• Aucun résultat trouvé

L’IMPACT DE L’IMF EN TERMES IDEOLOGIQUES

Dynamiques des hiérarchies sociales

IV. L’IMPACT DE L’IMF EN TERMES IDEOLOGIQUES

La part idéologique de l’IMF s’observe principalement en quatre domaines : la priorité au sys- tème éducatif, le détachement des contraintes catégorielles, le développement de la parité homme/femme, l’introduction d’un mode électif. Le développement concomitant de ces quatre domaines participe d’une dynamique plus globale qu’est la mobilité sociale.

1. Le système éducatif

Le « Gret Credit Program » est affiché dans les officines et est rappelé en page 4 du livret ré- alisé à l’occasion du 10e anniversaire de l’IMF dans le Chin. Les quatre objectifs de dévelop- pement économique et financier qui y sont présentés sont listés comme suit :

Les quatre objectifs de l’IMF

- To give access to savings and credit services to the families who cannot give guar- antee for Banks / others loan;

- To increase the livelihood of the villagers, through the development of the income generation;

- To implement sustainable financial savings and credit aiming at a long-time devel- opment;

- To provide education on the management of economic activities and understand- ing of market economy.

L’éducation est d’une certaine manière comprise comme étant la clé du système mis en place par l’équipe IMF. Non seulement l’éducation occupe une place déterminante dans le système de microfinance mis en place, mais l’accès à l’éducation contribue à la prise de décision en faveur d’un emprunt. Parmi tous les entretiens effectués, la formation intellectuelle des enfants est une priorité. La prise de conscience est à attribuer à la christianisation dont le prosélytisme allait de pair avec le triptyque bâtir, éduquer et soigner. Ce n’est propre ni à l’État Chin ni à telle ou telle congrégation, le phénomène est général : les écoles, les tracteurs et les médica- ments ont joué un rôle déterminant dans les conversions.

L’importance prise par l’éducation est aussi directement liée à l’introduction d’une économie de marché qui déborde le confinement relatif auquel conduit une organisation sociale fondée sur la filiation et la consanguinité. L’enrichissement que laisse espérer l’emprunt ne saurait être réduit à un enrichissement financier. On emprunte aussi pour permettre aux enfants de dépasser le stade de l’alphabétisation. Entre la volonté de placer ses enfants à l’école et la nécessité de les envoyer aux champs, une solution privilégiée consiste à envoyer à l’école une partie seulement de la progéniture.

Prenons pour exemple cette famille de Chunchung dont les parents font un emprunt pour la quatrième année consécutive ; ils disposent d’une acre de brûlis, d’une demi-acre de terrasse et n’ont pas de jardin. Lui part régulièrement couper du bois au Mizoram : deux mois de travail assurent à la famille 200 000 kyats (environ vingt fois le salaire d’un instituteur). Le mari étant souvent absent, c’est sous le nom de l’épouse qu’est enregistré l’emprunt. Il est utilisé chaque année pour l’élevage de porcelets, incluant outre l’achat des bestiaux, les sommes nécessaires l’élevage : achat des vitamines et du maïs (la rotation cette année de l’essart leur est favorable, et ils espèrent pouvoir planter du maïs sur l’hectare disponible). L’aîné des cinq enfants a 16 ans. Le couple a fait le choix de l’envoyer poursuivre sa formation scolaire à Hakha où il est actuellement au 8e niveau ; le second ne va plus à l’école car il s’occupe de ses frères et sœurs plus jeunes. Dans le même village, un couple plus aisé d’éleveurs de mithans ne manifeste pas d’intérêt pour l’emprunt ; les parents ont fait le choix de pousser au maximum l’éducation de leurs enfants, et l’échec de l’aîné envoyé suivre son 8e niveau à Kale dans les basses terres ne remet pas en cause leur détermination. On ne peut donc pas attribuer à la seule influence de l’emprunt le développement de la scolarisation des enfants : elle est une préoccupation très générale et, dans le cas des emprunteurs, une part du capital est généralement réservée à l’éducation.

2. Le détachement des contraintes catégorielles

La dimension transcatégorielle – c’est-à-dire la propension à dépasser le communautarisme ethnique ou religieux – est une composante fondamentale de l’économie de marché que contri- bue indirectement à mettre en place et à organiser l’IMF.

Tandis que d’un côté, les chefferies n’ont pas résisté à la montée des catégories religieuses et ethniques, d’autant plus contraignantes que les Chin constituent un ensemble multiethnique et multi-religieux complexe ; de l’autre, l’IMF et ses adhérents se sont émancipés de ces mêmes catégories. La formation des groupes de garants n’est pas plus déterminée par la proximité clanique qu’elle n’est le produit d’un regroupement confessionnel. Bien plus, le regroupement sur une base communautariste relève de l’interdit : on se groupe en fonction d’intérêts clani- ques communs ou complémentaires.

3. La parité hommes/femmes

La fonction de reproduction de vie et de l’ordre social à laquelle fut longtemps confinée la femme s’enrichit d’autres atouts : d’objet d’échange dans ce rapport clanique entre groupes donneurs et groupes preneurs de femmes, elle devient intégrée à la production des richesses et non plus seulement réduite dans cette sphère économique à la force de travail. À notre connais- sance, aucune réflexion n’est engagée en interne sur le rapport de la société à la femme ; et pourtant, l’implication des femmes au sein des structures religieuses comme au sein des grou- pes de garants joue de manière indirecte en faveur de la parité des sexes et du statut des fem- mes. C’est encore par défaut, en l’absence du mari, que les emprunts sont portés sur le nom des femmes. Si l’on considère sous cet angle le profil sociologique des responsables des comités de crédit, il s’agit, on l’a vu, pour la plupart d’hommes issus du même sérail idéologique que les Yayakas. Le cas est différent lorsque des femmes ont accès à ces poste à responsabilités : elles font généralement partie de l’élite intellectuelle, ou tout du moins de cette élite ayant connu l’expérience des prises de responsabilités. Prenons le cas de Saizang où deux des trois mem- bres du comité de crédit étaient des femmes :

– Âgée de 48 ans, la présidente du comité de crédit de Saizang – avant que l’IMF ne ferme suite à des difficultés dont elle était l’une des responsables – est originaire de Tedim où elle poursuivit sa scolarité jusqu’au 10e niveau, l’équivalent du baccalauréat. Elle suivit ensuite pendant un an et demi une formation d’infirmière à Mandalay, seconde ville du Myanmar, avant d’être envoyée dans différentes villes de l’État Chin du Sud puis du Nord avant d’être en poste à Saizang depuis 13 ans. Elle est membre de la Croix Rouge.

– Âgée de 43 ans, la trésorière suivit jusqu’au 8e niveau sa scolarité à l’école de Saizang. Elle alla ensuite à Tedim suivre les 9e et 10e niveaux. Puis elle suivit un an durant une forma- tion dans les environs de Mandalay, au Teacher Training College de Sagaing. Elle fut envoyée en poste dans les villages reculés de l’État Chin, et officie à Saizang depuis 15 ans. Entre autres responsabilités, elle est membre du Woman Fellowship de l’Église catholique où elle occupe la fonction de trésorière.

L’égalité des sexes est là encore contrastée. Tandis que les femmes ont gagné en représentati- vité au sein des membres de l’IMF, comme d’ailleurs des instances religieuses et politiques, la représentation des femmes dans la société Chin a en revanche peu évolué. Elles sont toujours tenues à l’écart des instances décisionnelles.

4. L’introduction d’un mode électif

Le contexte de pouvoir centralisé qui régit le Myanmar depuis le début des années 1960 aug- mente la portée des non-dits. C’est le cas du mode de sélection des représentants de l’IMF, tout du moins en ce qui concerne le choix du responsable au sein d’un groupe de garants et des trois responsables dont est constitué tout comité de crédit.

Les enjeux contenus dans le vote ne sont pas perçus par tous de la même manière. Au niveau villageois, rares sont les personnes qui opposent d’elles-mêmes sans y avoir été amenées par une question, le vote aux habitudes politiques habituelles. Néanmoins, le système est suffi- samment révolutionnaire au Myanmar pour ne pas sous-estimer l’influence de l’imf en la ma- tière.

Une méthodologie unique

Outline

Documents relatifs