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Justifier les pratiques agroforestières par des programmes de R&D (2000 / 2010)

Introduction Partie

6.3. Justifier les pratiques agroforestières par des programmes de R&D (2000 / 2010)

Le tournant des années 2000 a été sélectif pour ces quelques équipes de scientifiques aussi disséminées qu’isolées en France, qui travaillaient sur ces questions de l’arbre en agriculture. Nous avons évoqué les réorientations imposées aux équipes du CEMAGREF et de l’INRAE de Toulouse. Si les thématiques d’agriculture durable et de diversification émergent

151 en 1999 à l’INRAE sous la présidence de Bertrand Hervieu, il s’avère que deux configurations ont permis, sinon de développer, au moins de maintenir les recherches sur la thématique au début des années 2000.

La première est le contexte sociopolitique breton, où les enjeux de qualité de l’eau sont largement médiatisés et maintenus durablement à l’agenda politique de la région. L’identité bocagère de la Bretagne mais aussi des Pays de la Loire positionne le paysage bocager en élément du patrimoine qu’il faut protéger. Les crédits alloués aux équipes de l’INRAE de Rennes ou encore à l’ENSA d’Angers sont ainsi préservés. Ces travaux sur l’écologie du paysage bocager (Bardel P. et al 2008) portent une attention particulière à la biodiversité ainsi qu’à l’érosion du sol, question connectée à la qualité de l’eau mais aussi dès 2002 au stockage du carbone (Walter C. et al 2002). Dans la décennie, la notion de biodiversité dépasse progressivement les forums de l’écologie pour s’impliquer dans un cadrage agricole avec notamment la notion de service écosystémique et de lutte biologique intégrée. Cette approche transversale semble aussi avoir favorisé des collaborations entre par exemple M. Baudry du département SAD Paysage de l’INRAE de Rennes et J.P. Sarthou de l’UMR DYNAFOR « Dynamiques Forestières dans l'Espace Rural » de Toulouse (Le Roux X. (Coord.) et al 2008), scientifique acteur du réseau agroforestier.

La seconde configuration est toute autre pour l’agroforesterie intra parcellaire. Nous avons décrit à quel point le projet européen SAFE avait permis à ces recherches de trouver des financements et une légitimité nouvelle. Or, cet effet s’est traduit en France à partir de 2006 par une augmentation rapide de programmes de R&D dédiés à cette forme d’agroforesterie. Au- delà des avancées agronomiques, comme l’augmentation de la productivité de biomasse totale des parcelles agroforestières, ce sont aussi les enquêtes de faisabilité de l’agroforesterie en France réalisées en 2003 et 2004 pendant le projet européen qui ont éveillé l’attention des pouvoirs publics. En effet, elles ont montré que 30% des agriculteurs en grandes cultures étaient disposés à se lancer dans un projet agroforestier.

La première demande de CASDAR (Mercier I. et al 2009) a été faite en 2004 auprès du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Cette dernière est refusée pour des questions de budget, malgré une bonne notation de la demande. Le projet est donc déposé l’année suivante et cette fois avec succès. Ce premier CASDAR (Dupraz C. (coord.) et al 2006) s’échelonnera de l’année 2006 à 2008 et sera la retranscription en France des orientations de R&D proposées par SAFE. L’étude européenne avait relevé un intérêt chez les agriculteurs français vis-à-vis de l’agroforesterie, mais, par manque d’encadrement, de formation ou de parcelles à visiter localement, l’agroforesterie peinait à se mettre en place. Pour favoriser le transfert de connaissances entre la recherche et le terrain, l’objectif de ce programme était de structurer le développement de l’agroforesterie en France. Ce projet a regroupé vingt-quatre partenaires, représentant plus d’une vingtaine de départements. Il a obtenu des résultats encourageants, mais certains objectifs n’ont été que partiellement atteints soit par manque de temps ou de budget. C’est pourquoi la dynamique engagée sera poursuivie dans le second CASDAR agroforesterie 2009 / 2011. L’objectif était cette fois de répondre aux attentes techniques des agriculteurs.

152 Coordonné par la Chambre d’Agriculture des Deux-Sèvres, il s’appuie sur les résultats et le réseau des parcelles mises en place dans le premier CASDAR. Il visait l’amélioration des connaissances sur le fonctionnement des systèmes agroforestiers sur les thèmes de l’eau, de la biodiversité, du sol et de la biomasse.

Depuis ces programmes, de nombreuses autres activités de R&D ont été menées, dont voici une liste non exhaustive dans l’encadré ci-dessous :

Liste des activités de recherche-développement sur le thème de l’agroforesterie :

- SCA0PEST (Système de Culture Agroforestier "zéro Pesticide") Projet DEPHY EXPE Ecophyto 2012 dont l’objectif est de mettre en place et de suivre, en conditions agricoles réelles, les performances d’un système de grandes cultures agroforesté sans pesticide.

- CASDAR PARCOURS VOLAILLES 2012 / 2014, Evaluation environnementale et optimisation de la conduite des aménagements de parcours de volailles de chair Label Rouge et Biologiques.

- AGR'eau: programme de développement bassin Adour-Garonne, couverture agro- végétale des sols, outil d’épuration et de régulation de la ressource en eau

- Intens&fix: Le projet Intens&fix s’intéresse à l’intensification écologique des écosystèmes de plantations forestières, sur plusieurs sites : France, Congo, Brésil

- PICRI Pommiers sauvages, "Analyse génétique des populations de pommiers : vers

une réintégration des pommiers sauvages dans les agrosystèmes en Ile de France et valorisation du patrimoine génétique du pommier cultivé local."

- Interface : "Agroforesteries : quels enjeux pour la mise en place de la Trame Verte et Bleue ?"

- Agroforesterie et viticulture (2012), Ce projet d’ampleur nationale aura pour but d’étudier les interactions entre arbres et vignes en association agroforestière dans les grandes régions viticoles de France.

- Programme de développement de l'AF en Midi-Pyrénées 2012/2013

- PARASOL 2016/2018Étude d’impact du microclimat agroforestier adulte en systèmes d’élevage ovin

- ARBELE 2016/2018, L’Arbre dans les exploitations d’élevage herbivore : des fonctions et usages multiples.

- AGRIPSOL - Agroforesterie pour la Protection des SOLs

- ECOSFIX 2011 / 2014, Services écosystémiques des racines - redistribution hydrique, séquestration du carbone et fixation du sol.

- TCS & Biomasse, L’agroforesterie un moyen agroécologique pour produire de l’énergie

- SPEAL, sélection Participative d'Espèces Annuelles ou Ligneuses adaptées aux pratiques agroécologiques : un projet de Recherche d'intérêt régional

- AUXIMORE 2012 / 2015, Optimisation du contrôle biologique des bio agresseurs en systèmes de grandes cultures,

153 - Projet PIRAT, Vous avez dit PIRAT ? Oui, comme Programme Intégré de Recherche en AF à Restinclières dans l’Hérault.

- SMART, Systèmes Maraîchers en Agroforesterie : création de Références Techniques & économiques : un projet CAS DAR (programme national de développement agricole financé par le Compte d'AFfectation Spéciale "Développement Agricole etRural").

- Arbratatouille, Amélioration des itinéraires techniques agroforestiers en production

maraîchère.

Les thématiques explorent de plus en plus l’agroforesterie dans une transversalité de dimensions qui ne séparent plus la haie et le bocage des plantations intra-parcellaire. Les thématiques environnementales vont de la séquestration du carbone et de qualité de l’eau, en passant par les enjeux de biodiversité et de réduction des pesticides… Ces dernières sont de plus en plus articulées avec les enjeux productifs, pour produire autrement et tendre vers la multi performance82.

Nous souhaitons enfin mentionner la création en 2000 de la société coopérative et participative (SCOP) spécialisée en agroforesterie (AGROOF) dont est à l’origine un chercheur indépendant qui avait participé au lancement des expérimentations agroforestières à l’INRAE de Montpellier, ainsi qu’au projet SAFE et aux deux CASDAR que nous venons de présenter. Une autre étape importante des initiatives de R&D fut la création du Réseau mixte technologie (RMT) AgroforesterieS 2014 - 2017 (financement CASDAR). Il s’agit d’un réseau de partenaires professionnels de la recherche, du développement et de la formation, rassemblés autour de la thématique de l’agroforesterie en France. Nous aborderons plus en détails le rôle d’un tel réseau. Nous pouvons aussi citer l’engagement de la Fondation de France dans la recherche, avec le financement de cinquante thèses (dont celle-ci) dans de nombreuses disciplines sur l’agroforesterie.

Par ailleurs, nous pouvons évoquer, pour la période la plus récente, dix-huit programmes de recherche et développement en France, ainsi que trois programmes européens, AGROFE (Agroforestery education in Europe), AFINET (Agroforestry Innovation Networks) AGFORWARD (AgroForEstry that will advance rural developement 2014-2017).

Comme l’illustre le schéma ci-dessous, l’agroforesterie est devenue un sujet d’étude principal dans de nombreuses unités de l’INRAE et treize institutions, dont les chambres d’agriculture qui sont impliquées dans le développement de la pratique.

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Figure 4 : Liste des Unités de l’INRAE qui travaillent sur l’agroforesterie. Source : (« RMT AgroforesterieS » 2019)

Si le Ministère de l’Agriculture a donné une impulsion sans précédent pour que cet objet soit investi par les institutions de recherche, néanmoins la tendance semble plus être à la mobilisation de ressources existantes qui rassemble des acteurs sur la thématique, plutôt qu’à des politiques incitatives. Enfin, il est intéressant de noter que ces projets de recherche rassemblent aujourd’hui les deux communautés scientifiques du bocage et de l’agroforesterie intra-parcellaire, c’est pourquoi nous proposons maintenant de préciser le processus de cette convergence.

155 6.4. L’institutionnalisation d’associations nationales : porter le problème par un argumentaire audible pour la profession et les décideurs publics (2000 / 2010)

En 2007 émergent deux mouvements associatifs nationaux qui soulignent la tension entre l’agroforesterie productive de l’intra parcellaire et celle plus environnementaliste, à la sensibilité bocagère. Le premier, l’Association Française d’agroforesterie (AFAF), est d’influence scientifique avec une vision initiale de l’agroforesterie intra parcellaire dite “moderne”. Le second, l’Association Française de l’Arbre et de la Haie champêtre (AFAHC), est fédérateur du réseau d’associations militantes et d’indépendants, acteurs du réseau d’opérateurs locaux de l’arbre champêtre, de fédérations de chasse, de chambres d’agriculture, collectivités et syndicats de bassins versants.

6.4.1. L’Association française d’agroforesterie (AFAF), initialement le portage politique des justifications scientifiques de l’agroforesterie intra-parcellaire

Dans le cadre du CASDAR Agroforesterie 2006/2008 (Dupraz C. (coord.) et al 2006), le second groupe de travail avait pour objectif de créer une structure dont l’enjeu principal était de sensibiliser les agriculteurs et les acteurs du développement agricole à l’agroforesterie. L’Association française d’agroforesterie (AFAF) fut créée le 25 avril 2007, alors appelée “Des

Racines et des Cimes”. L’AFAF est composée à l’origine d’un groupe restreint de scientifiques,

d’acteurs du développement agricole et de militants en phase avec la dimension productive83 de

cette agroforesterie « moderne » expérimentale.

L’AFAF, depuis sa création, dispose d’une gouvernance souple et opérationnelle, mais dont la ligne stratégique aurait connu une évolution, décrite par des membres du réseau comme voulant « aller trop vite » et fonctionnant selon les opportunités « avec peu de concertation ». Son conseil d’administration était à l’origine constitué de neuf membres, avant d’être étendu à 15 en 2012 comme nous le présenterons plus tard. L’AFAF s’est mise en dynamique sur la valorisation de la recherche et sa mise en lien avec les expériences de terrains menées par les agriculteurs. Elle s’implique parallèlement dans une démarche de veille réglementaire au niveau national et se positionne en tant qu’interlocutrice auprès du Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (MAAF), devenu le Ministère de l’alimentation et de l’agriculture (MAA) en 2017.

83 Sous-tendu par la conception moderne de l’agroforesterie, fondée sur l’adaptation de l’implantation des arbres

à la mécanisation, ainsi que sur les résultats expérimentaux d’augmentation de la productivité totale de biomasse. Cette conception moderne est incarnée par l’image de la moissonneuse sous les noyers ou les peupliers.

156 Elle avait aussi dans ses objectifs initiaux de « favoriser les relations avec les partenaires

européens et internationaux », c’est pourquoi cette association s’est rapidement investie dans

un lobbying reconnu à l’échelon européen. Actrice de la représentation des intérêts de l’agroforesterie auprès des instances de politiques agricoles nationales et européennes, l’AFAF est également à l’initiative de la première journée européenne d’agroforesterie qui suscite la création en décembre 2011 de l’EURAF (European Agroforestry Federation) comme en témoigne ce paragraphe du CAS DAR 09/2011 :

« Le travail de l’AFAF a essentiellement porté sur l’évolution des réglementations travail mené en 2010 pour la circulaire de 2010 et en 2011 pour l’organisation de la rencontre européenne, qui a notamment abouti à la création de la structure EURAF, qui joue un rôle important de lobbying pour la prochaine réforme de la PAC. »84

En 2016, l’AFAF compte cinq salariés équivalent temps plein (ETP) (contre 1 en 2013), elle contribue à dix programmes de développement régionaux85, nationaux86 et internationaux87.

Aujourd’hui la situation et le statut de cette association ont sensiblement évolué, elle est constituée de onze salariés.

6.4.2. L’Association française de l’arbre champêtre et des Agroforesteries (AFAC-A), entre représentation sectorielle des opérateurs de l’arbre champêtre et développement

Dans un mouvement plus ancien qui débute dans la période post-remembrement à la fin des années 1980, des militants s’engagent localement pour la préservation du bocage et la plantation de haies nouvelles. De nombreuses associations se forment, dans une mouvance environnementaliste autour de l’arbre champêtre et de la préservation du bocage. Ces acteurs restent de nombreuses années disséminés et isolés à l’échelon local. L’un d’entre eux illustre cet aspect :

« On faisait la même chose chacun dans notre territoire sans savoir que d’autres avaient des actions similaires dans d’autres régions. » - "Elu AFAC-Agroforesteries, entretien n°13"

C’est en 2006 que furent organisées les 5, 6, 7 octobre les premières rencontres nationales de la haie portées par l’association Gersoise, “Arbres et Paysages 32”, à Auch. Elles ont favorisé le partage d’un constat :

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