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Les contestations environnementalistes d'opposition aux remembrements (1970 / 1980)

Introduction Partie

4.3. Les contestations environnementalistes d'opposition aux remembrements (1970 / 1980)

En contre champ du progrès agricole, se structurent au milieu des années 1970 des mouvements environnementalistes ou écologistes. Cette tendance émerge en effet dans une décennie où la société civile s’oppose dans de multiples situations contre la toute-puissance de l’Etat modernisateur. Selon Pierre Rosanvallon (Rosanvallon P. 2006, 420), les années 1970 connaissent un véritable « moment associatif ». Les pouvoirs publics cherchent alors à instaurer de nouvelles relations avec les associations pour en faire un relais nouveau de la vie civique, probablement avec la volonté de pallier aux limites d’une configuration d’action publique monopolistique. 

Plus prosaïquement, ils voient dans les corps intermédiaires un outil de gestion autonome, qui permet de se saisir de nouvelles questions sans accroître le périmètre de la fonction publique, premier signe d’un changement de paradigme vers des politiques publiques plus ouvertes au pluralisme (CSP). En effet, certaines associations, plutôt que d’accepter d’être confinées dans un rôle contestataire face aux pouvoirs publics, revendiquent une part active dans la définition de l’intérêt général. C’est au début de cette décennie qu’Yves Cochet et d’autres ont fondé l’association « Les amis de la terre », dont le projet est d’organiser les mobilisations de la société civile sur les questions écologiques. L’association fut actrice de la campagne présidentielle de René Dumont en 1974 et elle aura un rôle déterminant dans l’émergence de l’écologie politique en France. La trajectoire de cette association au milieu des années 1970,

122 tiraillée entre la diversité des mouvances qui la composent localement et la volonté de formaliser un projet politique cohérent, intéresse notre étude. En effet, l’article « Écologie et

politique dans les années 1970 : Les Amis de la Terre en France » (Vrignon A. 2012) montre

qu’elle développe un mode de régulation des conflits environnementaux :

« Là où nous pouvons encore décider, s’il est encore possible de retrouver dans un lieu public ce sentiment de propriété collective, alors il sera sans doute également possible de reconnaître dans l’air, dans l’eau, dans la nature vierge et le bocage verdoyant le sens du patrimoine collectif, qui est nôtre, comme une immense maison sans portes ni fenêtres où les saccageurs sont entrés. » (Le Courrier de la baleine. 1977, cité par Vrignon p.183)

Pour atteindre ces objectifs, l’équipe dirigeante des « Amis de la terre » souhaite fédérer ces « nouveaux mouvements sociaux » qui émergent de la société civile :

« À partir du milieu des années 1970, les groupes locaux des Amis de la Terre, constitués chacun en association loi 1901, donc formellement indépendants les uns des autres, se multiplient en France, passant de 15 en 1975 à 130 après les élections législatives de 1978 pour culminer à 150 en juillet 1980. Au total, 284 groupes locaux ont été recensés entre 1970 et 1984. Les effectifs pourraient atteindre 5 000 personnes en 1978 pour redescendre à 2 300 en 1980. En comparaison le « Mouvement écologique » rassemble 1 500 à 2 000 personnes en 1978 et les Verts ne comptent que 1 000 adhérents à leur création en 1984 ». (Vrignon A. 2012,

185)

Les initiatives locales sont multiples, d’une opposition à la construction de la toujours très actuelle centrale « Fessenheim », au plateau du Larzac en passant par la multiplication de manifestations d’oppositions aux remembrements, enrésinements ou autres aménagements fonciers (TGV, autoroutes…). Au point de départ de ces initiatives écologistes, la mobilisation se structure souvent autour du désarroi d’agriculteurs écartés de leurs terres. En effet, les premières étapes des mobilisations contre les remembrements se font avec les agriculteurs qui, par la contestation, expriment le sentiment que nous avons décrit plus haut. Il est dommageable qu’il n’existe pas de documents permettant d’analyser le profil sociologique des personnes qui se sont mobilisées contre cette politique. Toutefois, d’après les entretiens que nous avons recueillis, il apparaît que cette société civile mobilisée au côté des agriculteurs dans les années 1970 avait encore une proximité ou des liens avec le monde rural :

« Oui moi je me suis investi, mais il y a longtemps dans les années 1980 parce que j'étais un fils d'agriculteur et dans une région encore bocagère et qui était limitrophe à la Beauce qui subissait donc une influence. Il y avait une logique d'agrandissement de parcelle qui était initialement justifiée, mais une fois dans cette logique, il n'y avait plus de limite. C'était comme une libération on va dire, pour eux de pouvoir agrandir les parcelles. Dans ma région s'est superposé à cette volonté de remembrement, le passage aussi de la ligne TGV dans les années 1985, ce qui a amplifié ce phénomène de destruction du paysage. Notre association dont je faisais partie était sur la défensive, mais c'était difficile d'établir un dialogue entre les

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agriculteurs et l'association. L'association était composée d'agriculteurs, de scientifiques et de professeurs, de jeunes et mêmes des chasseurs !! voilà [rires]. Je rigole parce que ça fait écho au passé.

Dans cette association il y avait un membre de l'AFAF, qui est Dominique Mansion, qui est un dessinateur, qui était l'un des fondateurs de cette association locale et qui est maintenant en lien avec Alain Canet. Donc voilà tout ça fait écho à mon passé, mais après effectivement en entrant dans le service qui s’occupe de la conditionnalité de la PAC, j’ai pu observer l’évolution historique des mentalités et c'est intéressant oui de relire sa propre histoire personnelle. Parce qu’à un moment donné moi j'ai voulu travailler, parce qu'en tant que fils d'agriculteur, j'ai quand même avec mes études été orienté dans le secteur agricole. Après quand je suis entré dans les administrations, mon objectif était de défendre la cause agricole. D'abord la cause du soutien au marché, de soutien aux revenus parce que pour moi ça avait aussi de la force. Et puis forcément pendant ces années-là, je ne me suis pas attardé sur la question environnementale puisque ce n'était pas encore l'objet. » - "Agent Commission européenne, entretien n°12"

À l’image de ce fonctionnaire en charge du verdissement de la PAC, les personnes engagées dans ces associations locales étaient majoritairement salariées en dehors de la ferme familiale. Pour autant, elles ont pu être touchés par les difficultés économiques62 de leurs familles liées à

une modernité agricole dont les exploitations ont très inégalement perçu les bénéfices. Ces manifestations locales de défense du bocage se sont aussi développées sur la volonté de protéger des paysages dont l’attachement venait de l’enfance. Il est probable que la brutalité de la première décennie de ces aménagements fonciers ait avivé les craintes.

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Ce chapitre permet de comprendre l’expérience des personnes qui, les premières, ont ressenti une gêne vis-à-vis de cette facette de la modernisation agricole qui perturbait des équilibres anciens et dénaturait les paysages ruraux. Au-delà de l’approche classique de la sociologie politique des problèmes publics, nous avons cherché à identifier le sentiment impalpable de ces paysans, citoyens et scientifiques, lorsqu’ils ont été confrontées à ces situations. « Immergés dans l’imprévu et le trouble » (Neveu E. 2015b, 105), ils préfiguraient déjà, dans une certaine confusion ou flou, les cadres qui allaient réhabiliter l’arbre dans la société agraire.

Après avoir présenté les troubles des personnes qui se sont opposées aux politiques locales de remembrement, il nous est maintenant indispensable d’analyser le processus par lequel les défenseurs de la cause se sont employés à transformer l’inquiétant en intelligible.

62 Les années 1970 sont marquées par une crise agricole d’ampleur (baisse des prix liées aux surproductions).

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Chapitre 5 : Préfigurer les cadrages

alternatifs de l’arbre en

agriculture

Avant de porter le problème publiquement et éventuellement le soumettre à l’attention des pouvoirs publics, les acteurs qui ont vécu le même trouble face aux remembrements, ceux aussi qui observent les pollutions ou vivent les conséquences de cette politique, doivent cadrer le problème avec le plus de netteté possible. Une photographie touche ou convainc d’abord par les éléments que le photographe intègre à l’image. Les acteurs sociaux mobilisés dans cette opération doivent sélectionner une matrice d’explications qui forme le problème, pour lui donner une dimension publique.

A ce stade de préfiguration, l’opération est discrète, les cadrages se font dans l’ombre des normes de la configuration dominante (CSM). Cette dernière exerce une pression normative puissante, invitant les acteurs à se conformer aux standards du progrès modernisateur.

Ce chapitre présente la CS de spécialisation agricole, pour ensuite y situer les cadrages des associations locales, paysagères et environnementales, se mobilisant pour le retour fragile de l’arbre en agriculture. Sur la même période des décennies 1970 et 1990, les cadrages scientifiques du bocage et de l’agroforesterie sont présentés dans un dernier point.

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