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La PAC, entre réglementations contreproductives et réhabilitation prudente de l’arbre en agriculture

Introduction Partie

7.3. La PAC, entre réglementations contreproductives et réhabilitation prudente de l’arbre en agriculture

La PAC est créée en 1962 pour soutenir l’effort productif. Cependant, un constat de surproduction est fait dès 1950 (Magnin L., 2018), mais surtout dans les années 1980. Ce diagnostic aboutira en 1992 à la volonté de découpler le revenu agricole de la production en instaurant des aides directes à l’hectare, politique qui sera l’origine du premier pilier de la PAC. Cette déconnexion est renforcée par les accords de Berlin en 1999 et surtout par la conditionnalité des droits à paiement unique (DPU) de 2003 (Boinon et al., 2008) et plus récemment en 2014 avec le verdissement (Parlement européen et du conseil 2013).

À cette démarche de stabilisation économique et de prise en compte progressive des enjeux territoriaux et environnementaux, le second pilier de la PAC est initié en 1999 avec le

« Règlement de développement rural » (RDR). Il constitue un cadre financier et un programme

de développement rural unique pour toute l’Union européenne. Ces deux piliers de la PAC étaient justifiés par la Commission, le parlement et le conseil des ministres, par la nécessité de

175 mieux répondre aux préoccupations des citoyens européens en matière de sécurité alimentaire et de préservation de l’environnement. L’articulation des deux piliers de la PAC est caractéristique de la configuration sociale où l’on concevait le développement sectoriel en vase clos du développement territorial. La politique menée par la PAC sur l’agroforesterie est caractéristique de cette opposition.

Si l’on fait maintenant un zoom sur les premiers dispositifs de soutien aux plantations de la PAC, nous pouvons souligner la mise en place en 1999 des contrats territoriaux d'exploitation (CTE), qui ont pris le relais des mesures agri-environnementales initiées en 1992 (règlement CE 2078/92) pour s'inscrire dans le règlement rural (règlement CE 1257/99). La France est à l’origine de l’inscription au niveau communautaire de ce dispositif, dont l’approche globale des exploitations qui n’est pas sans rappeler l’angle systémique de l’agro-écologie. En ce qui concerne notre objet, il apparait que ces dispositifs ont souvent été cantonnés à des plantations de haies aux abords des fermes, dans une visée paysagère ou de brise vue.

Alors, comment l’arbre a-t-il initié son retour dans l’appareil productif des fermes ?

De 2001 à 2005, le projet européen SAFE que nous avons présenté fut le déclencheur de l’opération de mise en politique publique de l’agroforesterie. Ce projet de recherche prolongé d’un lobbying actif va renverser l’approche réglementaire de l’arbre au sein des deux piliers de la PAC.

Les représentations ci-dessous réalisées par l’ « Assemblée permanente des chambres d’agricultures » (APCA) montrent la transformation des modes de calcul des surfaces arborées

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Figure 5 : Evolution des modes de calcul des surfaces arborées de la PAC (pilier I). Source : APCA

En France, les surfaces arborées sont devenues éligibles95 aux aides directes96 en 2006. Avec

cette prise en compte, c’est une motivation économique forte à l’arrachage qui s’atténue. En effet, le paiement direct n’étant pas appliqué à l’emprise des arbres et des haies, l’agriculteur avait donc l’intérêt économique de les arracher pour agrandir la surface cultivée et donc proportionnellement le montant des paiements directs.

Au titre du programme de développement rural hexagonal (PDRH) de la programmation (2007- 2014), la création de haies pouvait être financées par :

- « Plan végétal pour l’environnement »,(Balny P. et al 2015, 20)

- « Plan de modernisation des bâtiments d’élevage (insertion paysagère) » (Balny P. et al 2015, 20).

Cependant, les services instructeurs indiquent que la part des investissements allant à la création de haies a été très réduite (Balny P. et al 2015, 20). Nous pouvons aussi évoquer les mesures agro-environnementales territoriales (mesures 214 alinea 01 à 04) qui aidaient à l’entretien des haies, des arbres isolés ou alignés, de la ripisylve et des bosquets, avec cependant une priorité donnée aux zones à enjeux Eau et Natura 2000. En 2012, un peu plus de 10 000 km de haies étaient sous contrat d’entretien (cinq ans), dont plus de la moitié sur les deux régions Nord-Pas-

95 Via la Circulaire ministérielle DPEI/SPM/SDCPV/C2006-4038.

177 de-Calais et Picardie, pour un montant total annuel payé de 3,7 M€. Les contrats d’entretien portant sur les arbres et les ripisylves sont plus modestes (respectivement 61 000 arbres et 254 km) (Balny P. et al 2015, 20).

L’adoption en 2007 de la mesure 222 « Agroforesterie », au sein du Règlement de développement rural n°1698/2013 du Parlement européen et du Conseil (article 44) vise à aider la première installation de systèmes agroforestiers sur des terres agricoles. Paradoxalement, cette mesure a eu une audience forte parce qu’elle marquait la reconnaissance au sein de la PAC de l’agroforesterie dans sa restriction intra parcellaire, alors qu’elle a été relativement peu mobilisée. Ce constat français est probablement lié au fait que la France n’a activé cette mesure dans le PDRH qu’en 201097. L’activation de la mesure était donc laissée aux régions, et

seulement dix l’ont mobilisée depuis. La mesure 222 a permis la plantation de 1257 ha d’agroforesterie intraparcellaire, répartie sur 207 porteurs de projets, pour un montant de subvention totale engagée de 841 000€, dont 422 000 € de Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Le montant moyen de subvention par dossier est donc à peine supérieur à 4 000€ (Balny P. et al 2015, 20).

Une étude fait un premier bilan mitigé de cette mesure :

« Lack of maintenance associated to measure 222 and the loss of direct payments of Pillar I, clearly affected to this unsuccessful result. The higher flexibility of agroforestry measure lined to CAP 2014–2020 linked to the definition (woody instead of tree) and the establishment of a five years payment period after agroforestry establishment helped to improve agroforestry adoption for a long number of Rural Development Programs. However, the loss of Pillar I payment if agroforestry measured is implemented is a strong barrier to foster agroforestry in Europe. A management plan on which a thinning program details a final tree density below 100 trees per hectare could be a good solution for this purpose. » (Santiago-Freijanes et al.

2016)

Au-delà de cette mesure, les piliers 1 et 2 de la politique agricole commune (PAC) montrent dans l’actuelle programmation (Parlement européen et du conseil 2013) des intentions de cohérence pour que les paiements directs liés aux cultures ne soient plus déduits des surfaces arborées, mais qu’elles soient au contraire bonifiées. En effet, la réforme de la PAC, qui entre en application au 1er janvier 2015, comporte plusieurs éléments relatifs à la prise en compte de la haie et de l’arbre dans les mécanismes d’aide.

D’abord, les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) conditionnent les aides directes au revenu du droit au paiement de base (DPB). Or la BCAE 7 du règlement (UE) n° 1306/2013, annexe 2 relative à la conditionnalité, conformément à l’article 93, impose le maintien des particularités topographiques :

« (…) Y compris, le cas échéant, les haies, les mares et étangs, les fossés, les arbres en lignes, en groupes ou isolés, les bordures de champs et les terrasses, y compris l'interdiction de tailler

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les haies et les arbres durant la période de reproduction et de nidification des oiseaux ainsi que, à titre facultatif, des mesures destinées à éviter les espèces végétales envahissantes ». (UE,

2013)

L’ex-ministre Stéphane Le Foll décide d’appliquer cette BCAE rigoureusement, en protégeant ainsi les haies ainsi que les périodes de nidification. Cependant, ce texte normatif a eu l’effet contre-productif de provoquer des arrachages en amont de la mise en œuvre de cette réglementation. En effet, des agriculteurs ont fait le choix, par « une approche calculatrice » (Hall et Taylor 1997, 486), de supprimer les haies qui selon eux étaient mal placées, avant que la BCAE7 ne l’interdise ou plus précisément n’autorise plus que leurs remplacements ou déplacements. En effet, cette réglementation fut accompagnée en France d’un dispositif de surveillance en rendant obligatoire la représentation des haies dans le registre parcellaire graphique des terres agricoles. Malgré l’effet contreproductif qui a précédé la mise en œuvre de cette réglementation, aujourd’hui, le non-respect de la BCAE 7 entraîne une réduction des paiements directs (DPB). Si dans les campagnes la rumeur de l’interdiction totale de l’arrachage des haies a beaucoup circulé, il s’avère qu’en réalité l’exploitant agricole conserve la possibilité de compenser l’arrachage de haies par une replantation équivalente, ce qui offre une souplesse indispensable. La protection des haies renforce l’admissibilité de l’emprise totale de la haie au DPB, que la France a fixé à une largeur de dix mètres maximum et sans discontinuité de plus de cinq mètres. Pour les arbres intraparcellaires d’essences forestières, la densité maximale autorisée pour l'éligibilité au DPB est fixée à 100 arbres d’essences forestières par hectare. À cette conditionnalité s’ajoutent les « paiements verts »98, dont l’attribution est soumise à trois

conditions : diversité des cultures, maintien des prairies permanentes, et un pourcentage minimal de 5% de « surfaces d'intérêt écologique » (SIE) sur les terres arables (donc hors prairie permanente). Les arbres et haies sont comptabilisés dans les SIE. Des coefficients de pondération permettent de calculer la surface d’intérêt écologique de ces éléments. Ainsi, un mètre de haie équivaut à 10 m2 de SIE, 1 arbre isolé à 30 m2. Cependant, les plantations d’arbres intraparcellaires aidées au titre de la mesure « mise en place de systèmes agroforestiers » du règlement de développement rural (mesure 8.2) entraînent le classement total de la surface de la parcelle en SIE. Ainsi, 1m2 d’une parcelle agroforestière devient 1 m2 de SIE. À l’inverse, une parcelle agroforestière qui n’a pas été financée par ce dispositif (mesure 8.2) ne peut pas comptabiliser l’ensemble de la parcelle en SIE, mais uniquement les surfaces occupées par les arbres (1 m2 = 10 m2 de SIE).

Du côté du second pilier, les aides au titre du règlement de développement rural sont prolongées et renforcées. Le règlement 1305/2013 du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le FEADER pour la période 2015-2020 reprend la mesure 222 du précédent programme. Les modalités d’application sont définies par le règlement 808/2014 de la Commission.

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« La mise en place et l’entretien de systèmes agroforestiers (sous-mesure 8.2) peuvent être aidés si elle comporte des plantations d’arbres intra-parcellaires. Dans ce cas, l’implantation et l’entretien de haies concomitantes autour de la parcelle peuvent être aidés au même titre. L'entretien de haies peut être aidé également au titre des investissements non productifs liés à la réalisation d'objectifs agro-environnementaux et climatiques (sous-mesure 4.4), et également au titre d'engagements agroenvironnementaux et climatiques (MAEC, sous-mesure 10.1) si elles sont localisées « de manière pertinente ». (Balny P. et al 2015, 23)

Les mesures d’aide au titre du développement rural sont inscrites dans un programme régional de développement rural présenté à la Commission par les régions, qui sont devenues autorités de gestion. Il leur appartient donc d’activer les mesures dans leur programme et de prévoir le cofinancement : national / fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) requis. En effet, l’État cofinance les mesures agro-environnementales et climatique (MAEC) et celles sur la mise en place de systèmes agroforestiers, dans le cadre d’une convention Etat- Régions. Les régions sont donc incitées financièrement à ouvrir ces mesures dans leurs programmes (Balny P. et al 2015, 23).

Si cette inflexion de la PAC ouvre une prise en compte plus large des surfaces arborées dans l’actuel dispositif, cette politique aurait d’après la Cour des comptes européenne une faible efficacité opérationnelle (Jereb et al. 2017), du fait de la révision à la baisse des objectifs dans le processus législatif, ainsi qu’une complexité de mise en œuvre. Cet exemple illustre la

« dépendance au sentier » (Palier B. 2010, 411) de la PAC qui a du mal à mettre en œuvre une conditionnalité réelle qui imposerait une restriction des droits aux paiements de base (DPB) en dessous d’un seuil à 7% de SIE, si l’on se réfère au dispositif tel qu’il était envisagé avant d’être édulcoré. En effet, le compromis politique s’est répercuté sur l’abaissement à 5% du seuil de SIE, de telle manière que peu d’agriculteurs en soient exclus.

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Figure 6 : Affaiblissement du verdissement de la PAC dans le processus législatif européen Source : (Jereb et al. 2017)

À ce jour, seulement une région sur deux seulement a activé le dispositif prévu dans mesure 8.2

« d’aide à l’installation de systèmes agroforestiers ». En effet, il apparaît que ce dispositif

incitatif prenant en charge 80% du coût d’une plantation et de son entretien les premières années, soit pénalisé par la complexité du montage des dossiers, les nombreux critères restrictifs et les délais de remboursement, qui sont des points dissuasifs pour les agriculteurs.

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Figure 7 : Synthèse du dispositif agroforestier de la PAC (2014-2020). Source : DGPE MAA99

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