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Crédits individuels et demande de crédits collectifs

Dynamiques de la circulation des richesses

DE L’ORGANISATION SOCIALE

IV. ACCES AU CREDIT VIA L’IMF ET RESTRUCTURATION DU FLUX MONETAIRE

4. Crédits individuels et demande de crédits collectifs

C’est dans une telle situation de perte de provision villageoise et de concentration des richesses autour des Églises et de leurs représentants qu’un projet de microfinance fut introduit sur l’initiative du Gret associé dans un premier temps au Pnud. Localement, et malgré la mise en place d’un suivi pédagogique censé éviter les dérapages et optimiser le système, la marge d’interprétation suscitée par l’introduction d’un système de microcrédit et la proximité de ce qui est considéré comme une manne monétaire inattendue, suscita des espoirs en même temps qu’elle généra des convoitises. Du fait des réunions d’information immédiatement mises en place et du suivi permanent des responsables locaux de l’IMF, la vocation des emprunts ne laisse pourtant pas de place au doute ; dès l’origine, le message est passé selon lequel les em- prunts mis à disposition sont là pour satisfaire la réalisation de projets individuels, dans la me- sure où ceux-ci sont adaptés aux montants proposés. Et pourtant un malentendu sur les attentes et les possibilités offertes par les emprunts persiste.

Le faible montant des emprunts proposés canalise les projets : l’investissement dans le petit élevage de porcs est à tous points de vue particulièrement adapté et s’impose de lui-même. Non seulement l’investissement est à la hauteur de la somme empruntée disponible, mais il est susceptible de générer du profit dans une stratégie d’amélioration du niveau de vie de la mai- sonnée tout en permettant de satisfaire les contraintes de la solidarité clanique (distribution de viande) et de donner au culte un des porcelets de la nombreuse portée (don du 1/10e). La fa- mille, le clan et l’Église y trouvent leur compte à moindres frais, sinon à moindres risques. Néanmoins, l’ambition de certains projets provoqua des tentatives de groupements d’emprunts. Trois cas de figure se dessinent, non corrélés l’un à l’autre, mais qui ont pour origine l’écart entre le capital nécessaire aux investissements envisagés et le capital effectivement disponible : 1. malversations individuelles de détournement d’argent dont le cas relève de la justice ; 2. sous-évaluation des dangers liés au commerce vers le Mizoram dont la conduite irrespon- sable met à mal la confiance sur laquelle reposait la démarche ;

3. confusion des genres – ou juxtaposition des messages – entre d’un côté une logique de profit et, de l’autre côté, des fins caritatives.

Ces problèmes ont été diversement résolus. Afin d’éviter qu’ils ne se renouvellent, l’une des réponses apportées récemment par les responsables de l’IMF soucieux de s’adapter à la de- mande fut la création d’un emprunt dit « individuel », d’un montant supérieur à ceux proposés jusqu’alors. Si cet emprunt répond effectivement à une attente maintes fois énoncée d’augmentation du montant disponible, son introduction est trop récente pour en mesurer la portée. En tout état de cause, ce nouveau prêt individuel ne suffira sans doute pas à résorber les

tentatives de détournements, car des raisons structurelles participent également aux difficultés rencontrées ici et là.

Les tentatives maladroites de regroupements des emprunts reposent également sur un malen- tendu qui transparaît dans le discours dans lequel l’intervention du Gret est associée à un projet humanitaire classique à très court terme. À moins qu’il ne prenne la forme d’un mécénat pur et simple – ce qui n’est pas la vocation de l’IMF – aucun prêt ne parviendra à concilier l’attente extrêmement forte en matière de travaux publics (réseaux routiers nécessaires aux circuits de distribution) et la réalisation de projets individuels (élevage et agriculture). Deux logiques à la fois contraires et complémentaires au sens où la réalisation des projets individuels passe aussi par la réalisation d’infrastructures villageoises.

Trois explications peuvent être avancées :

1. L’absence de tout budget villageois tout d’abord. La demande s’intensifie au fur et à me- sure que s’amplifie le besoin en infrastructures villageoises. La construction des écoles, des routes, des complexes hydroélectriques ou des panneaux solaires pour l’électricité, est théori- quement du ressort d’un pouvoir public ; en pratique, l’absence de budget au niveau villageois en rend la réalisation plus qu’improbable. La marge de manœuvre des « Yayaka » est limitée sinon nulle car le financement des travaux est dans l’ensemble tributaire des collectes ponc- tuelles faites auprès des villageois et de la gratuité de la main-d’œuvre. À Nabual, quelques tronçons de piste accessible sont en cours de construction : le travail est réalisé à la houe, les travaux de réfection sont nécessaires après chaque mousson et les difficultés d’accès au village empêchent son développement malgré sa proximité avec Hniarlawn et Hakha. À Mualbeem, dans la région de Tedim, les choux pourrissent sur pied : cela tient en partie à la situation de quasi-monoculture pratiquée dans cette région et en partie à l’état de la piste secondaire reliant le village à l’axe principal. La demande est donc tout autant pressante aux deux niveaux collec- tif et individuel des investissements. Les emprunts sont tournés vers la satisfaction des projets individuels et la dynamique qu’ils suscitent d’un côté ne laisse pas entrevoir de solution de l’autre.

2. La persistance du décalage entre aspirations individuelles et aspirations collectives est également à rattacher au système traditionnel de redistribution des richesses via la solidarité clanique. Si les rapports hiérarchisés existant autrefois entre les chefs et leurs sujets ont disparu et si la solidarité clanique s’est atténuée et transformée, la logique de circulation des richesses qu’ils sous-tendent est restée ; c’est sans soute l’une des raisons pour lesquelles le denier au culte s’est imposé si facilement.

3. Enfin, l’action ponctuelle de certains organismes ou institutions étrangères généralise l’attente. Le Pnud a créé des points d’eau et participé ici et là à des systèmes d’irrigation ; les Japonais ont fait des dons ciblés pour la construction d’écoles ou de bâtiments collectifs. L’ampleur du chantier ne permet pas de généraliser la pratique et les infrastructures collectives engagées ponctuellement ont pour conséquence de généraliser la demande.

La juxtaposition des messages conduit d’un côté aux tentatives de détournements plus ou moins malveillantes, plus ou moins maladroites et de l’autre, à l’inadéquation du rapport be- soins collectifs/besoins individuels. Mais pour être comprises, les difficultés auxquelles l’IMF reste confrontée ne peuvent être isolées du milieu dans lequel elles s’insèrent. Deux niveaux d’échelle sont à distinguer : l’un d’origine endogène lié aux contextes parfois très particuliers ; c’est le cas en particulier de la région de Tedim où ont tendance à se concentrer tous les extrê- mes. Le second niveau d’échelle, d’origine exogène, est lié à la multiplication des offres d’emprunts par différents organismes.

V. LA MULTIPLICATION DES OFFRES DE CREDIT : QUELLES

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