. Avec l’apparition des boutiques dans les villages, souvent montées par de riches fermiers voyant là un moyen de transformer des entrées d’argent saisonnières en revenus réguliers, le besoin pour les fermiers de se rendre à la ville va s’amenuiser et avec lui va augmenter la demande pour des intermé- diaires commerciaux, capables grâce à des économies d’échelles de dégager des marges sur la revente aux marchands des villes des petites productions villageoises. Ces activités de négoce, qui ne sont en général pas conduites par les boutiquiers, sont assumées de plus en plus par les villageois eux-mêmes plutôt que par des personnes extérieures au village. Avec ou sans trans-

formation, on achète à crédit ou comptant (ce qui permet d’améliorer les marges) et on fait le voyage jusqu'à la ville.

Dynamique des boutiques : L’exemple des villages carrefours

Le développement des boutiques entraîne donc avec lui celui des activités de négoce et ainsi l’ensemble du dynamisme commercial du village. Ce constat est par- ticulièrement marquant dans les villages carrefours, placés sur ou à proximité d’une route permettant une liaison régulière avec la ville importante du département. On pense à Lung Pi, placé sur l’axe Falam-Hakha, à Surkhua (terminus des bus sur la route Hakha-Matupi), Saizang village au-delà duquel les camions en provenance de Tedim ou de Kale n’osent plus avancer, ou encore Tek Lui à quelques kilomètres de Tedim, que les habitants des villages alentours, fatigués de marcher jusqu’à Tedim, ont adopté comme leur place de marché. On y voit une progression importante du nombre de petites boutiques (de deux à quatorze en vingt ans à Saizang, de quatre à treize en 15 ans à Surkhua) qui profitent de l’augmentation soutenue de la de- mande groupée des villages environnants. À Surkhua, une des membres de la caisse villageoise que nous avons rencontrée a pu, grâce aux crédits de l’IMF, démarrer une toute petite activité commerciale qui consistait au départ à aller distribuer dans les villages environnants des produits de première nécessité en petites quantités. Le suc- cès de son affaire, les crédits successifs et un réinvestissement d’une part de ses bé- néfices dans son activité, lui ont permis de développer celle-ci fortement. Au- jourd’hui, elle le dit elle-même, elle achète tout ce qui peut être vendu. De vendeuse porte-à-porte, elle est devenue négociante en légumes, volailles, charbon, peaux de reptiles, qu’elle revend à Hakha, profitant de la liaison en bus quasi quotidienne. À Hakha, elle achète du riz et différents produits qu’elle revend directement aux bouti- quiers de Surkhua : elle n’a plus besoin de se déplacer dans les villages alentours, ce sont les villageois qui viennent à elle pour lui proposer leurs produits.

Parmi les 122 familles de notre échantillon, 43 menaient une activité commerciale et 26 consi- déraient le commerce comme l’activité économique principale du foyer.

2.3 Rôle de l’IMF dans le développement du commerce

Il apparaît clairement que l’accès au crédit a permis à certaines familles de démarrer et déve- lopper des petites activités commerciales. Si l’on se concentre sur les 26 personnes pour qui le commerce était l’activité principale du ménage, 22 avaient contracté au moins trois crédits auprès des caisses villageoises de l’IMF. Parmi ces vingt-deux, quinze avaient créé leur activi- té commerciale grâce aux crédits (cinq au moins avaient pour se faire eu recours à la constitu- tion de faux groupes). Les activités commerciales ainsi développées sont relativement variées : création de boutiques, négoce de légumes ou de volaille, alcool de riz, collecte de produits forestiers, découpe de viande, tissage et commercialisation d’étoffes, commerce transfrontalier. En général, les membres « commerçants » ont d’abord emprunté à plusieurs reprises en inves- tissant dans le petit élevage. Ils y découvrent le potentiel du crédit et décident de développer une activité commerciale. Les commerçants sont en général un peu plus éduqués (7e standard en moyenne). On ne constate pas de différences majeures en termes d’âge ou de composition du foyer. Il est faux par ailleurs de penser que les commerçants sont issus de familles plus ai- sées. Là encore, l’échantillon composé uniquement des commerçants présente des situations aussi variées que l’échantillon global. Il est sûr que l’on constate chez les commerçants des raisonnements économiques bien plus aboutis et une réelle capacité à saisir de nouvelles op-

portunités. Une prédisposition sans doute, accentuée par la suite par la pratique de la chose commerciale.

Un élément fondamental distingue les commerçants des autres membres : ils réinvestissent systématiquement une part de leurs profits dans une activité génératrice de revenus. Pas forcé- ment plus aisés que les autres, ils adoptent rapidement la séparation entre revenus de l’investissement et revenus familiaux traditionnels. Une fois l’activité commerciale mise en place, la répétition des crédits peut suivre son cours assez naturellement. Du coup, on constate que les utilisations du crédit à des fins commerciales sont souvent les plus originales, variées et bénéfiques, notamment parce qu’elles permettent de générer un revenu régulier. La création de telles activités est un mini-bouleversement au sein de la famille, qui décide de séparer une par- tie de ses activités de l’agriculture et de l’élevage. Le commerce devient une activité en tant que telle, détachée de toute tradition et tournée exclusivement vers l’économique. C’est en ça qu’il introduit un réel changement dans ces familles et à plus grande échelle dans les villages. Par ailleurs, l’apparition des boutiques dans les villages contribue à une amélioration réelle du confort des villageois, qui peuvent ainsi plus facilement accéder à des produits de première nécessité. Elle introduit l’idée de service et de la spécialisation et du coup, incite sans doute les villageois à se positionner par rapport aux différentes stratégies économiques qui s’offrent à eux.

Tek Lui : Parcours de vie d’un membre de la caisse villageoise

La femme avec qui nous nous entretenons est âgée de 40 ans. Elle s’est mariée en 1983 et a vécu pendant quatre ans chez ses beaux-parents, avant qu’ils ne parvien- nent avec son mari à se construire une petite maison, couverte d’un toit en paille. En- tre 1983 et 1987, ils vont se consacrer principalement à la culture de leurs essarts. La vente à Tedim de bois et des éventuels excédents de la production du jardin qui jouxte leur maison constituera les ressources financières principales du jeune foyer. Mais alors que la famille s’agrandit (ils ont aujourd’hui sept enfants, l’aîné a 21 ans), les besoins deviennent plus difficiles à couvrir. Le mari multiplie les petits travaux de portage de produits au Mizoram et, une fois là-bas, se fait payer pour fabriquer des briques sur les chantiers qui se développent. « Nous utilisions les surplus de trésorerie pour acheter de la volaille et sommes parvenus à élever des porcelets à trois reprises, grâce à un crédit traditionnel ». Ils poursuivent ainsi quelques temps, mais les rende- ments des essarts se dégradent d’année en année alors que la consommation en nourriture du foyer augmente. En 1999, la caisse villageoise est créée : « Nous avons longtemps hésité avant de prendre, nous étions tellement pauvres ! Mais mon père nous a incités à saisir cette chance. Nous avons emprunté 5 000 MKK, je m’en sou- viens très bien.

Nous avons acheté un porcelet et du maïs pour le nourrir, qu’en fait nous parta- gions avec lui. Au bout de huit mois, le porc devenait trop exigeant en nourriture, et nous n’avions plus grand-chose à manger alors que nous atteignions la saison des pluies. Nous avons vendu le porc 10 000 MKK, remboursé le crédit et avec le profit acheté la nourriture dont nous avions besoin pour les quatre mois à venir. Mon mari a pu alors se concentrer uniquement sur la préparation de notre essart, de notre petit jardin, et a pu travailler dans le champ des voisins, sans se soucier des besoins quoti- diens de notre foyer puisque nous avions assez de nourriture. Nous avions payé les in- térêts grâce à la vente de bois à Tedim. Au deuxième crédit, avec 7 500 MKK, j’ai tout investi dans l’achat de poules. Les œufs nous ont permis de payer les intérêts, et au moment du remboursement je n’en ai vendu que le nombre nécessaire pour rembourser. Tout le reste devenait du bénéfice. Les poules ont continué à se repro- duire et à nous donner des œufs. J’ai compris l’importance des revenus réguliers. Au

troisième crédit, 12 000 MKK, nous avons acheté des sacs de riz et des marmites, ainsi que des barils pour contenir une grande quantité d’eau, pour confectionner l’alcool de riz. Nous avons obtenu beaucoup de bénéfices, nous mangions sans compter, j’ai pu maintenir mes enfants à l’école et payer nos frais de santé. Comme mon activité couvrait les frais quotidiens, nous avons pu sauvegarder les revenus du travail de mon mari afin de construire une nouvelle maison, avec un toit en tôle ondulée. Je n’avais plus besoin de couper du bois, je pouvais consacrer toute mon énergie à la com- mercialisation de l’alcool de riz et mon mari au travail dans les champs. Au quatrième crédit, j'ai emprunté un “Special Loan” avec lequel j’ai acheté dans les villages alen- tours tout ce qui pouvait se revendre à Tedim (légumes, oléagineux, animaux tués à la chasse, etc.). Mon capital me permettait d’acheter comptant, donc moins cher, et de revendre à crédit aux commerçants de Tedim. Mon mari n’avait plus besoin de travailler et a pu se consacrer pendant une année à la construction d’un jardin, en faisant parfois appel à la main-d’œuvre villageoise !

Au cinquième crédit, j’ai investi dans la construction de briques. Je devais payer les matières premières et la main-d’œuvre avant de revendre les briques sur les chan- tiers. Ça marchait bien mais la concurrence de Laamzang est devenue trop forte. J’ai arrêté également l’alcool de riz, car mes enfants sont plus âgés et je ne veux pas qu’ils boivent. J’ai réinvesti mes bénéfices dans l’élevage de porcs et de chèvres. Au sixième crédit, j’ai repris un “Normal Loan” : mon capital est devenu suffisant pour mes activités commerciales avec Tedim, et le “Special Loan” ne me permettrait pas de lancer une activité commerciale transfrontalière. Après réflexion, nous n’avons pas trouvé d’opportunités d’investissement avec mon mari, nous avons donc pris un “Normal Loan” pour étendre notre culture de colza et ajouter un peu de capital à mes activités commerciales. Le colza est devenu notre source principale de revenus : j’achète les récoltes dans les villages alentours, y ajoute la mienne et fais de l’huile que je vends à Tedim ».

Ainsi nous avons rapidement fait le tour des activités économiques majeures telles qu’elles sont pratiquées dans les montagnes Chin et dans les villages où les caisses villageoises se sont implantées. Le tableau suivant permet de récapituler d’un coup d’œil la prépondérance de cha- cune.

Tableau 7 : Sources principales de revenus pour les villageois Chin

Source principale de revenus Source de revenus annexes

Village 10 62 Région 7 35 Mizoram / Mogok 25 58 Malaisie 18 30 Salaires 17 Location main-d’œuvre 60 110 Bovins / Mythans 1 52 Chevaux 1 35 Porcs 12 104 Chèvres 43 Poulets 83 Pisciculture 1 11 Élevage 15 117 Maraîchage 15 52

Pommes de terre / Gingembre 3 33

Arbres fruitiers 2 63 Sériciculture 1 2 Produits brûlis 60 Cultures 21 95 Produits forestiers 3 21 Légumes 5 15 Animaux 3 6 Boutique 7 10 Transfrontalier 5 6 Production 3 5 Commerce 26 43 TOTAL 122

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