• Aucun résultat trouvé

Exploitation de la forêt

Dynamiques agraires et économiques

III. DE L’AUTARCIE VIVRIERE A L’ECONOMIE MARCHANDE

3. Exploitation de la forêt

Vivant au milieu de la forêt pluviale, les paysans Chin, en plus d’être bûcherons, sont adeptes de la cueillette et de la chasse. Exploitant traditionnellement les ressources forestières, tantôt pour subvenir aux besoins en bois de chauffe, en bois éclairant (tige de pins) ou en charpentes et en planches pour la construction des maisons, tantôt pour obtenir des produits d’échange en recueillant le miel des ruches ou les champignons des forêts qui poussent dans cet environne- ment particulièrement riche, les villageois Chin ne vont découvrir le potentiel marchand de leur forêt qu’avec le développement des villes et du commerce avec celles-ci. Dans un premier temps, il s’agira principalement de répondre aux besoins des citadins en énergie domestique sous la forme de bois à brûler ou de charbon de bois. Le village de Conghte à proximité de Falam ou celui de Laamzang à proximité de Tedim sont des villages où de nombreuses famil- les maîtrisent la confection du charbon de bois et le commercialisent en se rendant elles-mêmes dans les villages ou en passent par des semi-grossistes, en général issus du village. De même, les villageois de Laizo (proche Falam) ou de Sakta (sur la route de Hakha) trouvent dans la vente de bois des petits revenus d’appoint pour le foyer.

3.1 La cueillette des orchidées sauvages et des tubercules magiques

Depuis moins de cinq ans, une nouvelle activité commerciale s’est développée autour de la cueillette. Améliorant leurs connaissances des besoins des marchés situés dans les plaines de Sagaing et de Mingway, à force de déplacements et d’échanges commerciaux croissants, les Chin ont également découvert à Mandalay les goûts et envies des consommateurs chinois. Ces derniers sont très amateurs d’orchidées sauvages qui poussent dans les forêts tropicales, no- tamment dans les forêts des collines Chin. S’agit-il là d’une passion particulière pour une flore qu’on ne trouverait que dans les collines Chin ? On sait que la richesse de la biodiversité des forêts pluviales se caractérise par leur endémisme, mais nous n’avons pas rencontré les clients finaux de ce nouveau commerce dont le point de départ, la cueillette par les enfants et les femmes des orchidées dans les forêts, constitue pour certaines familles le revenu principal ! Cette forme sauvage d’horticulture ornementale est une aubaine pour les villages dont l’espace forestier regorge de ces plantes. La période de cueillette s’étale de fin septembre à fin décem- bre/début janvier, veille du nouvel an chinois (date après laquelle la demande s’estompe jus- qu'à l’année suivante). Vendues au poids, les orchidées se négociaient en décembre 2005 au- tour de 7 000 MKK par viss13 pour les revendeurs (à titre de comparaison le riz se vend actuel- lement à 400 MKK par viss). Une famille peut ainsi en deux mois obtenir jusqu’à 60 000 MKK pour une activité sans risque ne demandant pas d’investissement initial.

Une autre activité est apparue en même temps, un peu moins répandue que la précédente et sur laquelle nous avons recueilli moins d’informations. Il s’agit de la cueillette, toujours en milieu forestier, d’une espèce de tubercule non comestible mais dont la chair une fois séchée est parti- culièrement demandée par les Chinois. Les villageois Chin ne savent pas bien comment ceux- ci peuvent utiliser un produit « dont même les cochons ne veulent pas ». Notre pronostic pen- che vers l’utilisation médicinale, mais le doute persiste. Ces tubercules ne se trouvent malheu- reusement pas dans toutes les forêts, et c’est surtout dans le département de Hakha que cette activité occupe de plus en plus de familles. La période de ramassage est à la fin de la saison des pluies, lorsque la tige, par laquelle les villageois repèrent la présence d’un de ces tubercules, surgit tout droit du sol avant de s’affaisser à partir du mois de décembre, rendant la cueillette bien moins facile. Le viss non transformé se négocie à 100 MKK par les revendeurs.

13

Négoce de tubercules à Zokhua

Ces activités de cueillette font encore une fois principalement appel au capital humain, les familles pouvant ou non profiter de l’aubaine de ces nouvelles activités en fonction de la main-d’œuvre familiale disponible à un moment de l’année où le travail aux champs est la première priorité. Elles alimentent néanmoins des activités de transformation et de commercialisation qui se développent au sein même du vil- lage. Ainsi, les tubercules magiques doivent être nettoyés, découpés et séchés au so- leil ou à l’aide d’un four (en fonction de l’intensité de l’activité) par des familles qui, au préalable, ont acheté les produits bruts aux autres familles du village. Après trans- formation, un viss de tubercules vaut 1 700 MKK, et s’obtient à partir de 7 viss de tu- bercules bruts (7x100 MKK) que l’on fait sécher pendant une à deux semaines, selon que l’on possède un four ou non. La construction du four est artisanale et le coût du bois dans ces villages qui disposent d’un espace forestier important est négligeable. Le profit se situe donc aux alentours de 1 000 MKK par viss, sachant qu’une famille peut obtenir jusqu’à 50 viss en une semaine et que la saison d’exploitation est de quatre mois environ. En 2005, un fermier rencontré à Zokhua a généré 800 dollars de profits pour un investissement en trésorerie initial de 150 dollars. Dans ce village de 170 maisons ils sont quatre à collecter et transformer des tubercules que la plupart des familles se chargent de ramasser.

Le capital est ici déterminant, comme il l’est pour les autres activités de commercialisation de produits forestiers ou agricoles. La délocalisation des négociants des villes vers les villages où sont présentes les caisses de crédit illustre la tendance à une plus grande disponibilité de capital dans les villages enclavés. Ainsi à Zathal, deux villageois font couper, sécher et transformer en planches et charpentes des troncs qui étaient auparavant livrés tels quels à des négociants de Hakha. Le capital disponible permet la mobilisation de la main-d’œuvre quand elle est dispo- nible (et donc par définition en recherche d’opportunités de travail), la transformation, l’augmentation de la valeur ajoutée, et avec elle celles des bénéfices pour les villageois. Ces derniers peuvent en effet répondre sans attendre aux besoins d’un particulier souhaitant cons- truire une maison ou à une commande importante d’un revendeur de Hakha.

On voit là sur quels déséquilibres se développent les activités de transformation et de commer- cialisation qui ne sont l’apanage que d’une minorité de villageois. Les revendeurs disposant d’un petit capital deviennent en fait des intermédiaires contractant : ils commandent à plusieurs familles un certain nombre de sacs de charbon, les payent en avance un prix qui est réduit (la disponibilité immédiate est un argument de poids dans les négociations commerciales). Les familles qui parviennent à dégager des excédents de capital peuvent ainsi bénéficier de marges commerciales en achetant à un prix inférieur au marché citadin les productions ou collectes de familles qui, elles, ont un besoin urgent de liquidité. Les bénéfices engendrés par la collecte d’orchidées et de tubercules à une époque où les familles sont en fin de période de soudure en sont une illustration caractéristique.

Négoce de charbon : L’exemple d’un villageois de Laamzang

À Laamzang, un membre du VCS a investi 32 000 MKK de la façon suivante : com- mande de 45 sacs de charbon auprès de six familles en réglant d’avance au tarif de 700 MKK par sac. Au bout d’une semaine, collecte des sacs et envoi à Tedim en ré- munérant des porteurs au tarif de 120 MKK par sac (pour 5 km de marche). Le sac se

vend à Tedim à 1 000 MKK. Bénéfice engendré : 8 000 MKK, pour un rendement de 25 % en une semaine. Il ne réinvestit pas ses bénéfices, mais fait tourner le capital pendant quatre mois avant de le consacrer à la confection de briques.

Outline

Documents relatifs