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Emprunts endogènes : une culture de l’emprunt ?

Dynamiques de la circulation des richesses

DE L’ORGANISATION SOCIALE

V. LA MULTIPLICATION DES OFFRES DE CREDIT : QUELLES REPERCUSSIONS ?

1. Emprunts endogènes : une culture de l’emprunt ?

1.1 Emprunts troc et emprunts monnaie

Une nouveauté importante de cette dernière décennie est l’introduction dans les villages Chin d’organismes de crédits monétaires, permettant aux villageois de faire face aux besoins immé- diats de leurs foyers ou d’investir dans un projet de moyen terme capable d’améliorer la situa- tion financière de leur foyer et de développer les activités du foyer. L’IMF fut la première à introduire, au moins à cette échelle, l’emprunt sur une base monétaire ; le principe même de l’emprunt et de taux d’intérêts en nature était toutefois préexistant. Véritable institution, ce type d’emprunt traditionnel sur une base de troc est désigné par des termes vernaculaires : guhl lawh en zomi dans la région de Tedim, vuhl lawh en laimi dans la région de Hakha. Deux sys- tèmes sont attestés, en relation l’un et l’autre avec le petit élevage de mithans autrefois, de porcs aujourd’hui :

1. le premier système consiste en l’emprunt d’un porcelet ; une fois adulte, la truie est rendue à son propriétaire d’origine tandis que l’intégralité de la portée devient propriété de l’éleveur ; 2. le second système n’est qu’une variante du premier. Il consiste cette fois à emprunter un porc adulte qui sera rendu après la première portée, la moitié de celle-ci revenant au proprié- taire du porc et l’autre moitié à l’éleveur.

Reposant sur une base de troc, ces deux systèmes se distinguent en cela de l’emprunt IMF grâce auquel il est également possible d’acquérir un ou deux porcelets. De l’un à l’autre, les répercussions ne se limitent pas au seul passage d’une logique d’entraide sociale à une logique de marché. Non seulement le mode de propriété des bestiaux s’en trouve profondément trans- formé, mais également les risques encourus :

1. l’avantage d’un emprunt IMF réside dans le fait que l’acquéreur devient de facto seul et unique propriétaire de ses bêtes, libre à lui de revendre une bête pour rembourser l’intérêt de l’emprunt. En revanche, la prise de risque est grande : poules et cochons meurent facilement ; à la perte sèche s’ajoute l’impossibilité de rembourser l’emprunt sur la vente des bestiaux comme prévu dans le projet initial ;

2. l’avantage d’un emprunt troc est de réduire les risques, puisqu’en cas de décès la bête ne doit pas être rendue à son propriétaire ; en revanche, l’accès à la propriété s’en trouve lui- même réduit puisque les bêtes sont partagées entre le propriétaire et l’éleveur. Le choix des bêtes acquises est par ailleurs limité aux familles intéressées par un tel échange, tandis que l’acquisition par achat permet de sélectionner les animaux en toute connaissance de cause. S’il y a donc en milieu Chin une culture du prêt, il est difficile d’affirmer qu’elle ait favorisé l’introduction des formes monétaires de l’emprunt. S’inscrivant dans la continuité de l’entraide clanique envisagée précédemment, les emprunts traditionnels sur une base de troc ont peu à peu été marginalisés en même temps que la mémoire clanique perdait de sa profondeur. L’emprunt troc a – au moins provisoirement – totalement disparu de plusieurs villages : Na- bual, Vieux Sakta, Sunthla, Mangkheng, mais il conserve parfois une place non négligeable

dans l’économie locale : à Saizang comme à Mualbeem, une vingtaine de maisons y auraient ainsi encore recours.

La coexistence parfois au sein d’un même village des deux systèmes de crédit sur une base de troc et sur une base monétaire, laisse apparaître un certain nombre d’implications :

– du fait de l’accès à la propriété individuelle, l’emprunt d’argent a contribué à précipiter l’abandon progressif de l’emprunt troc ;

– l’emprunt traditionnel est réactivé partout où l’IMF a dû interrompre le processus de cré- dit ;

– le profil sociologique des emprunteurs montre que le choix entre l’emprunt troc et l’emprunt monnaie ne renvoie pas à des catégories sociales différentes ; la grande majorité appartient à la classe moyenne ;

– la disparition de l’élevage de mithans au profit de l’élevage de porcs accompagne le pas- sage de l’une à l’autre forme de crédit. Les témoignages recueillis montrent que les mithans étaient inclus dans le système d’emprunt troc, le premier né revenant au propriétaire de la fe- melle. Cependant, du fait que les montants proposés par l’IMF sont au bas mot sept fois infé- rieurs au prix d’un mithan, c’est vers le porc que se sont désormais tournés les petits éleveurs. L’emprunt par le troc n’est pas la seule forme d’emprunt endogène. À Taishon dans la région de Falam et à Tek Lui dans la région de Tedim, deux emprunts sur une base monétaire ont été organisés par les villageois. Créés indépendamment l’un de l’autre, ils sont tous deux des for- mules originales qui n’ont toutefois pas fait école ailleurs que dans le village qui les vit se dé- velopper.

1.2 Deux formes d’emprunts locaux

Les gens de Tek Lui, dans la région de Tedim, ont instauré ces cinq dernières années – depuis 2000 – un système de crédit appelé khua zun, une expression dont le sens littéral est « prendre soin (zun) du village (khua) ». L’initiative est venue d’un révérend de la Tedim Baptist Convention qui demanda par écrit une aide à des instances japonaises. Il reçut 500 dollars, moitié moins que promis, mais suffisamment pour se lancer dans un double programme de crédit :

– l’un dans le domaine de l’agriculture avec priorité donnée aux plantations de raisin et d’ananas ; le crédit a depuis été ouvert à d’autres activités tel que le commerce. Le taux d’intérêts mensuel est de 2 % et le capital doit être remboursé après 10 mois, plus un mois de délai en fonction des travaux agricoles. Dix-sept personnes au maximum ont désormais accès en même temps au crédit. Le capital total s’élève à 9 lakhs, soit 60 000 MKK par personne ; – l’autre dans le domaine de l’élevage de porcs. Le faible montant disponible a contraint les responsables de la caisse à se rabattre sur une variété ordinaire de porcs, à 20 000 MKK le por- celet au lieu de 30 000 MKK pour des porcs plus résistants. L’élevage de l’association compte dix porcs. Trente porcs furent au total empruntés depuis le début de l’expérience, parmi les- quels cinq moururent avant d’avoir été revendus. Le prix de vente est partagé de manière égale entre l’association, qui réinvestit une partie dans l’achat de nouveaux porcelets et une partie dans l’achat de vaccins, et entre l’éleveur emprunteur.

Le crédit mis en place à Tashon est appelé fonds de quartier, “Bloc Fund” dans sa version an- glaise. Un capitaine puis un soldat de l’armée birmane seraient les initiateurs des deux premiè- res tentatives. Le système n’est pas homogène d’un quartier à l’autre :

– un premier construisit une école en 1950. Avec l’argent restant, les villageois achètent un mithan dont la propriété est collective. Trois ans plus tard, le quartier a un élevage de six mi-

thans. En 1956, un système de crédit est imaginé avec le profit généré par l’élevage de mi- thans. L’intérêt mensuel de 3 % est remboursable tous les six mois et alimente une caisse villa- geoise. L’usage de celle-ci est limité au transport en urgence des malades, à l’achat d’outils et aux nouveaux crédits : 9 personnes sont à chaque fois sélectionnées. En 1993, le quartier est démantelé – le village changea de place à plusieurs reprises – le crédit n’étant pas pour autant interrompu, mais les conditions ne sont pas identiques d’un quartier à l’autre ;

– le système mis en place dans un deuxième quartier est réservé aux familles ayant des es- sarts. En paiement de la main-d’œuvre, chacun doit mettre dans la caisse trois mesures de se- mences ; des amendes viennent par ailleurs alimenter le fonds. Les taux d’intérêt mensuels passent de 2 % à 5 %. En 2005, sept personnes se partageaient à parts égales un capital de 120 000 MKK. Des amendes de 100 à 200 MKK contribuent à alimenter le fonds. Une partie du profit sert à financer l’enterrement des morts et à subventionner le club de foot ;

– dans un troisième quartier, le coût d’adhésion est de 1 000 MKK avec obligation d’avoir un garant. L’argent du profit est réinvesti dans des pompes à eau ;

– dans un quatrième quartier, le fonds fut créé sur la base d’un système d’amendes et en fonction des donations. Des terrasses collectives, propriété du quartier, sont louées. Le fonds s’élève actuellement à 200 000 MKK que se partagent huit personnes.

À Tashon comme à Tek Lui, l’accès au crédit est ouvert à tous les villageois sans considération religieuse, vérifiant une fois de plus le fait que les enjeux économiques mis en place par le circuit monétaire transcendent les regroupements catégoriels. La catégorie sociale est en revan- che sensiblement identique d’un emprunteur à l’autre, une tendance que corroborent les em- prunts exogènes.

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